L’énigme de la transformation du SrTiO3 sous l’effet de la lumière

L'énigme de la transformation du SrTiO3 sous l'effet de la lumière

Des chercheurs ont réussi à manipuler les propriétés des matériaux quantiques grâce à des impulsions laser, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles applications dans le domaine de la mémoire numérique à haute vitesse.

Les impulsions laser à fréquence moyenne infrarouge et terahertz sont des outils puissants pour manipuler les propriétés des matériaux quantiques en modifiant sur mesure leur structure cristalline. Un exemple remarquable de ces phénomènes est la ferroélectricité induite par la lumière dans le SrTiO3. Sous l’éclairage moyen infrarouge, ce matériau se transforme en un état de dipoles électriques ordonnés en permanence, qui est absent dans son diagramme de phase d’équilibre. Le mécanisme sous-jacent à cette transformation n’est pas encore compris.

Une équipe de chercheurs de l’Institut Max Planck pour la Structure et la Dynamique de la Matière (MPSD) en Allemagne et du Laboratoire national d’accélérateur SLAC aux États-Unis a réalisé une expérience au Laser à électrons libres SwissFEL pour identifier les interactions intrinsèques pertinentes pour créer cet état. Le nouvel aperçu a été obtenu non pas en détectant la position des atomes, mais en mesurant les fluctuations de ces positions atomiques.

Le résultat fournit des preuves que ces fluctuations sont réduites, ce qui pourrait expliquer pourquoi la structure dipolaire est plus ordonnée qu’en équilibre, et pourquoi un état ferroélectrique pourrait être induit.

Les matériaux ferroélectriques et le titanate de strontium

Les matériaux ferroélectriques se caractérisent par l’alignement parallèle spontané des dipoles électriques, conduisant à une polarisation macroscopique qui peut pointer dans deux directions opposées. La direction de pointage peut être commutée par un champ électrique, permettant l’utilisation de ferroélectriques dans les composants de stockage et de traitement numériques des dispositifs électroniques modernes.

Le titanate de strontium, SrTiO3, est un paraélectrique quantique. Contrairement à de nombreux matériaux ferroélectriques, le SrTiO3 ne possède pas d’état ferroélectrique macroscopique. Pourtant, de nombreuses preuves expérimentales montrent que les fluctuations quantiques du réseau cristallin empêchent l’ordre à longue portée de se développer.

Étonnamment, en 2019, le groupe Cavalleri a découvert que le SrTiO3 se transforme en un ferroélectrique lorsque certaines vibrations du réseau cristallin sont excitées par des impulsions intenses dans le moyen infrarouge.

L’utilisation de la lumière pour induire et contrôler la ferroélectricité à des fréquences électroniquement inaccessibles peut être envisagée comme l’élément clé des futures applications de mémoire à haute vitesse.

Une nouvelle compréhension des interactions de la matière avec la lumière

Les chercheurs ont collaboré avec le groupe de Mariano Trigo au SLAC et ont combiné l’excitation moyenne infrarouge avec des impulsions de rayons X femtosecondes du laser à électrons libres SwissFEL pour éclairer ces dynamiques, qui se déroulent à l’échelle du temps sub-picoseconde – plus courte qu’un billionième de seconde.

« Dans une expérience typique de diffraction des rayons X, on utilise l’interférence constructive des rayons X diffusés par les atomes alignés périodiquement pour mesurer leurs positions moyennes », explique Michael Först, l’un des principaux auteurs de ce travail. « Mais ici, nous avons détecté la diffusion diffuse résultant du désordre dans l’arrangement atomique qui est sensible aux fluctuations, en d’autres termes au bruit, du réseau cristallin ».

Expérimentalement, l’équipe a découvert que les fluctuations de certains modes rotationnels dans le réseau de SrTiO3, qui entravent la formation de la ferroélectricité à longue portée, étaient rapidement réduites par l’excitation pulsée moyenne infrarouge. Une telle suppression ne se produit pas dans ce matériau à l’équilibre et donne des indices sur l’origine de la ferroélectricité induite par la lumière. Ceci a été confirmé par une analyse théorique rigoureuse qui a révélé des interactions complexes et de haut ordre entre un ensemble de vibrations du réseau et la contrainte comme source de ces observations.

Michael Fechner, le théoricien de ce projet, souligne l’importance de la collaboration entre la théorie et l’expérience : « Cela nous permet d’affiner nos outils pour les prédictions et, par conséquent, d’améliorer notre compréhension de la matière et de ses interactions avec la lumière. »

Des implications au-delà de la physique du SrTiO3

Andrea Cavalleri, chef de groupe et directeur au MPSD, prévoit de nouvelles opportunités découlant de cette étude : « Le fait que certaines fluctuations du réseau, qui empêchent la formation d’un ordre ferroïque à longue portée, peuvent être supprimées par des moyens dynamiques est nouveau et offre des possibilités de comportement similaire dans d’autres matériaux quantiques. De plus, comme notre groupe étudie l’ordre induit dans d’autres contextes, y compris magnétique et supraconducteur, les résultats discutés ici peuvent avoir des implications plus larges au-delà de la physique du SrTiO3 ».

Légende illustration : La lumière infrarouge moyenne réduit les fluctuations des rotations octaédriques dans le SrTiO3, ce qui permet au matériau de passer à un état ferroélectrique en déplaçant l’ion de titane central vers le haut ou vers le bas. Crédit : Jörg Harms, MPSD

Article : “Quenched lattice fluctuations in optically driven SrTiO3” – DOI: 10.1038/s41563-023-01791-y

[ Rédaction ]

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