Dimitrios Terzis, Julie Haffner
Les murs de nos maisons pourraient-ils être partiellement faits à partir de CO₂ dans le futur? Des chercheuses et chercheurs du Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL, de la Haute école spécialisée de Suisse méridionale (SUPSI) et de la start-up Medusoil SA de l’EPFL ont démontré que Bacillus megaterium – un micro-organisme résilient et polyvalent communément présent dans les sols, les eaux douces et les milieux marins, voire les surfaces végétales – peut minéraliser le dioxyde de carbone (CO₂) en carbonate de calcium (CaCO₃), le minéral qui forme le calcaire et le marbre. Cette étude a été publiée dans Scientific Reports.
Au-delà de l’exploit biologique, le minéral formé se distingue par sa qualité et son origine. Dans des conditions de forte teneur en CO₂ – plus précisément à des concentrations supérieures à 470 fois celles trouvées dans l’atmosphère – B. megaterium a modifié sa stratégie métabolique. À l’aide d’une enzyme appelée anhydrase carbonique, il convertit le CO₂ en bicarbonate, qui réagit ensuite avec les ions calcium pour former de la calcite solide. Étonnamment, 94 % du minéral obtenu provenaient directement de CO₂, et non de composés azotés comme l’urée.
Une voie écologique vers le minéral solide
«Nous savons que des dizaines de bactéries ont le potentiel de minéraliser des cristaux», explique Dimitrios Terzis, auteur correspondant, associé de recherche et d’enseignement au Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL et cofondateur de Medusoil SA. « Ce qui est unique dans notre travail, c’est que nous montrons que cela peut se faire en utilisant directement du CO₂. Le potentiel qui nous attend est immense, et nos équipes sont impatientes de le développer et de le maximiser. »
Cette dualité biologique est rare. B. megaterium possède deux voies métaboliques pour induire la formation de minéraux: l’uréolyse, qui dépend des composés azotés, et l’activité de l’anhydrase carbonique, qui utilise directement le CO₂. Bien que la première voie ait été étudiée depuis longtemps dans le contexte de la précipitation de calcite induite microbienne (MICP), elle génère des sous-produits indésirables tels que l’ammoniac. La deuxième, en revanche, offre une voie plus écologique, en capturant le CO₂ et en le convertissant en minéral solide sans résidus toxiques.
« Cette étude montre comment la microbiologie environnementale, lorsqu’elle est associée à des techniques de laboratoire avancées, peut révéler des mécanismes qui resteraient sinon méconnus », indique Pamela Principi, chercheuse à la SUPSI. «L’utilisation d’urée marquée en C13 a été essentielle pour retracer l’origine du carbone dans le minéral, ce qui nous a permis de quantifier les voies microbiennes avec précision. C’est un excellent exemple de la manière dont les approches multidisciplinaires, faisant le lien entre la microbiologie, la géochimie et la science des matériaux, peuvent aboutir à des découvertes importantes.»
Petits microbes, grand potentiel
Alors que les discussions sur l’action climatique passent de la compensation carbone à la prévention des émissions à la source, cette recherche ouvre de nouvelles perspectives – en particulier pour des industries comme la construction et la fabrication de matériaux, qui comptent parmi les plus grands émetteurs directs de gaz à effet de serre. En intégrant le carbone sous forme minérale, ce microbe pourrait conduire à la fabrication de liants biosourcés qui piègent le carbone, et même à des matériaux de conservation pour la restauration de bâtiments et de monuments.
Ce mécanisme naturel offre un moyen tangible d’exploiter la biologie pour obtenir des résultats positifs pour le climat, tels que le piégeage du CO2 aux points d’émission, la stabilisation des sols ou l’amélioration de la durabilité des infrastructures. « Medusoil possède le savoir-faire nécessaire pour exploiter des bioréacteurs et développer la production microbienne avec des solutions prêtes à l’emploi », précise Dimitrios Terzis. « Cette étude montre que malgré des défis tels que la forte concentration de CO₂ nécessaire et le fait que nous devons faire varier ses niveaux de pureté, les paramètres critiques peuvent être efficacement maîtrisés à l’aide de la biotechnologie conventionnelle. Nous sommes convaincus de pouvoir adapter nos recettes et nos conditions de croissance pour que B. megaterium puisse être déployé dans l’industrie. »
Cappa, M., Perego, C., Terzis, D. et al. Bacillus megaterium favours CO₂ mineralization into CaCO₃ over the ureolytic pathway. Sci Rep 15, 21861 (2025). DOI : 10.1038/s41598-025-07323-9