Fusion thermonucléaire : nous devons dépasser l’horizon de nos propres vies !

En supposant que la demande mondiale d’énergie continue à croître au rythme actuel de 2 %, hypothèse plutôt prudente, l’humanité consommera au moins 30 Gigateps d’énergie en 2050 et en admettant que l’humanité parvienne à stabiliser à son niveau actuel ses émissions de carbone par habitant, celles-ci atteindraient tout de même 15 gigatonnes par an en 2050, sous le simple effet de l’évolution démographique mondiale (il y aura au moins 9 milliards d’habitants en 2050 selon les dernières prévisions de l’ONU).

Notre planète est désormais soumise à un triple défi : le premier est l’épuisement accéléré des réserves de combustibles fossiles (80 % de l’énergie primaire) qui seront entièrement consommées avant la fin de ce siècle, à l’exception du charbon. Le second est climatique : l’immense majorité des scientifiques pensent, en s’appuyant sur des études très solides, que l’accumulation de gaz carbonique dans l’atmosphère (+ 40 % depuis la révolution industrielle) résultant de la consommation d’énergies fossiles est la cause majeure du réchauffement du climat (même si des incertitudes subsistent quant à l’importance de ce mécanisme). Enfin, le troisième défi est la croissance économique très forte des pays émergents tels que la Chine (le premier consommateur mondial d’énergie), l’Inde et le Brésil qui font exploser la demande mondiale d’énergie.

Selon les termes de cette équation redoutable, l’humanité, si elle veut éviter une catastrophe géoclimatique de grande ampleur aux conséquences désastreuses, doit donc absolument stabiliser sa consommation globale d’énergie et décarboner massivement (au moins à 80 %) cette consommation de façon à diviser par deux ses émissions mondiales de CO2 d’ici 2050 et par quatre ou cinq d’ici 2100.

Mais il faut savoir qu’aujourd’hui, l’énergie primaire consommée par les 7 milliards d’habitants de notre planète repose pour 78 % sur l’utilisation des combustibles fossiles, pour 16 % sur celle des ressources renouvelables et pour 6 % sur les technologies nucléaires. Avec une population mondiale de 9 milliards d’habitants en 2050, nous devons donc impérativement réussir à réduire drastiquement l’utilisation des énergies fossiles, tant en proportion qu’en valeur absolue.

Mais quels que soient les efforts que le monde fera pour maîtriser ses besoins énergétiques en réduisant sa consommation à la source partout où cela est possible et en améliorant l’efficacité énergétique de nos systèmes industriels et économiques, il semble illusoire de penser que cette sobriété nouvelle suffira à elle seule, compte tenu de l’évolution démographique, à répondre à la soif mondiale d’énergie et à réduire de moitié nos émissions de CO2 d’ici 2050. Il faudra donc également développer de manière massive l’ensemble des énergies renouvelables existantes (vent, soleil, biomasse et hydraulique) ainsi que celles qui en sont encore à un stade quasi-expérimental mais recèlent un fort potentiel : énergie des mers et solaire spatial notamment. Mais ces énergies renouvelables ne parviendront pas à répondre à elles seules à l’immense soif d’énergie de l’humanité, notamment dans les vastes régions du monde qui connaissent un développement économique sans précédent.

C’est dans ce contexte qu’il faut expliquer à chacun l’immense enjeu que représente la mise au point de la fusion thermonucléaire contrôlée. Si nous parvenons à maîtriser la fusion thermonucléaire, qui repose sur l’équation d’Einstein E=MC2 établissant l’équivalence entre matière et énergie, un gramme de deutérium (isotope naturel de l’hydrogène) fusionné avec un gramme et demi de tritium nous permettra de produire environ 100 000 kWh, autant d’énergie que 10 tonnes de pétrole ou un kilo d’uranium ou encore suffisamment d’énergie pour alimenter 40 foyers français pendant un an en électricité !

Pour parvenir à domestiquer la fusion qui se produit naturellement dans notre soleil (chaque seconde, 600 millions de tonnes d’hydrogène fusionnent et se transforment en hélium, ce qui permet au soleil de dégager la chaleur et la lumière dont nous bénéficions sur Terre), la communauté internationale a uni ses efforts dans un projet unique, le projet Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor ou réacteur thermonucléaire expérimental international). Son objectif principal est d’atteindre, d’ici 2030, un gain d’énergie d’un facteur 10 avec la production d’une puissance thermique de 500 MW. Le succès d’Iter devrait ensuite déboucher sur la réalisation d’un prototype préindustriel d’ici 2050. Cette perspective mais également les avancées considérables dans la production de plasmas stables et denses depuis un demi-siècle, a convaincu 34 pays de s’associer dans le cadre de l’Organisation Iter, implantée en France, à Cadarache.

