Chimie verte en France : bilan et perspectives

Suite à la publication du rapport du PIPAME[1] sur les mutations économiques de la chimie française, Alcimed, société de conseil et d’aide à la décision, propose de revenir sur les enjeux et les prospectives de développement de la chimie verte pour l’industrie française.

L’industrie chimique française cherche aujourd’hui à identifier les nouvelles voies de son développement. Elle est en effet confrontée à des difficultés dues au déclin de l’activité de première transformation et à celui des industries en aval soumises à de nombreux mouvements de délocalisation et de concentration.

Dans ce contexte, la chimie verte devient « un passage obligé » pour permettre à l’industrie chimique française d’offrir à ses clients traditionnels des produits plus respectueux de l’environnement et de la santé, de se positionner sur les marchés d’avenir, tels que les plastiques de hautes performances, et d’avoir un impact environnemental positif sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

L’industrie chimique française, à la 2ème place en Europe, tarde à s’imposer sur le segment de la chimie verte

La chimie verte a pour but de concevoir des produits et procédés permettant de réduire ou d’éliminer l’utilisation de substances dangereuses et néfastes pour l’environnement. Elle regroupe également l’ensemble des molécules chimiques d’origine renouvelable trouvant des applications dans les domaines de la chimie de base, de la chimie fine et de spécialité, des matériaux et de l’énergie. La chimie verte peut substituer pour tout ou partie la source fossile par une source renouvelable, à l’aide ou non de procédés de biotechnologie blanche.

Bien que second marché européen, l’industrie chimique française est jusqu’à présent peu investie dans la chimie verte, contrairement à l’industrie chimique allemande qui mène le marché. Selon Alcimed, plusieurs éléments sont responsables de ce retard :

  • La stratégie nationale en matière de chimie verte se met seulement en place à partir de l’étude réalisée par le PIPAME et récemment publiée, alors que les Etats-Unis, par exemple, ont établi leur feuille de route depuis le début des années 2000.
  • Les sites industriels sont globalement dispersés et de petite taille.
  • La France ne dispose quasiment pas de PME françaises spécialisées dans les procédés innovants, tels que pour la production d’enzymes, de procédés de fermentation…. « Cette faiblesse française est un frein majeur, notamment pour répondre au défi de la digestion de ressources ligno-cellulosiques. Les sociétés de biotechnologies sont trop fortement spécialisées dans les enjeux liés à la santé. » commente Arnaud Gabenisch, Responsable du pôle Développement Durable chez Alcimed.
  • Enfin, l’industrie chimique française a tardé à développer, pour des raisons historiques de séparation culturelle, l’articulation avec les biotechnologies européennes ou internationales.

L’étude récemment publiée par le PIPAME donne pour la première fois en France une lecture globale de ces enjeux et des pistes potentielles d’évolution et d’amélioration, telles que la création de technoparcs chimiques innovants. Il en ressort un besoin global de pilotage pour mettre en cohérence les nombreuses initiatives en cours, tant en France qu’en Europe.
Le défi à relever pour l’industrie française sera difficile et sur le long terme. Comme l’explique Arnaud Gabenisch, « l’industrie chimique française doit revoir un modèle basé sur 50 ans de pétrochimie et inscrire ses actions au sein d’une politique globale et cohérente en matière de conception, de stockage, de production et de recyclage des produits. Il est peu probable qu’elle modifie ses exigences en termes de volumes, de cahier des charges et de spécifications, mais elle est indispensable à l’intégration aval des produits sur leurs marchés finaux. Elle est en effet un maillon intermédiaire de bien d’autres chaînes de valeur industrielles et en maîtrise donc les attentes et les besoins. La coopération avec le monde des biotechnologies sera une condition sine qua non à ce que la chimie actuelle devienne une chimie durable. »

Perspectives de développement de la Chimie Verte : bio-raffineries, biomasse ligno-cellulosique, sylviculture, coopération avec le monde des biotechnologies…

