Des moteurs lubrifiés à l’air

L’air pourrait bien servir un jour de lubrifiant aux moteurs qui propulsent les avions dans le ciel.

En effet, des scientifiques du CNRC (Conseil national de recherches du Canada) testent des roulements « sans huile » susceptibles de réduire sensiblement la consommation de carburant des aéronefs et, de ce fait, leurs émissions de gaz à effet de serre.

Pour l’instant, les turbines des avions sont lubrifiées à l’huile. Malheureusement, aux températures très élevées où elles fonctionnent le plus efficacement, l’huile perd cette glissance dont on a tant besoin. En gros, on estime qu’une turbine ainsi lubrifiée doit jusqu’au quart de son poids aux pompes, aux filtres et aux conduits qui acheminent l’huile.

Les nouveaux roulements « foil » (pour free oil, sans huile) répondent à une tendance qui se dessine dans l’industrie : augmenter la densité de puissance des turbines en les rapetissant, en les allégeant et en accroissant leur vitesse – ainsi que la chaleur qu’elles engendrent. Pareilles turbines utiliseraient moins de carburant pour soulever de plus lourdes charges, ce qui signifierait de plus gros appareils transportant plus de passagers ou de marchandises. Réduire la quantité de carburant consommée et mettre fin aux vidanges d’huile actuellement essentielles pour garantir la sécurité du vol se solderaient par une diminution des coûts d’entretien et par de nets avantages pour l’environnement.

« Nous pourrions nous débarrasser du système de lubrification et produire des moteurs plus légers qui seraient aussi plus faciles à entretenir », déclare Waldek Dmochowski, chef du groupe de tribologie et des pièces mécaniques à l’Institut de recherche aérospatiale du CNRC (IRA-CNRC), à Ottawa.

Les roulements sans huile qui lubrifient l’arbre de transmission grâce à un « coussin d’air » de quelques microns d’épaisseur sont nés sur le papier il y a environ cinquante ans. Depuis, on s’en sert fréquemment et en toute confiance dans les moteurs auxiliaires, à savoir de petites turbines utilisées pour faire démarrer les moteurs principaux des avions. Néanmoins, leur conception, qui dérive de la méthode expérimentale, relève autant de l’art que de la science, et aucune n’est encore assez solide pour fournir un moteur de pleine dimension. M. Dmochowski et son collègue Martin Conlon croient que de nouveaux matériaux et des roulements d’un type inédit pourraient « glisser » les roulements sans huile dans les turbines des aéronefs d’ici dix ou vingt ans.

« En principe, l’arbre flotte sur une fine couche d’air, un peu comme un jeu de hockey sur coussin d’air, explique M. Conlon. La différence est qu’aucune pompe n’est nécessaire pour acheminer l’air au roulement. C’est l’arbre qui fournit cet air en tournant. »

Les fabricants de roulements sans huile gardent jalousement leurs secrets, mais les chercheurs du CNRC estiment que ce mécanisme n’a rien de sorcier. Les surfaces porteuses sont faites d’une mince feuille de métal adossée à une deuxième feuille métallique ressemblant à du carton ondulé, qui enveloppent l’arbre de la turbine. La surface du roulement est couverte d’un enduit à faible friction qui lui permet au départ de glisser sur l’arbre jusqu’à ce que celui-ci tourne assez vite pour produire le coussin d’air séparant les deux éléments. La lubrification n’intervient de nouveau qu’à l’arrêt du moteur.

Lorsque la vitesse augmente, la mince surface métallique du roulement et son endos se plient et se déplacent individuellement pour maintenir la couche d’air autour de l’arbre. Les roulements de ce genre changent de forme lorsque le moteur tourne, c’est-à-dire qu’ils « se conforment » pour donner la géométrie idéale à l’espace qui les sépare.

Le laboratoire de tribologie du CNRC travaille à l’adoption éventuelle des roulements sans huile en étudiant de nouvelles méthodes pour rehausser la charge utile et atténuer les vibrations. Le banc d’essai de MM. Dmochowski et Conlon mesure la performance des roulements sur des arbres d’un diamètre maximal de 7,5 cm, jusqu’à une vitesse de rotation de 60 000 tours par minute.

Selon M. Dmochowski, les tests réalisés par le CNRC sur les propriétés et le comportement de ces roulements aideront à mieux en saisir les principes scientifiques, de sorte que leur côté « magique » cèdera la place à de solides principes d’ingénierie. « Notre laboratoire, de calibre international, est unique au monde, poursuit-il. De grands fabricants de moteurs commencent à s’y intéresser sérieusement. »

 

[Credit Image : Le technologue de l’IRA-CNRC Randy Payette examine le banc d’essai des roulements sans huile de type foil.]

         

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