Anna Niggas
Que se passe-t-il lorsque des électrons quittent un matériau solide ? Ce phénomène apparemment simple a, jusqu’à présent, échappé à une description théorique précise. Aujourd’hui, des chercheurs ont trouvé la pièce manquante du puzzle.
Imaginez une grenouille dans une boîte. Cette boîte possède une grande ouverture à une certaine hauteur. La grenouille peut-elle s’échapper ? Cela dépend de son énergie : si elle peut sauter assez haut, elle pourrait en principe sortir. Mais sa réussite effective est une autre question. La hauteur du saut ne suffit pas – la grenouille doit aussi sauter précisément vers l’ouverture.
Une situation similaire se produit avec les électrons dans un solide. Lorsqu’ils reçoivent un surplus d’énergie – par exemple en bombardant le matériau avec des électrons supplémentaires – ils peuvent potentiellement s’échapper. Cet effet est connu depuis des années et largement utilisé en technologie. Mais étonnamment, il n’a jamais été possible de calculer ce processus avec précision. Une collaboration entre plusieurs groupes de recherche de la TU Wien a résolu ce mystère : comme pour la grenouille, l’énergie seule ne suffit pas – l’électron doit aussi trouver la bonne « sortie« , un « état-porte« .
Une situation simple, des résultats déroutants
« Les solides qui émettent des électrons relativement lents jouent un rôle clé en physique. Leurs énergies nous renseignent précieusement sur le matériau« , indique Anna Niggas de l’Institut de physique appliquée de la TU Wien, première auteure de l’étude.
Les électrons dans un matériau peuvent avoir différentes énergies. Tant qu’ils restent sous un certain seuil, ils sont irrémédiablement piégés. Quand le matériau reçoit un surplus d’énergie, certains électrons dépassent ce seuil.
« On pourrait croire que tous ces électrons quittent simplement le matériau une fois énergisés« , note le Prof. Richard Wilhelm, responsable du groupe de physique atomique et des plasmas à la TU Wien. « Si c’était vrai, ce serait simple : nous observerions les énergies internes pour déduire directement quels électrons devraient sortir. Mais la réalité est différente. »
Les prédictions théoriques et les résultats expérimentaux ne concordaient pas. Plus déroutant encore : « Différents matériaux – comme des structures de graphène avec différents nombres de couches – peuvent avoir des niveaux d’énergie électronique très similaires, mais montrent des comportements d’émission complètement différents« , souligne Anna Niggas.
Pas de sortie sans porte
L’élément crucial : l’énergie seule ne suffit pas. Il existe des états quantiques au-dessus du seuil nécessaire qui ne mènent pas hors du matériau – ces états étaient ignorés dans les modèles précédents. « Énergétiquement, l’électron n’est plus lié au solide. Il a l’énergie d’un électron libre, mais reste spatialement localisé dans le solide« , précise Richard Wilhelm. L’électron se comporte comme la grenouille qui saute assez haut mais rate la sortie.
« Les électrons doivent occuper des états très spécifiques – les états-portes« , explique le Prof. Florian Libisch de l’Institut de physique théorique. « Ces états sont fortement couplés à ceux qui mènent réellement vers l’extérieur. Tous les états énergétiques ne sont pas des états-portes – seulement ceux qui représentent une ‘porte ouverte’ vers l’extérieur. »
« Nous démontrons pour la première fois que le spectre électronique dépend non seulement du matériau, mais crucialement de l’existence et de la localisation de ces états-portes résonnants« , affirme Anna Niggas. Certains de ces états n’apparaissent qu’avec plus de cinq couches empilées. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour la conception ciblée et l’utilisation de matériaux stratifiés en technologie et recherche.
Article : » Identifying Electronic Doorway States in Secondary Electron Emission from Layered Materials ( Identification des états-portes électroniques dans l’émission secondaire d’électrons par les matériaux stratifiés ) » – DOI : 10.1103/qls7-tr4v