Opportunités de fusions dans l’industrie pétrolière et gazière internationale

D’un autre côté, sur ces mêmes marchés il existe de très nombreuses sociétés privées, généralement cotées en Bourse, ayant des Sièges Sociaux en Amérique du Nord ou en Europe Occidentale. Chacune d’entre elles possède une faible part du marché mondial.

La plus grosse et la plus célèbre, EXXON-MOBIL, raffine moins de 6,5% du marché des produits pétroliers (5500/86000 kbl/d) et produit 3% du gaz naturel mondial (1550/52000 kbloe/d). La seconde société, ROYAL DUTCH-SHELL, raffine 4,3% du marché des produits pétroliers et produit 2,7% du marché du gaz.

Pour les autres sociétés les chiffres respectifs de raffinage et de production de gaz sont les suivants :

  • BP (2,5% et 2,7%) ;
  • TOTAL (2,8% et 1,7%) ;
  • CHEVRON (2,3% et 1,7%) ;
  • ENI (0,9% et 1,3%).

Il en existe bien d’autres, en Europe (Repsol, OMV, BG Group, Cepsa) et en Amérique du Nord, où elles sont encore plus nombreuses (TAB. I et II).

Tableau 1

 

 Ces sociétés, généralement très prospères, ne possèdent donc chacune, qu’une très faible part du marché.

La stratégie des plus dynamiques d’entre elles doit tenir compte de cette donnée fondamentale. La question est la suivante :

Avec une part de marché de quelques pourcents une pétrolière a-t-elle un avenir assuré ?

 

 

Si non quelles sont les conditions de changement pour assurer sa croissance ou, du moins, sa survie ?

Tableau2

 

Dans un futur prévisible, il est possible de prévoir que les parts de marché des Sociétés Privées vont décroître au profit des Sociétés d’Etats et donc, d’imaginer une accentuation du déséquilibre en faveur de ces dernières. Pourquoi ?

  • La première cause est la baisse inéluctable des productions en Europe et en Amérique du Nord, les productions cumulées ayant dépassé la moitié des réserves probables et possibles connues. La découverte, dans ces zones mâtures, de nouveaux champs géants est à ce jour peu probable.

Or, c’est justement dans ces régions que, pour des raisons historiques, les sociétés privées sont les plus actives. Les volumes de ces zones représentent encore de larges parts de leurs productions (50% pour EXXON MOBIL par exemple). Ces phénomènes de « déplétion » très rapides, avec des baisses de production de 5% à 10% par an, masquent les progrès d’exploration et de production réalisés dans d’autres zones, exploitées de façon plus récente, comme l’Afrique.

La FIG.I par exemple, illustre les vitesses de baisses de production annuelle de liquides entre 2002 et 2006 pour quelques grandes Sociétés en Grande Bretagne, en Europe (UK + Norvège essentiellement) et aux USA. On voit le dramatique déclin des productions de la Grande Bretagne, accentué par un accroissement des taxes d’extraction.

Figure 1

 figure2

La seule Société Privée, à voir ses volumes de liquides croître, est EXXON (XOM) grâce à une forte montée de ses productions en Afrique (FIG. II). L’industrie pétrolière privée voit donc ses volumes de production décroître ou au mieux stagner.

  • la seconde raison de baisse des parts de marché des Sociétés Privées est la volonté des Sociétés d’Etats de s’intégrer vers l’aval (raffinage et chimie) pour profiter d’une valeur ajoutée supplémentaire en commercialisant des produits plus élaborés. Les compagnies étatiques (Arabie, Qatar, Algérie, Koweït, Egypte, etc.) investissent massivement dans ces infrastructures de l’aval. Au mieux les groupes privés, apportant leur technologie, sont associés à ces projets.
  • la troisième cause est la volonté de certains Etats producteurs de se réapproprier les réserves pétrolières exploitées conjointement avec des Sociétés Privées. Ces mesures peuvent aller de la simple révision des contrats de partage de productions à l’expropriation. On citera par exemple la Russie avec Gazprom, le Venezuela avec PDVSA qui sont très actifs dans ce domaine. D’autres, tel le Kazakhstan, essaient de les imiter.
  • enfin il faut noter l’arrivée dans la compétition internationale des groupes pétroliers chinois et indiens et souligner la volonté du Russe Gazprom de devenir un acteur mondial de premier rang.

 

Ainsi, le futur des Sociétés Pétrolières Privées semble se dessiner vers moins d’extraction, moins de raffinage sur des équipements âgés et dans des pays à forte législation environnementale et percevant  plus de taxes (UK).

Ce futur serait dramatique sans la bienvenue montée régulière des cours du brut et des produits raffinés et sans l’accroissement des difficultés techniques d’exploration, d’extraction et de transformation.

La montée des cours est inéluctable en raison d’un énorme potentiel de croissance de la demande et d’un accroissement des coûts des nouvelles  productions (sables bitumineux, offshore ultra profond, schistes huileux ou oil shale). La tendance longue, depuis quatre ans, de ce phénomène  est une croissance des prix de 8$/bl/an (FIG III).

Aucune donnée nouvelle ne semble venir contrecarrer la poursuite de cette tendance qui devrait conduire le prix moyen du baril de 75$  à fin 2007 à environ 100$ à fin 2010.

