Les chercheurs de l’Institut Niels Bohr de l’Université de Copenhague ont développé une nouvelle méthode pour créer une mémoire quantique. Un petit tambour peut stocker des données envoyées par la lumière dans ses vibrations sonores, puis transmettre ces données avec de nouvelles sources lumineuses lorsque nécessaire.
Juste en dessous de l’ancien bureau de Niels Bohr se trouve un sous-sol où des tables éparses sont recouvertes de petits miroirs, de lasers et d’une agglomération de toutes sortes de dispositifs reliés par des enchevêtrements de fils et des amas de ruban adhésif. Bien qu’il soit difficile pour l’œil non averti de discerner que ces tables abritent en réalité un éventail de projets de recherche de pointe, l’essentiel se passe dans des mondes si petits que même les lois de Newton ne s’appliquent pas. C’est là que les héritiers de la physique quantique de Niels Bohr développent les technologies quantiques les plus avancées.
L’un de ces projets se distingue – pour les physiciens du moins – par le fait qu’un gadget visible à l’œil nu est capable d’atteindre des états quantiques. Le tambour quantique est une petite membrane faite d’un matériau céramique ressemblant à du verre, avec des trous dispersés selon un motif soigné le long de ses bords. Lorsque le tambour est frappé par la lumière d’un laser, il commence à vibrer, et ce, si rapidement et sans perturbation, que la mécanique quantique entre en jeu. Cette propriété a depuis longtemps suscité l’intérêt en ouvrant de nombreuses possibilités technologiques quantiques.
Désormais, une collaboration entre différents domaines quantiques de l’Institut a démontré que le tambour peut également jouer un rôle clé pour le futur réseau d’ordinateurs quantiques. Tels des alchimistes modernes, les chercheurs ont créé une nouvelle forme de «mémoire quantique» en convertissant des signaux lumineux en vibrations sonores.
Dans un article de recherche récemment publié, les chercheurs ont prouvé que les données quantiques d’un ordinateur quantique émises sous forme de signaux lumineux – par exemple, via le type de câble à fibre optique déjà utilisé pour les connexions Internet à haut débit – peuvent être stockées sous forme de vibrations dans le tambour, puis transmises.
Des expériences antérieures ont démontré aux chercheurs que la membrane peut rester dans un état quantique par ailleurs fragile. Sur cette base, ils pensent que le tambour devrait être capable de recevoir et de transmettre des données quantiques sans qu’elles ne «décohèrent», c’est-à-dire sans perdre leur état quantique lorsque les ordinateurs quantiques seront prêts.
Selon Mads Bjerregaard Kristensen, chercheur postdoctoral à l’Institut Niels Bohr et auteur principal du nouvel article de recherche, cela ouvre de grandes perspectives pour le jour où les ordinateurs quantiques pourront vraiment faire ce que l’on attend d’eux. La mémoire quantique sera probablement fondamentale pour envoyer des informations quantiques sur de longues distances. Ainsi, ce que les chercheurs ont développé est une pièce cruciale dans les fondements mêmes d’un Internet du futur avec une vitesse et une sécurité quantiques.
Des recherches sont menées ailleurs sur une alternative où une source lumineuse porteuse de données est dirigée vers un système atomique et déplace temporairement les électrons de l’atome, mais cette méthode a ses limites.
Comme l’explique le professeur Albert Schliesser, co-auteur de l’article de recherche, il y a des limites à ce que l’on peut faire avec un système atomique, car on ne peut pas concevoir soi-même les atomes ou la fréquence de la lumière avec laquelle ils peuvent interagir. Le système mécanique relativement «grand» des chercheurs offre plus de flexibilité. Ils peuvent bricoler et ajuster, de sorte que si de nouvelles découvertes changent les règles du jeu, il y a de bonnes chances que le tambour quantique puisse être adapté.
Le tambour est la dernière et la plus sérieuse tentative de mémoire quantique mécanique, car il combine un certain nombre de propriétés : le tambour a une faible perte de signal – c’est-à-dire que la force du signal de données est bien conservée. Il présente également l’énorme avantage de pouvoir gérer toutes les fréquences lumineuses, y compris la fréquence utilisée dans les câbles à fibre optique sur lesquels est construit l’Internet moderne.
Le tambour quantique est également pratique car les données peuvent être stockées et lues à tout moment. Et le temps de mémoire record de 23 millisecondes déjà atteint par les chercheurs rend beaucoup plus probable que cette technologie puisse un jour devenir un élément constitutif des systèmes de réseaux quantiques ainsi que du matériel des ordinateurs quantiques.
Selon le professeur, les chercheurs sont en avance avec cette recherche. L’informatique et la communication quantiques en sont encore à un stade précoce de développement, mais avec la mémoire obtenue, on peut imaginer que le tambour quantique sera un jour utilisé comme une sorte de RAM quantique, une sorte de «mémoire de travail» temporaire pour l’information quantique. Et cela serait révolutionnaire.
Article : « Long-lived and Efficient Optomechanical Memory for Light » – DOI: 10.1103/PhysRevLett.132.100802