L’atrazine est l’un des pesticides les plus utilisés en Amérique du Nord. Des chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) ont mis au point une nouvelle méthode pour le dégrader grâce à un procédé combinant un matériau novateur et la lumière du soleil.
L’atrazine se retrouve partout dans l’environnement, jusque dans l’eau potable de millions de personnes au pays. Les traitements traditionnels des eaux potables et usées ne réussissent pas à dégrader efficacement ce pesticide. Des procédés plus récents montrent une meilleure efficacité, mais ils font appel à des produits chimiques qui peuvent laisser des sous-produits toxiques dans l’environnement.
Le professeur My Ali El Khakani, expert en matériaux nanostructurés, et le professeur Patrick Drogui, spécialiste en électrotechnologies et traitements des eaux, ont joint leurs forces pour développer un nouveau procédé écologique de dégradation de l’atrazine qui s’affranchit au maximum des produits chimiques.
« En travaillant ensemble, on est arrivé à développer un procédé de traitement des eaux auquel on ne serait jamais arrivé séparément. C’est la grande valeur ajoutée de l’interdisciplinarité en recherche », rapporte le professeur El Khakani, qui est l’auteur principal de l’étude, dont les résultats sont publiés aujourd’hui dans la revue Catalysis Today.
Les chercheurs utilisent un procédé existant, appelé photo-electro-catalyse ou PEC, qu’ils ont optimisé pour la dégradation de l’atrazine. Le processus fonctionne avec deux photoélectrodes (électrodes sensibles à la lumière) qui portent des charges opposées. Sous l’effet de la lumière et d’un potentiel électrique, ce procédé génère des radicaux libres à la surface des électrodes. Ces derniers interagissent avec les molécules d’atrazine et les dégradent. « L’utilisation de radicaux libres est avantageuse, car elle ne laisse pas de sous-produits toxiques comme le ferait le chlore. Ils sont très réactifs et instables. De plus, ils disparaissent rapidement, car leur durée de vie est très courte », explique le professeur Drogui, coauteur de l’étude.
Les défis des matériaux
Pour fabriquer les photoélectrodes, le professeur El Khakani a choisi l’oxyde de titane (TiO2), une substance abondante dans la nature, très stable chimiquement, et souvent utilisée comme pigments dans la peinture blanche ou dans certaines crèmes solaires. Habituellement, ce matériau semi-conducteur transforme l’énergie lumineuse fournie par les rayons UV en charges actives. Pour profiter de la totalité du spectre solaire, c’est-à-dire la lumière visible en plus des UV, le professeur El Khakani devait rendre le TiO2 sensible à la lumière visible du soleil. Pour ce faire, son équipe a modifié l’oxyde de titane à l’échelle atomique en y incorporant des atomes d’azote et de tungstène par un procédé plasma. Ce dopage diminue l’énergie des photons requise pour le déclenchement de la PEC.
Puisque la PEC se produit à la surface des électrodes, le traitement d’un grand volume requiert une grande surface active. Pour ce faire, l’équipe du professeur El Khakani s’est tournée vers le pouvoir de la nanostructuration de la surface des photoélectrodes. « Au lieu d’avoir une surface plate, imaginez qu’on la sculpte à l’échelle nanométrique pour créer des vallées et des montagnes. C’est ce qu’on appelle la nanostructuration. La surface active est artificiellement augmentée de plusieurs milliers de fois par rapport à la surface physique. Avec 1 g de matériel, on peut atteindre des surfaces actives entre de 50 et 100 m2, c’est la taille d’un appartement », souligne le professeur El Khakani.
L’efficacité et ses limites
Une fois les photoélectrodes élaborées et intégrées dans un réacteur PEC, l’équipe du professeur Drogui a optimisé le procédé PEC. Elle a d’abord utilisé des échantillons d’eau déminéralisée à laquelle l’atrazine était ajoutée. La PEC avec la photoélectrode éliminait environ 60 % du pesticide après 300 minutes de traitement. Les chercheurs sont ensuite passés aux échantillons d’eaux récupérés dans la rivière Nicolet (QC, Canada) à proximité des zones de cultures intensives de maïs et de soja où les herbicides sont souvent utilisés.
En utilisant les échantillons d’eaux réelles, seulement 8 % de l’atrazine était initialement dégradée. Ce faible pourcentage découle de la présence de particules en suspension qui empêchent une bonne partie de la lumière de se rendre à la photoélectrode. De plus, les espèces présentes dans la solution peuvent s’attacher à l’électrode et réduire son efficacité. En capitalisant sur son expertise dans la décontamination des eaux, l’équipe professeur Drogui a procédé à des traitements préalables basés sur la coagulation et la filtration de certaines espèces avant d’appliquer l’approche PEC. Ils ont ainsi réussi à dégrader 38 à 40 % de l’atrazine dans les échantillons réels.
L’efficacité du traitement reste relativement faible en comparaison avec l’eau synthétique, car les eaux réelles contiennent des bicarbonates et des phosphates qui piègent les radicaux libres et les empêchent de réagir avec l’atrazine. « Le traitement préalable par coagulation chimique aide à éliminer les phosphates, mais pas les bicarbonates. On pourrait ajouter du calcium pour les faire précipiter, mais on veut réduire au minimum l’utilisation des produits chimiques », rapporte le professeur Drogui.
Selon les chercheurs, leur procédé PEC optimisé pourrait donc être utilisée comme traitement tertiaire, après avoir retiré les particules en suspension et les espèces coagulables. Il faut toutefois passer par une étape de démonstration préindustrielle avant de penser à une utilisation à grande échelle. Même si la PEC a été employée pour dégrader l’atrazine, les deux équipes continuent leur collaboration pour s’attaquer à d’autres polluants émergents, et aux résidus des antibiotiques dans l’eau.
Au sujet de l'étude L'article Photo-electrocatalytic oxidation of atrazine using sputtured deposited TiO2: WN photoanodes under UV/visible light, publié dans la revue Catalysis Today, présente les résultats des travaux de recherche réalisés par Simon Komtchou, Nazar Delegan, Ahmad Dirany, Patrick Drogui, Didier Robert et My Ali El Khakani. La recherche a bénéficié du soutien du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), des Fonds du Ministère des relations internationales, francophonie et commerce extérieur (MRIFCE) du Québec et des Fonds de recherche du Québec - Nature et technologies (FRQNT) à travers leur regroupement Plasma-Québec. DOI : https://doi.org/10.1016/j.cattod.2019.04.067 À propos de l'INRS L'Institut national de la recherche scientifique (INRS) est le seul établissement au Québec dédié exclusivement à la recherche et à la formation aux cycles supérieurs. Ses professeurs et ses étudiants rayonnent dans le monde entier. En partenariat avec la communauté et l'industrie, l'INRS est fier de contribuer au développement de la société par ses découvertes et la formation d'une relève capable d'innovation scientifique, sociale et technologique.