A cette même date les besoins en pétrole dépasseront les 90 millions de barils par jour, seuil au-delà duquel se fera réellement  sentir la pénurie de ressources. La vitesse de croissance des cours pourrait alors s’accélérer, faute de ressources suffisantes.Figure 3

L’autre paramètre majeur d’un succès futur est la montée en technicité du métier. Dans l’exploration puis l’exploitation de zones hostiles (ex. la Mer de Barents) ou difficiles (offshore ultra profond), dans l’extraction de produits atypiques (sables bitumineux, huiles lourdes, oil shale).

Dans la transformation, par la montée en sévérité des normes produits (ex. teneur en soufre) et d’environnement (captage et séquestration du CO2). Les techniques indispensables à la pratique du métier sont détenues par des entreprises de sous-traitance (TAB. III), mais aussi par les grandes compagnies pétrolières intégrées.

L’autre paramètre majeur d’un succès futur est la montée en technicité du métier. Dans l’exploration puis l’exploitation de zones hostiles (ex. la Mer de Barents) ou difficiles (offshore ultra profond), dans l’extraction de produits atypiques (sables bitumineux, huiles lourdes, oil shale).

Tableau 3

 

Cette montée en puissance des technologies va se poursuivre pour assurer des techniques productions de plus en plus complexes, sponsorisées par la montée des cours. Les techniques de « Gas to Liquid » et de « Coal to Liquid » ou de « Cellulose to Liquid » viendront compléter l’offre de liquides. Elles devront mettre en œuvre les techniques de capture et séquestration du CO2 afin d’éviter de payer les taxes d’émissions. Les productions polluantes ne seront plus tolérées, où que ce soit dans le monde.

Dans un marché ou les volumes stagnent ou régressent, comportant de nombreux intervenants, la tendance naturelle est à la concentration.

Pourquoi ce mouvement n’a-t-il pas pris plus d’ampleur jusqu’à présent ?

La principale raison est que les Groupes sont devenus profitables, la montée des cours du brut a quasiment bloqué le mouvement de concentration amorcé à la fin du siècle dernier ( Exxon et Mobil, Conoco et Phillips, Total et Fina-Elf, Royal Dutch et Shell).

Ce mouvement pourrait-il reprendre ? Quelles pourraient être les amorces qui relanceraient ces concentrations ?
Il est possible d’en distinguer plusieurs.

  • la baisse continue des volumes avec baisse ou stagnation des profits, la rumeur fait régulièrement part des intentions de BP et RDS de fusionner alors que leurs volumes de production, hors filiales russes, baissent
  • l’agression, par une Sociétés d’Etat, d’un groupe privé possédant la technologie, sous forme d’une OPA sauvage. On a vu la réaction US devant le projet chinois de lancer une OPA sur UNOCAL qui s’est retrouvée très vite mariée avec Chevron en Août 2005. L’agressivité de Gazprom pourrait déclencher un tel phénomène en Europe par exemple;
  • la prise de contrôles de sociétés de sous-traitance à forts contenus technologiques.

Quels seraient les moteurs d’une généralisation du mouvement?

  • l’existence de grandes quantités de cash générés par les pétrolières
  • la revalorisation des cours des actions qui pousseraient le marché à provoquer et favoriser les fusions. Les valeurs de PER (cours/bénéfice) des pétrolières sont faibles, entre 9 et 12. Les valeurs des ratios PCR (cours/cash) sont encore plus faibles, entre 7 et 8
  • les économies d’échelles dans la prospection et l’acquisition de technologies.

Quels sont les freins ?

  • la profitabilité de chacun des acteurs petit ou gros ;
  • les obstacles géostratégiques et les vieilles racines nationales.

Christophe de Margerie, le Directeur Général de Total, affirme qu’actuellement, au sein de son Groupe, la croissance interne est le seul levier à privilégier. D’abord, il n’est pas sûr qu’il soit « totalement » sincère. Il a, d’autre part, annoncé une croissance annuelle des volumes de production de 4% par an, sans préciser la part du gaz de celle du pétrole. Il n’est pas sûr que cet engagement pourra être tenu, compte tenu des contraintes politiques (quotas de l’OPEP, accords de partage de production, conflits locaux), de possibles incidents techniques, de l’épuisement plus rapide que prévu (4 à 5% par an) des vieux gisements et de l’évolution des cours du brut bien au dessus des 60$/bl qui constituent son hypothèse de référence.

La non atteinte, probable, de ce nouvel objectif par Total et la poursuite de la baisse des volumes produits par les Groupes Pétroliers concurrents devraient inciter les Etats-majors à revoir leurs stratégies vers des politiques d’alliances et de croissance externe. Il est certain que dans une telle hypothèse les capitalisations boursières des « pétrolières » seraient à revoir fortement à la hausse.

En conclusion, il est raisonnablement possible d’anticiper une reprise des opérations de concentration dans l’industrie pétrolière et gazière en raison d’une baisse globale des volumes produits par les Sociétés Privées et d’une perte de parts de marché au profit des Sociétés
d’Etats. Ce mouvement devrait être accompagné d’une forte revalorisation des cours de Bourse de ces Sociétés.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Raymond Bonnaterre

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