La France ne manque pas d’atouts : des projets pilotes ambitieux de bioraffineries (Bio HUB Roquette, Axel One, Pivert et ARD-BRI), l’existence de nombreuses réflexions menées par l’ADEME et les groupes industriels français, notamment sur la biomasse lignocellulosique, et plusieurs pôles de compétitivité sur ce créneau (Axelera, IAR, Plastipolis, Fibres Grand Est…) et d’équipes de recherche importantes au sein de l’INRA, du CNRS, de l’INSA, du CEA et de l’IFP. Enfin, la France possède des ressources agricoles, notamment céréalières, exploitables en quantités significatives à court terme et à long terme avec un potentiel important de mobilisation sylvicole[2].

La problématique devrait donc être repensée dans son ensemble, en commençant par se fixer des objectifs en termes de réduction des émissions de CO2 et/ou d’indépendance au pétrole, ainsi qu’une échéance réalisable. Pour répondre à ces objectifs, il conviendrait de changer d’échelle dans le développement des compétences en procédés innovants, d’accélérer le développement de la chimie de la ligno-cellulose, et aussi de structurer et d’industrialiser la filière de récolte de la biomasse sylvicole. Pour réaliser ce scénario ambitieux, il faut développer, d’une part, le marché des intermédiaires et, d’autre part, celui des procédés alternatifs. En d’autres termes, la chimie française devrait subir une véritable transformation et s’appuyer sur le développement de bioraffineries intégrées à l’échelle locale, à l’instar de plates-formes multi-produits, très largement financées aux Etats-Unis par le biais du DOE[3].

« Ce scénario prendra certainement un grand nombre d’années. Il dépendra de notre capacité à poursuivre l’effort de R&D et à financer des pilotes en chimie du végétal, en chimie des procédés ou encore pour la production de matières premières secondaires adaptées. Certaines initiatives actuelles fournissent déjà un cadre d’échanges approprié : par exemple la création de l’association Chimie du Végétal en 2008, ainsi que les réflexions conduites au sein de la plate-forme SUSCHEM Europe, dont une déclinaison française a été récemment créée », conclut Arnaud Gabenisch.

[1] PIPAME : Pôle Interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations Economiques
[2] la France possède la première forêt européenne en termes de surfaces.
[3] DOE : Department of Energy : Département de l’Energie des Etats-Unis

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fredo

Ce genre de communiqué prépare toujours le versement de subventions et/ou la mise en place de programmes de recherche, voire la création d’un nouvel institut au CEA comme d’habitude cf Ines, ce qui revient au même, les trois étant sur deniers publics aux frais du contribuable. Cette approche jacobine et centralisatrice repose sur la recherche publique sur fonds publics, mais pour quels résultats? N’est-ce pas au contraire un moyen d’empêcher toute innovation en dehors de ce cadre contrôlé?Quel sera le sort de PME endehors de cedre? Par ailleurs, n’est-ce pas le meilleur moyen de servir les intérêts de quelques géants bien connus de la chimie ou de l’énergie qui n’ont aucun intérêt à sortir du Business As Usual qui leur  profite? Associer ces géants à ces programmes où ils mettent des cacahouettes déductible en credit impot recherche quand l’Etat en met 10 ou 100 fois plus, n’est-ce pas le baiser du serpent pour toute innovation? Prenons le cas de Metabolic Explorer société de Clermont-Ferrand côtée en bourse qui met au point des résines vertes, qui en est déjà à la réalisation du pilote industriel, quel intérêt a-t-elle à aller dans ce type d’initiative?Y est-elle seulement invitée? Si elle est au coeur de cette initiative, alors il s’agit d’une récupération dans les règles pour donner un pretexte à nouvelle pompe à fonds publics. Dans tous les cas, elle n’existera qu’en dehors d’un programme rassemblant “l’armée mexicaine”.