Plaidoyer pour une approche factuelle de la transition énergétique

Comprendre l’épuisement des ressources et l’illusion des prix bas

Tout d’abord, il convient de rappeler que la France est très dépendante d’énergies de stock. Sur les 258 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) d’énergie primaire qu’elle a consommées en 2011, 128 proviennent du pétrole, du gaz et du charbon (50%), 111 proviennent du nucléaire (43%).

Ces stocks sont en quantité limitée sur Terre et ne se renouvellent pas. Lorsqu’on prélève (de plus en plus) massivement dans ces stocks, ils s’épuisent (de plus en plus vite). Selon les ressources, au rythme actuel de consommation, l’épuisement arrivera d’ici quelques décennies à un siècle.

Certains proposent d’augmenter l’offre grâce aux hydrocarbures non conventionnels (gaz de schiste, etc.). Mais cette ressource est elle aussi limitée. L’exploiter nous permettrait d’alléger notre déficit commercial et nous ferait gagner quelques années avant l’épuisement total, mais ce dernier arrivera de toute manière.

Les stocks massifs, exploitables facilement et durant des années, ont déjà été utilisés. Les autres nécessitent des techniques de plus en plus complexes (donc coûteuses) et durent moins longtemps. Conjugués à une demande toujours croissante, ces facteurs rendent inéluctable la hausse du prix de l’énergie primaire, que l’augmentation de l’offre ne pourra pas compenser durablement.

Il est dès lors illusoire de miser sur un prix bas de l’énergie pour maintenir la compétitivité à moyen/long terme de la France. Les prix vont augmenter, indépendamment de toute velléité politique, et si ce n’est pas le consommateur final qui prend en charge cette augmentation, ce sera le contribuable. Dans le moins mauvais des cas, les deux personnes seront les mêmes ; dans le plus injuste socialement, les classes défavorisées ou moyennes paieront pour les gros consommateurs d’énergie.

En outre, ce n’est pas le prix de l’énergie (€/MWh) qui compte, mais la facture énergétique (€). Entre les deux, il manque le volume des consommations (MWh). Réduire cette demande est la seule façon réaliste et viable de traiter le problème : réduire notre dépendance à une ressource qui s’épuise, c’est non seulement faire des économies, mais en plus réduire notre vulnérabilité quand la pénurie arrivera.

Cesser d’utiliser de l’or là où du fer suffirait

Notre système énergétique a la fâcheuse manie de consommer des ressources trop précieuses pour l’usage qui en est fait. Pour s’en convaincre, étudions le cas des bâtiments (résidentiels/tertiaires).

Leur maintien à une température de confort (17 à 23°C), ainsi que la production d’eau chaude sanitaire (60°C) consomment chaque année environ 60 Mtep, soit 45% de notre consommation d’énergie finale (ie : facturée au client final). L’écrasante majorité de ces consommations (80%) est répartie entre le gaz (22 Mtep), l’électricité (16 Mtep), le fioul domestique (12 Mtep).

Or, les hydrocarbures (gaz, fioul) sont des briques très précieuses de l’industrie chimique, l’industrie des industries, et leur combustion permet d’atteindre des centaines de degrés. L’électricité est l’énergie la plus souple d’utilisation ; utilisée pour tous types d’activités, elle est vitale pour la circulation de l’information exigée par nos économies modernes.

Est-il acceptable que des ressources aussi précieuses, vitales pour de nombreuses activités créatrices d’emploi et de richesse, soient gâchées pour maintenir en température des bâtiments ? Dmitri Mendeleiev, père de la chimie moderne auquel on doit la fameuse classification périodique, nous dit que « quand nous brûlons du pétrole, nous brûlons de l’argent ».

A l’heure où les maître-mots des discours politiques sont « Compétitivité » et « Emploi », réserver les ressources les plus précieuses pour les activités qui ne peuvent pas s’en passer devrait être une priorité. En plus de réduire significativement nos besoins en énergie, la rénovation massive qui s’impose pour les bâtiments doit en changer les sources d’approvisionnement.

Suffisamment bien isolés, les bâtiments peuvent être chauffés avec des ressources locales et abondantes comme l’énergie solaire, la géothermie, la biomasse, les pompes à chaleur. Chaque économie de gaz ou d’électricité faite dans le bâtiment allège la contrainte sur des ressources vitales à notre industrie, tout en réduisant la facture des bâtiments et leur impact sur le climat. Un investissement clairement plus intéressant que l’augmentation de l’offre en énergie fossile.

