L’annonce du programme INVICTUS par l’entreprise britannique Frazer-Nash marque un tournant dans le développement des technologies hypersoniques. Financé à hauteur de 7 millions d’euros par l’Agence spatiale européenne (ESA), ce projet ambitionne de concevoir un véhicule capable d’atteindre Mach 5 – cinq fois la vitesse du son – et de voler aux frontières de l’espace d’ici le début des années 2030. Son objectif : poser les bases d’un avion spatial réutilisable, capable de décoller horizontalement depuis une piste, comme un avion traditionnel.
L’initiative, menée en collaboration avec des partenaires industriels et académiques de renom – dont Spirit AeroSystems, l’université de Cranfield et des PME spécialisées –, repose sur une innovation clé : le système de pré-refroidissement de l’air, développé par Reaction Engines Ltd (REL). Ce dispositif, testé avec succès lors de précédentes campagnes expérimentales, permet de refroidir l’air entrant dans les moteurs à des températures extrêmes, évitant ainsi leur défaillance due à la friction et au chauffage par choc hypersonique. Sans cette technologie, les moteurs classiques ne pourraient fonctionner à de telles vitesses.
« Les vols hypersoniques ne sont pas seulement la nouvelle frontière de l’aéronautique – ils constituent la porte d’entrée vers un paradigme inédit de mobilité, de défense et d’accès à l’espace » , explique Dr Tommaso Ghidini, responsable du département mécanique de l’ESA. « Avec INVICTUS, l’Europe saisit l’opportunité de dominer des technologies qui redéfiniront notre manière de voyager sur Terre et au-delà. En maîtrisant une propulsion air-breathing réutilisable, nous posons les bases d’avions capables de décoller comme des avions et d’atteindre l’orbite comme des fusées – révolutionnant à la fois le transport terrestre et orbital. »
Le projet s’attache à valider la faisabilité d’un système intégré, combinant moteurs à hydrogène et pré-refroidissement, pour un premier vol en 2031. Sur 12 mois, les équipes de Frazer-Nash et de ses partenaires doivent livrer une maquette conceptuelle complète, accompagnée d’une analyse des exigences techniques, d’un plan de développement et d’une feuille de route vers la démonstration.
Un héritage technologique réutilisé
L’expertise de Reaction Engines, intégrée à Frazer-Nash via une équipe dédiée, constitue un atout majeur. Depuis une dizaine d’années, cette entreprise britannique a démontré la capacité de son pré-refroidisseur à traiter des flux d’air à des vitesses supérieures à celles atteintes par tout appareil motorisé historique. En 2019, des tests ont confirmé sa performance à des vitesses équivalentes à Mach 5, soit plus du double de la vitesse de croisière du Concorde et 50 % de plus que celle du mythique SR-71 Blackbird.
Sarah Wilkes, directrice générale de Frazer-Nash, souligne l’importance de cette synergie : « INVICTUS capitalise sur une décennie d’expérience en propulsion hypersonique. Avec un consortium solide et une expertise éprouvée, nous avons les clés pour transformer ce projet en réalité. »
Des applications stratégiques et commerciales
Au-delà de l’aspect technique, le programme s’inscrit dans une vision plus large. En combinant matériaux avancés, intelligence artificielle et systèmes autonomes, il vise à répondre à des besoins à la fois civils et militaires. L’idée est de créer un prototype réutilisable, positionnant l’Europe et le Royaume-Uni comme leaders dans l’aéronautique de demain.
Tony Forsythe, responsable de la technologie spatiale à l’Agence spatiale britannique, insiste sur les retombées économiques et stratégiques : « Ce projet bâtit sur des décennies d’innovations made in UK. Il offre des opportunités concrètes pour renforcer la sécurité nationale et stimuler la croissance économique grâce à des technologies de pointe. »
Un défi aux frontières du possible
Si les ambitions sont élevées, les obstacles restent nombreux. Les températures extrêmes, la gestion de l’énergie et l’intégration des systèmes à des vitesses hypersoniques exigent des solutions ingénieriques inédites. Cependant, les partenaires du projet misent sur une approche progressive, testant chaque composant avant d’assembler le système final.
L’ESA, quant à elle, y voit un jalon dans la quête d’une autonomie stratégique européenne. « Maîtriser une propulsion air-breathing réutilisable, c’est ouvrir la voie à des avions capables de décoller comme des avions et d’atteindre l’orbite comme des fusées », résume Ghidini.
Un enjeu mondial
Alors que les États-Unis et la Chine investissent massivement dans les technologies hypersoniques, l’Europe tente de se positionner sur un marché en pleine mutation. INVICTUS, bien que modeste en budget comparé à ses concurrents, représente une première étape vers une industrialisation à long terme.
En 2031, date cible pour le premier vol, le succès de ce programme pourrait redessiner les contours de l’aéronautique et du spatial. Jusqu’à présent, les défis techniques et financiers ont limité les réalisations à des prototypes expérimentaux. Mais avec INVICTUS, les acteurs européens entendent prouver qu’une approche collaborative et innovante peut transformer des idées en avancées concrètes.
« Ce n’est pas un rêve futuriste, mais un objectif atteignable », conclut Sarah Wilkes. « Il suffit de regarder les progrès accomplis ces dix dernières années pour mesurer ce que l’ingéniosité humaine peut réaliser. »
Source : Frazer-Nash