Des chercheurs ont mis au point une nouvelle catégorie de lubrifiants solides non toxiques et biodégradables qui peuvent être utilisés pour faciliter la dispersion des semences à l’aide d’équipements agricoles modernes, dans le but de remplacer les lubrifiants existants qui posent des problèmes de toxicité pour l’homme et l’environnement. Les chercheurs ont également développé un modèle analytique qui peut être utilisé pour évaluer les matériaux candidats pour les futures technologies de lubrification.
L’agriculture moderne utilise diverses machines pour planter les semences dans le sol avec précision et efficacité. Cependant, il peut être difficile d’empêcher les semences de se coincer dans ces machines. Pour que les semences circulent sans encombre, les agriculteurs utilisent des lubrifiants solides qui empêchent les semences de s’agglutiner ou de coller entre elles. Malheureusement, les lubrifiants disponibles dans le commerce utilisent du talc ou des microplastiques, et peuvent présenter des risques pour les agriculteurs, les terres agricoles et les pollinisateurs.
« Les lubrifiants sont essentiels à l’agriculture moderne, mais les approches existantes contribuent à la toxicité de nos terres agricoles, ce qui affecte la santé des agriculteurs, la santé des sols et les pollinisateurs qui sont essentiels à notre approvisionnement alimentaire », précise Dhanush Udayashankara Jamadgni, co-auteur principal d’un article sur ces travaux et doctorant à l’université d’État de Caroline du Nord. « Nous avons mis au point une nouvelle catégorie de lubrifiants solides sûrs, efficaces et non toxiques. »
« De plus en plus de recherches suggèrent que les microplastiques sont problématiques pour la santé humaine et environnementale, et nous voulions créer un nouveau lubrifiant sûr et biodégradable », explique Martin Thuo, coauteur de l’article et professeur de science et d’ingénierie des matériaux à l’université d’État de Caroline du Nord. « Nous avons fini par obtenir un produit relativement peu coûteux, efficace et qui utilise des matériaux durables et facilement disponibles. »
Le nouveau lubrifiant est dérivé de la cellulose, un matériau végétal biodégradable. Plus précisément, le lubrifiant se compose de millions de minuscules fibres mesurant entre 0,2 et 2 millimètres de long et entre 10 et 40 microns de large. La surface de ces fibres est greffée de particules hydrophobes qui repoussent l’eau. À l’œil nu, l’ensemble des fibres modifiées ressemble à une poudre.
Lorsque cette poudre est mélangée à des graines, elle réduit la friction de deux manières. Tout d’abord, la surface des fibres est plus lisse que celle des graines. En glissant entre les graines, les fibres réduisent la friction mécanique qui se produit lorsque les graines frottent les unes contre les autres. Ensuite, les particules hydrophobes à la surface des fibres repoussent l’eau adsorbée à la surface des graines, rendant les fibres encore plus glissantes. Cela permet aux graines de passer à travers les équipements agricoles sans se coincer ni s’agglutiner.
Lors des tests de validation et des essais sur le terrain avec des graines de maïs et de soja, le nouveau lubrifiant s’est révélé au moins cinq fois plus performant que les meilleurs lubrifiants commerciaux à base de talc et 25 fois plus performant que les lubrifiants à base de microplastiques.
« Et le nouveau lubrifiant surpasse encore davantage les lubrifiants commerciaux lorsqu’il est utilisé avec des graines plus petites, telles que la moutarde et le canola, ou en cas de forte humidité », ajoute Udayashankara Jamadgni.
Et ce point concernant l’humidité est important.
« À l’heure actuelle, il est difficile pour les agriculteurs de semer leurs champs lorsque l’humidité est élevée ou que le temps est humide, car cette humidité fait coller les graines entre elles et encrasse les machines. Nous avons testé notre lubrifiant dérivé de la cellulose dans des conditions humides – jusqu’à 80 % d’humidité – et il fonctionne à merveille. Cela a été confirmé par les agriculteurs qui ont utilisé notre nouveau lubrifiant lors d’essais à l’aveugle sur le terrain. Notre lubrifiant résiste très bien aux conditions humides, car les particules hydrophobes repoussent l’eau à la surface des graines et restent lisses », commente M. Thuo.
« De plus, la vapeur d’eau présente dans l’air peut s’infiltrer dans les interstices entre les particules hydrophobes à la surface des fibres et être absorbée par la cellulose, ce qui a deux effets. Premièrement, cela réduit la quantité d’humidité disponible pour faire coller les graines entre elles. Ensuite, lorsque la cellulose absorbe la vapeur d’eau, elle fait gonfler les fibres et les rend plus souples. Puis, lorsque les graines et les fibres sont agitées dans les machines agricoles, l’eau est expulsée des fibres, où elle entre en contact avec les particules hydrophobes, les rendant encore plus glissantes. »
« Nous avons également découvert un avantage supplémentaire auquel nous ne nous attendions pas du tout », déclare Udayashankara Jamadgni. « Cela tient au fait que la plupart des graines utilisées dans l’agriculture sont recouvertes d’une fine couche de nutriments et de pesticides. Lors de la plantation avec des lubrifiants conventionnels, une partie de cette couche est raclée. Les morceaux de revêtement des graines qui sont raclés sont libérés dans le système d’échappement des machines agricoles, créant un nuage toxique qui présente des risques pour les pollinisateurs, les oiseaux et les agriculteurs. »
« Nous avons été surpris de constater que notre lubrifiant dérivé de la cellulose réduit considérablement ce problème : très peu de revêtement des graines est raclé », ajoute t-il. « C’est d’ailleurs le sujet de notre prochain article. »
« De plus, nous avons découvert que nous sommes en mesure de filtrer les fibres dérivées de la cellulose présentes dans le lubrifiant à partir du système d’aspiration utilisé dans les machines agricoles pour planter les graines », observe M. Thuo. « Cela signifie que très peu de lubrifiant est rejeté dans l’environnement et que celui-ci peut être réutilisé ou éliminé de manière appropriée. Ce sujet fera également l’objet de notre prochain article. »
Parallèlement au développement du nouveau lubrifiant, l’équipe de recherche a également mis au point un outil qui sera utile pour développer de nouveaux lubrifiants à l’avenir. Plus précisément, M. Thuo et M. Udayashankara Jamadgni ont collaboré avec des experts en théorie des graphes de l’université du Michigan et de l’université de Californie du Sud.
« En substance, nous avons pu définir un espace de paramètres qui fournit un modèle analytique utilisant des techniques mathématiques basées sur des graphes afin de simplifier ce qui est un système incroyablement complexe. Et ce modèle peut aider les chercheurs à identifier rapidement des candidats prometteurs pour des applications de lubrifiants solides. » conclut M. Thuo.
L’article, intitulé « Graph Theory Based Bioderived Solid Lubricant », est publié dans la revue Matter. Le co-auteur principal de l’article est Paul Gregory de l’Université d’État de l’Iowa. Les co-auteurs de l’article sont Paul Bogdan, professeur associé de génie électrique et informatique à l’université de Californie du Sud, et Nicholas Kotov, professeur de génie chimique Joseph B. et Florence V. Cejka à l’université du Michigan. L’article a été cosigné par Andrew Martin et Alana Pauls, chercheurs postdoctoraux à NC State, Souvik Banerjee et Boyce Chang de l’Iowa State University, Xiong Ye Xiao et Kien Nguyen de l’USC, et Anastasia Visheratina et Nancy Muyanja, du Michigan. DOI : 10.1016/j.matt.2025.102474