Recycler l’énergie comme on recycle la matière

La chaleur fatale, ie fatalement rejetée dans l’environnement, est une autre manne énergétique. Les circuits de refroidissement des centrales thermiques libèrent chaque année 85 Mtep de chaleur entre 40 et 60°C. Sur les 46 Mtep consommées par les transports, seules 15 sont converties en énergie mécanique ; le reste est dissipé sous forme de chaleur. La chaleur basse température (20 à 200°C) rejetée par les industries représente entre 3 et 7 Mtep chaque année.

Au total, la chaleur rejetée dans l’environnement sans être valorisée représente près du double de l’énergie finale consommée par les bâtiments. C’est dire l’ampleur des gains potentiels en efficacité énergétique ! Néanmoins, les infrastructures actuelles rendent difficile la valorisation d’une telle manne.

Les centrales électriques classiques, de très grande taille et présentant des risques industriels, ont été historiquement installées loin des grandes villes susceptibles d’utiliser la chaleur. A l’inverse, les nouvelles centrales électriques hors nucléaire (gaz, charbon, déchets, biomasse, stockage d’énergie) devront être plus petites pour permettre leur rapprochement des villes et la revente de la chaleur produite sur des réseaux urbains.

Outre leur fonction d’équilibre du réseau électrique (une qualité de plus en plus recherchée avec la montée en force de l’éolien et du photovoltaïque), ces cogénérations, entretenues par des professionnels, remplaceraient avantageusement des milliers de chaudières individuelles, tant économiquement qu’en termes de qualité de l’air.

Enfin, l’électrification des transports, la récupération de chaleur sur des moteurs en mouvement ou en sortie d’usine font actuellement l’objet de recherches actives par les constructeurs automobiles et de grands territoires industriels nationaux.

Elles devraient faire l’objet de politiques incitatives fortes, en particulier pour accélérer leur insertion dans le marché national. Intégrer ces critères d’efficacité énergétique et d’écologie industrielle dans le code des marchés publics serait un bon point de départ.

Inventer de nouveaux business models de proximité

Certes, l’efficacité énergétique nécessite souvent des investissements. Ceux-ci peuvent être rentabilisés en quelques mois, ou pas avant 20 ans. Elle représente donc un risque financier plus ou moins fort. Mais contrairement aux dépenses (importations) énergétiques, ces investissements bénéficient à l’économie locale (emplois locaux, stabilité d’une facture moins dépendante du prix des ressources).

Le partage du risque financier est donc un axe majeur de la transition énergétique
. Il ne s’agit pas nécessairement de payer pour le consommateur (subventions) : des dispositifs de tiers-investissement, d’avance de trésorerie ou de fonds de garantie peuvent faire l’affaire. Ils pourraient être abondés par des écotaxes ou l’épargne citoyenne (salariale?), notamment avec les CIGALES (Clubs d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Épargne Solidaire).

Privilégier l’usage d’un équipement et non sa propriété
(économie de fonctionnalité) permet de répartir les investissements entre plusieurs utilisateurs. Les sociétés d’auto-partage ou de covoiturage, les initiatives d’habitat collaboratif, la mutualisation d’équipements au sein de coopératives ou de GIE, sont autant d’initiatives à développer.

Un axe fort des politiques publiques devrait être de faciliter ces initiatives entrepreneuriales. Cela relève pleinement de leurs compétences (cohésion sociale, plan climat, développement économique), et elles peuvent s’entourer d’un dense réseau d’associations d’experts.

En ces temps de restriction budgétaire, les collectivités seront évaluées sur leur capacité d’écoute des besoins et de promotion des innovations de leurs administrés et de leurs entreprises. Mobiliser les ressources locales (financières, matérielles, intellectuelles) est non seulement à leur portée -à notre portée- mais permettra en plus d’accroître leur attractivité.

L’épuisement à venir des ressources induit un changement de paradigme. Il ne s’agit plus désormais de « croître ou mourir » mais bien de « s’adapter ou mourir ». Certains secteurs, confrontés à la hausse du prix des ressources, tentent de se rattraper sur le coût du travail, ce qui les conduit à délocaliser leurs activités. La pauvreté qui en résulte détruit progressivement leur marché potentiel.

La transition énergétique va à contre-sens de cette logique. Elle vise la production de plus petits volumes, certes, mais de meilleure qualité et à plus forte valeur ajoutée, partagés entre plusieurs utilisateurs (qui peuvent du coup se les permettre), accompagnés de services de proximité. En cela, elle est plus intensive en main d’œuvre locale.

Dans ce contexte, punir les entreprises qui créent de l’emploi en France avec des taxes sur le travail représente un frein à la transition énergétique. Il paraît plus logique, pour financer les dépenses de santé, de taxer les sources de nuisances que les travailleurs. Passer d’une fiscalité du travail à une fiscalité verte, tout en stimulant l’esprit d’initiative et d’entreprise, créerait un formidable élan en faveur de l’emploi et de la protection de l’environnement.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Umwelt

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires