Gratuit

Nous sommes organisés en fonction d’une situation, de forces qui nous entourent, celles de la nature. Moulins à eau et à vent : juste la peine de ramasser cette énergie fournie par la nature ; en agriculture, le soleil casse les mottes, on joue avec le gel et le soleil pour préparer le sol, on favorise le travail des micro-organismes. Combien ça coûte de faire l’équivalent avec des engins pilotés par du personnel et consommant des énergies fossiles ?

La vie microbienne dans les couches supérieures des sols joue un rôle central d’oxygénation, d’enrichissement et de structuration avec une chaîne comprenant les vers de terre, les taupes, les orvets et autres reptiles. C’est vivre avec la nature, profiter de ses éléments et des activités spontanées des habitants de la nature pour faire plus avec moins. Les services gratuits sont agaçants, car contraires à la vieille idée qu’il faut travailler pour produire, alors qu’il suffit d’observer et de faire preuve d’intelligence, en exploitant les phénomènes très puissants qui se déroulent sous nos yeux. L’apport gratuit de la nature, sous toutes ses formes, multiplie l’efficacité du travail humain. C’est faire aussi preuve de modestie, alors que l’Homme veut souvent manifester sa puissance. Pour ce faire, il ne va plus composer avec la nature, mais lui imposer sa loi. Mauvais calcul, qui l’envoie tout droit dans la malédiction du travail. Travailler avec la nature, comprendre son fonctionnement pour en tirer les fruits avec le minimum d’effort, c’est sans doute la seule manière de nourrir et de faire vivre convenablement les neuf milliards d’êtres humains qui peupleront durablement notre planète. Et pour commencer, l’important est de prendre conscience de cet apport formidable de la nature, de sa générosité, pour la cultiver, la laisser s’exprimer, et la respecter pour notre plus grand profit.

Il est vrai que la nature a son rythme, ses irrégularités, et que l’impatience est une caractéristique bien répandue au sein de l’espèce humaine. Une armoire à sécher, c’est quand même plus sûr et plus rapide que de laisser sécher le linge sur un fil !

Le cas des zone humides est particulièrement significatifs des apports de la nature : « bien que les champs cultivés représentent une surface près de 5 fois supérieure à celle des zones humides, ces dernières « rapportent » 40 fois plus à l’humanité en fonction des multiples services qu’elles rendent », nous dit le président de l’Institut français de la biodiversité, Jean-Claude Lefeuvre [1]. Les raisons en sont multiples : « Une valeur socio-économique a rapidement été associée aux différentes fonctions attribuées aux zones humides. Ces évaluations distinguent souvent « produits finis » (ressources d’origine animale ou végétale) et « services rendus » gratuitement. Parmi ceux-ci, a largement été mise en avant ces dernières années leur capacité à éliminer une partie de l’azote (notamment nitrate) provenant des bassins versants en sachant que deux processus majeurs sont impliqués dans la rétention et l’élimination de ces composés nitrés : d’une part l’absorption par la végétation et les micro-organismes du sol et, d’autre part, la dénitrification, le seul processus qui permette une élimination complète de l’azote puisqu’il transforme l’azote minéral dissous sous forme de nitrate en azote moléculaire gazeux. Par ailleurs, l’analyse de leur rôle dans le contrôle des crues a montré qu’ils rendaient « gratuitement » plus de service que de nombreux barrages écréteurs de crues construits à grands frais. On a également pu évaluer le rôle que jouent les zones humides dans la stabilisation des rivages, la protection de certains ouvrages comme les digues à la mer….Quant aux produits finis, ils vont de la coupe du roseau – encore exploité par des structures agricoles en Camargue ou en baie de Seine – aux productions de poissons des rivières et des fleuves, ce qui représente parfois la source essentielle de protéines pour différents pays en voie de développement ». Des économistes ont tenté de chiffrer le montant de ces apports gratuits, mais la tâche est difficile. Pour prendre d’autres exemples en France, on estimait, en 1998, que le secteur de La Bassée (Seine-et-Marne) joue un rôle de protection contre les inondations équivalent à un investissement de 2 milliards de francs (hors entretien), que les zones humides de la vallée de la Saône évitent une dépense de 30 à 72 MF/an pour traiter les nitrates et les pesticides [2]. On notera, pour fixer les idées à l’échelle de la planète, qu’une équipe de chercheurs, scientifiques et économistes [3] les a estimés au minimum à un ordre de grandeur équivalent au PNB mondial. Pour un euro de production marchande, la planète vous en donne au minimum un second !

Comme pour l’énergie [4], la difficulté est donc de prélever intelligemment une partie de cette richesse, et même de faire en sorte qu’elle s’accroisse régulièrement, de manière à pouvoir prélever un peu plus sans mettre en péril « la poule aux œufs d’or ». C’est le mode d’appropriation de cette richesse qui doit être examiné de près, et l’exemple donné par Jean-Claude Lefeuvre des fameux pré salés de la baie du Mont St Michel est éloquent : les marais sont bien plus productifs que les prés, mais « à la différence des agriculteurs, des chasseurs, des ornithologues et des protecteurs de la nature qui perçoivent directement, « visuellement » les « services » rendus par les marais salés pâturés, les pêcheurs, les mytiliculteurs, les ostréiculteurs ne peuvent se rendre compte, par manque de connaissances, du fait que le succès de leur productions, que leurs revenus peuvent en partie être tributaires de ces marais « ordinaires » qui, jusqu’à présent, étaient plus perçus comme une gêne qu’un atout. »

La nature est généreuse, mais sa production obéit à des lois qui traduisent des mécanismes complexes, des interactions. Les lois humaines ignorent souvent celles de la nature, et beaucoup de richesses sont ainsi perdues. La moitié des zones humides de la planète ont disparu en 30 ans. Le développement durable a besoin de ses instruments économiques, pour que l’activité humaine arrête de se substituer aux bienfaits de la nature, mais s’ingénie à les démultiplier.

Une affaire hautement rentable.

Notes :

[1] Pour une réhabilitation de la nature ordinaire : la notion de services rendus par les &eacut
e;cosystèmes. Pages 129-138. In La Charte de l’Environnement : enjeux scientifiques et juridiques. Actes du colloque du 13/03/03. Publ. MURS et AFAS. 141 p.

[2] Michel Cohen de Lara et Dominique Dron, "Evaluation économique et environnement dans les décisions publiques", rapport au ministre de l’Aménagement du territoire et de l’environnement, La documentation française, 1998

[3] Costanza et al. : The value of the world’s ecosystem services and natural capital. Nature/Vol 387/15 mai 1997. Pages 253-260.

[4] Voir la chronique Abondance, du 19 mars 2007

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Dominique Bidou

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