En raison de sa complexité, ce projet ITER a effectivement vu son coût doubler depuis 2001 et la contribution européenne atteint à présent 6 milliards d’euros, ce qui a provoqué il y a quelques semaines une violente polémique au Parlement européen et ravivé l’opposition à ce projet. Il s’agit certes d’une hausse très importante mais le coût annuel du projet pour l’ensemble des partenaires d’Iter représente moins de 0,5 % du budget européen pour 2011 et moins de 0,02 % du marché européen de l’énergie (moins de 0,01 % du PIB de l’Union européenne). Ce coût est-il vraiment excessif si les promesses de la fusion thermonucléaire contrôlée se concrétisent d’ici 2050, ce qui bouleverserait totalement la donne énergétique pour l’humanité et ouvrirait d’immenses perspectives de développement pour notre planète toute entière ?

En 50 ans, la performance des plasmas produits par les machines de fusion a été multipliée par 10,000. En novembre 1991, le JET (Joint European Torus) a démontré la faisabilité de la fusion en produisant de manière contrôlée une grande quantité d’énergie (plusieurs MW) à partir d’un plasma de fusion. Il reste aujourd’hui à multiplier leur performance par moins de 10 pour réaliser un réacteur capable de produire de l’énergie de manière continue.

Ces extraordinaires avancées scientifiques et technologiques démontrent donc, contrairement à ce que veulent faire croire au grand public les opposants irréductibles à la fusion thermonucléaire, que cette technologie est viable et qu’elle peut être maîtrisée. En outre, il faut le rappeler inlassablement, la fusion est radicalement différente, dans ses principes et son fonctionnement, de la fission atomique qui est la voie technologique utilisée par tous les réacteurs nucléaires produisant de l’électricité actuellement en service dans le monde.

La fusion se distingue en effet de la fission sur trois point essentiels : en premier lieu, elle ne nécessite comme combustible que de petites quantités (quelques centaines de kilo par an pour un réacteur) de deutérium dont les réserves sont quasiment inépuisables et de tritium relativement facile à produire.

Le deuxième avantage majeur de la fusion est sa sécurité intrinsèque : seule la quantité de combustible nécessaire au fonctionnement du réacteur (quelques grammes) est injectée dans le réacteur et aucun incident de fonctionnement ne peut entraîner un événement catastrophique de type Tchernobyl ou Fukushima, qu’il s’agisse d’une explosion ou d’émissions massives de radioactivité.

Troisième point, le seul élément radioactif produit par la fusion est le tritium mais son temps de vie, c’est-à-dire la période pendant laquelle il émet des rayonnements potentiellement dangereux, est très courte (environ 12 ans). En outre, la réaction de fusion ne génère pas, directement ou indirectement, de sous-produits radioactifs à très longue durée de vie et les déchets de la fusion seront à la fois très faibles en quantité et faciles à retraiter et à stocker de manière sûre. Il s’agit bien là d’une différence fondamentale car dans les futurs réacteurs à fusion, la question du retraitement et du stockage de déchets radioactifs à très longue vie (plusieurs milliers d’années) ne se pose pas alors que dans la fission nucléaire cette question est majeure et n’a toujours pas trouvé de solutions satisfaisantes.

Enfin, il faut bien comprendre que la maîtrise de la fusion thermonucléaire aura des conséquences immenses, non seulement dans le domaine de l’énergie puisqu’elle permettra la production d’une énergie propre et bon marché, mais également dans l’ensemble des secteurs d’activités économiques et industriels qui bénéficieront des retombées scientifiques considérables liées à cette avancée majeure dans la connaissance et l’utilisation de la matière et de l’énergie.

Pour toutes ces raisons, l’effort international sans précédent de recherche engagé à Cadarache avec le réacteur expérimental ITER est parfaitement justifié et il faut le poursuivre et l’amplifier sur le long terme car il fera franchir à l’humanité et à notre civilisation, comme en son temps la vapeur, le pétrole et l’électricité, une étape décisive de son développement.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par René Tregouët

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