La spectroscopie d’absorption des rayons X, une technique sélective d’éléments et sensible à l’état électronique, est devenue un outil analytique sans précédent grâce aux avancées récentes du groupe Attoscience et Ultrafast Optics de l’ICFO. Cette technique bouscule notre compréhension des interactions lumière-matière et ouvre de nouvelles perspectives pour la physique et la chimie des solides.
La spectroscopie d’absorption des rayons X est une technique largement utilisée pour étudier la composition des matériaux. Jusqu’à récemment, cette méthode nécessitait encore un balayage en longueur d’onde laborieux et ne fournissait pas une résolution temporelle ultra-rapide pour étudier la dynamique électronique.
Le groupe Attoscience et Ultrafast Optics de l’ICFO, dirigé par le professeur ICREA Jens Biegert, a transformé la spectroscopie d’absorption des rayons X en un nouvel outil analytique, sans besoin de balayage et avec une résolution temporelle à l’échelle attoseconde.
Les impulsions de rayons X mous attosecondes, d’une durée comprise entre 23 as et 165 as, et une largeur de bande cohérente de rayons X mous allant de 120 à 600 eV, permettent d’interroger la structure électronique entière d’un matériau en une seule fois. La combinaison d’une résolution temporelle pour détecter le mouvement électronique en temps réel et d’une largeur de bande cohérente qui enregistre où le changement se produit offre un outil puissant pour la physique et la chimie des solides.
L’interaction lumière-matière à l’échelle attoseconde
Un des processus les plus fondamentalement importants est l’interaction de la lumière avec la matière. Par exemple, pour comprendre comment l’énergie solaire est captée dans les plantes ou comment une cellule solaire convertit la lumière du soleil en électricité.
Un aspect essentiel de la science des matériaux est la possibilité de modifier l’état quantique, ou la fonction, d’un matériau ou d’une substance avec la lumière. Ces recherches sur la dynamique des nombreux corps de matériaux répondent à des défis majeurs de la physique contemporaine, tels que ce qui déclenche une transition de phase quantique ou comment les propriétés des matériaux découlent des interactions microscopiques.
Dans une étude récente publiée dans Nature Communications, les chercheurs de l’ICFO Themis Sidiropoulos, Nicola Di Palo, Adam Summers, Stefano Severino, Maurizio Reduzzi et Jens Biegert ont rapporté avoir observé une augmentation et un contrôle de la conductivité dans le graphite en manipulant l’état de nombreux corps du matériau.
Mesure attoseconde pompe-sonde de l’hybride lumière-matière
Les chercheurs ont utilisé des impulsions optiques sub-2-cycle stables en phase d’enveloppe à 1850 nm pour induire l’état hybride lumière-matière. Ils ont sondé la dynamique électronique avec des impulsions de rayons X mous attosecondes d’une durée de 165 as à l’arête K du carbone du graphite à 285 eV.
La mesure d’absorption des rayons X mous attosecondes a interrogé la structure électronique entière du matériau à des intervalles de retard pompe-sonde à l’échelle attoseconde. La pompe à 1850 nm a induit un état de haute conductivité dans le matériau, qui n’existe que grâce à l’interaction lumière-matière ; c’est donc un hybride lumière-matière.
Les chercheurs s’intéressent à de telles conditions car elles sont censées conduire à des propriétés quantiques des matériaux qui n’existent pas autrement à l’équilibre, et ces états quantiques peuvent être commutés à des vitesses essentiellement optiques jusqu’à plusieurs THz. Il reste largement incertain toutefois comment ces états se manifestent exactement à l’intérieur des matériaux. Ainsi, il existe beaucoup de spéculations dans les rapports récents sur la supraconductivité induite par la lumière et d’autres phases topologiques.
Les chercheurs de l’ICFO ont utilisé pour la première fois des impulsions attosecondes de rayons X mous pour « regarder à l’intérieur du matériau » alors que l’état lumière-matière se manifeste. L’auteur principal de l’étude, Themis Sidiropoulos, note que « l’exigence d’une sonde cohérente, d’une résolution temporelle attoseconde et d’une synchronisation attoseconde entre la pompe et la sonde est entièrement nouvelle et une exigence essentielle pour ces nouvelles investigations rendues possibles par la science attoseconde ».
Observation de la relaxation électronique dans le graphite
Pour voir comment les électrons dans le graphite se sont détendus après l’application de la forte impulsion de lumière, ils ont pris le large spectre de rayons X et ont observé, d’abord, comment chaque état d’énergie s’est détendu individuellement et, ensuite, comment tout le système électronique a été excité, pour observer l’interaction de nombreux corps entre la lumière, les porteurs et les noyaux à différents niveaux d’énergie.
En observant ce système, ils ont pu voir que les niveaux d’énergie de tous les porteurs de charge indiquaient que la conductivité optique du matériau augmentait à un moment donné, montrant des signatures ou des souvenirs d’une phase de supraconductivité.
Comment ont-ils pu voir cela ? En fait, dans une publication précédente, ils ont observé le comportement des phonons cohérents (non aléatoires) ou l’excitation collective des atomes à l’intérieur du solide.
Parce que le graphite a un ensemble de phonons très forts (à haute énergie), ceux-ci peuvent transporter efficacement de grandes quantités d’énergie loin du cristal sans endommager le matériau par des vibrations mécaniques du réseau. Et parce que ces phonons cohérents se déplacent d’avant en arrière, comme une vague, les électrons à l’intérieur du solide semblent surfer sur la vague, générant les signatures de supraconductivité artificielle que l’équipe a observées.
En synthèse
Les résultats de cette étude montrent des applications prometteuses dans le domaine des circuits intégrés photoniques ou de l’informatique optique, en utilisant la lumière pour manipuler les électrons ou contrôler et manipuler les propriétés des matériaux avec la lumière.
Comme le conclut Jens Biegert, « la dynamique des nombreux corps est au cœur, et, sans doute, l’un des problèmes les plus difficiles de la physique contemporaine. Les résultats que nous avons obtenus ici ouvrent un nouveau domaine de la physique, offrant de nouvelles façons d’investiguer et de manipuler les phases corrélées de la matière en temps réel, qui sont cruciales pour les technologies modernes ».
Pour une meilleure compréhension
Qu’est-ce que la spectroscopie d’absorption des rayons X ?
La spectroscopie d’absorption des rayons X est une technique analytique qui permet d’étudier la composition des matériaux en mesurant l’absorption des rayons X par les éléments.
Qu’est-ce qu’une impulsion attoseconde ?
Une impulsion attoseconde est une impulsion de lumière extrêmement courte, de l’ordre de l’attoseconde (10^-18 seconde).
Qu’est-ce que l’interaction lumière-matière ?
L’interaction lumière-matière est le processus par lequel la lumière interagit avec la matière, entraînant des changements dans les propriétés de la matière et/ou de la lumière.
Qu’est-ce qu’un état de nombreux corps ?
Un état de nombreux corps est un état dans lequel les propriétés d’un système ne peuvent pas être décrites simplement par les propriétés de ses composants individuels, mais nécessitent une description de leurs interactions.
Qu’est-ce que la supraconductivité ?
La supraconductivité est un état dans lequel un matériau peut conduire l’électricité sans résistance, généralement à des températures très basses.
Références
Article : « Enhanced optical conductivity and many-body effects in strongly-driven photo-excited semi-metallic graphite » – DOI: 10.1038/s41467-023-43191-5