Un nouveau catalyseur enzymatique pour produire du biodiesel

Produire du biodiesel de façon continue est désormais envisageable grâce à un nouveau catalyseur développé par une équipe du Centre de Recherches Paul Pascal (CRPP) du CNRS, en collaboration avec des chercheurs de l’Institut des Sciences Moléculaires de Bordeaux et du laboratoire de Chimie de la Matière Condensée de Paris.

Les résultats, brevetés, viennent de paraître dans la revue Energy & Environmental Science.

La production d’agrocarburants offre une alternative aux carburants d’origine fossile.

Les biodiesels par exemple sont des produits transformés à base d’huiles de plantes oléagineuses comme le colza, la palme, le tournesol ou le soja. Ils résultent d’une réaction chimique, catalysée en milieu acide ou préférentiellement en milieu basique, entre de l’huile végétale (90%) et de l’alcool (10%).

Cette réaction dite de transestérification convertit le mélange en ester méthylique (principal constituant du biodiesel) et en glycérol. Une réaction de saponification parasite (transformation de l’ester méthylique en sel de l’acide correspondant) limite ainsi le rendement réactionnel en esther méthylique. Pour améliorer le taux de conversion, il était donc nécessaire de développer d’autres catalyseurs (1).

Pour ce type de réaction, certains catalyseurs enzymatiques comme ceux appartenant à la famille des lipases (hydrolases triglycériques) sont particulièrement efficaces et sélectifs. Cependant, leur coût élevé et leur faible stabilité conformationnelle limitent leur utilisation industrielle. À moins de parvenir à les confiner, de manière irréversible, dans des matrices poreuses, permettant une bonne accessibilité et un transport de masse accru. C’est ce qu’est parvenu à faire l’équipe du professeur Rénal Backov (Université Bordeaux 1) au Centre de Recherches Paul Pascal (CRPP) du CNRS, en collaboration avec des chercheurs de l’équipe du docteur Hervé Deleuze à l’Institut des Sciences Moléculaires de Bordeaux (CNRS/Université Bordeaux 1/Institut Polytechnique de Bordeaux) et du professeur Clément Sanchez (2) au laboratoire de chimie de la matière condensée de Paris (CNRS/UPMC/ENSCP/Collège de France).

Dans une première étude, ils avaient déjà montré la possibilité d’une catalyse efficace : la mise au point de matrices alvéolaires siliceuses modifiées permettant de confiner les lipases (3) afin d’atteindre des taux de conversions exceptionnels pour les réactions d’hydrolyse, d’estérification ou de transestérification. Ce travail avait également prouvé qu’il était possible, dans les matrices, d’utiliser des enzymes non purifiées. Le fait qu’elles soient non purifiées constitue le premier facteur de réduction significative du coût des bio-catalyseurs. Néanmoins, la méthodologie développée ne permettait pas une production de biodiesel en continu. Cette limitation est désormais levée.

La nouvelle méthode mise au point génère in situ le bio-catalyseur hybride alvéolaire au sein d’une colonne de type chromatographique (4). Cette innovation permet désormais une synthèse en flux unidirectionnel, continu et de façon durable puisque l’activité catalytique et la productivité en ester d’éthyle sont maintenues à des niveaux élevés et quasi-stationnaires sur une période de 2 mois. Ces résultats comptent parmi les meilleurs obtenus dans le domaine.

Les recherches doivent se poursuivre dans la conversion de triesters sans solvant, visant à minimiser la génération de déchets et l’utilisation de solvants et de métaux lors des processus de transformations chimiques. Répondant à des problématiques actuelles énergétique et environnementale, ces travaux démontrent que les chimistes sont au service des sociétés et confirment l’atout que représente la chimie intégrative (5).

Pourquoi ça marche ?

Ces systèmes sont performants parce qu’un certain nombre de verrous technologiques ont été levés :

– le confinement des enzymes en surface de macropores (diamètres de plusieurs micromètres) les rend accessibles aux réactifs en solution, de façon continue. Le milieu macroporeux permet par ailleurs aux réactions chimiques de ne pas être ralenties par un transport diffusif de Fick, comme c’est le cas dans les matrices en surface de mésopores où la convection reste faible (entre 2 et 50nm).
– les enzymes sont mises en œuvre sous une forme non purifiées, ce qui contribue à leur stabilité et en minimise le prix de revient
– l’hybridation de la surface du support siliceux optimise les interactions enzymes substrat.
– l’hydratation naturelle du support alvéolaire siliceux améliore les activités enzymatiques par effet lubrifiant.
– la stabilité mécanique de la charpente siliceuse permet de soutenir une pression d’entrée et une perte de charge (différence de pression entre l’entrée et la sortie du réacteur en flux continu) importante sans détérioration, permettant l’emploi de débits en réactifs élevés.

Notes :
(1) Un catalyseur est un élément chimique qui exalte la cinétique d’une réaction chimique, sans se consommer au cours de la réaction (il se régénère).
(2) Le professeur Clément Sanchez est titulaire de la chaire de « Chimie des Matériaux hybrides » au Collège de France.
(3) a/ Enzyme-based hybrid macroporous foams as highly efficient biocatalysts obtained through Integrative Chemistry.
N.Brun, A.Babeau-Garcia, H.Deleuze, F.Duran, C.Sanchez, V.Ostreicher and R.Backov. Chem. Mater., 2010, 22, 4555.
b/ Catalyseurs supportés enzymatiques hybrides macrocelluaires et applications. N. Brun, A.Babeau-Garcia, C.Sanchez et R.Backov. Brevet français 2009, n° de dépôt FR 09-54634
(4) La chromatographie est une technique de séparation des constituants d’un mélange, dans le but d’identifier ou de doser certains constituants du mélange.
(5) A lire également : Chimie intégrative: une évolution des concepts de chimie douce et de chimie supramoléculaire : Consulter le site web


Références
:

> “Enzyme-Based Biohybrid Foams Designed for Continuous Flow Heterogeneous Catalysis and Biodiesel Production”, N.Brun, A.Babeau-Garcia, M.-F.Achard, C.Sanchez, F.Durand, L.Guillaume, M.Birot, H.Deleuze and R.Backov – Energy & Environmental Science, 2011
DOI:10.1039/C1EE01295A.
> Catalyseur enzymatique hétérogène, procédé de préparation et utilisation pour la catalyse enzymatique en flux continu. N.Brun, H.Deleuze, C.Sanchez et R.Backov. Brevet français 2010
N° de dépôt FR10-56099.

 

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maxxxx

Est-ce que cette nouvelle méthode par catalyse enzymatique sera plus rentable que la méthode “classique” ? (qui, malgré des pertes par saponification, garde l’avantage de la simplicité et des matières premières peu couteuses)

Pastilleverte

jouer les grincheux, il est dommage que ce genre de procédé (ou son cousin germain) ne s’applqiue à la production de biodiesel à base d’algues ou de déchéts “agro/forestiers”. La palme, le colza, le tournesol, en tant que cultures présentent quelques inconvénients, surtout si c’est pour faire du “bio” carburant; Le moindre n’en étant pas le faible rendement (même pour la palme)