La commission des affaires économiques a confié à ses rapporteurs, Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau, une mission d’information sur l’énergie et l’hydrogène nucléaires. Dans un contexte de grave crise énergétique, renforcée par les perspectives d’un conflit durable en Ukraine, ils ont estimé indispensable de réaliser un point d’étape sur la sécurité d’approvisionnement électrique.
Leur constat est sans appel : l’activité de production nucléaire du groupe EDF est tombée à un niveau jamais vu depuis le début des années 1990. Le groupe a annoncé 12 arrêts de réacteurs nucléaires fin février et une production historiquement faible cette année, entre 295 et 315 térawattheures (TWh). Parmi ces arrêts, certains sont liés aux contrôles dus au phénomène de « corrosion sous contrainte » : 5 réacteurs sont actuellement l’objet de contrôles et 6 autres le seront sous 3 mois.
Cette situation :
- nuit à notre transition énergétique, le Gouvernement ayant rouvert les centrales à charbon, par un décret du 5 février 2022, au mépris de l’engagement pris par la loi « Énergie Climat » ;
- pénalise notre indépendance énergétique, Réseau de transport d’électricité (RTE) relevant un recours « quasi systématique » aux importations depuis novembre, avec des pics proches des « capacités techniques maximales » d’importation en décembre ;
- emporte de lourds risques pour les consommateurs d’énergie – ménages, entreprises et collectivités –, RTE excluant un « black out » généralisé, mais envisageant sérieusement des « coupures ciblées, locales, temporaires et maîtrisées ».
Cette situation pourrait perdurer et s’aggraver : la situation de « vigilance particulière », identifiée par RTE, court jusqu’en 2024.
Cette situation était prévisible. Ses causes sont, en partie, conjoncturelles, liées à l’impact de la crise de la Covid19 sur le « programme d’arrêts de tranche » du groupe EDF. Elles sont surtout structurelles, en raison du manque de constance et d’anticipation de la politique nucléaire du Gouvernement. Il en résulte une baisse des capacités de production nucléaire particulièrement préoccupante, alors que, par ailleurs, la France dépend, pour près de 20 % de ses approvisionnement en gaz, de la Russie.
Dans ce contexte, les rapporteurs formulent 12 préconisations, réunies en 3 axes, pour renforcer la sécurité d’approvisionnement électrique, en relançant massivement l’énergie nucléaire, aux côtés des énergies renouvelables.
Pour ce faire, ils préconisent de :
- réviser le cadre stratégique, en s’appuyant sur un cap clair, des actes concrets et des investissements massifs en direction de l’énergie nucléaire ;
- consolider le système de détection et d’intervention, sur le plan de la sécurité d’approvisionnement ;
- mobiliser tous les leviers de pilotage disponibles, en matière de production comme de consommation.
Au delà de ce point d’étape, la mission d’information sur l’énergie et l’hydrogène nucléaires poursuivra ses travaux au long cours, pour une publication de ses conclusions d’ici l’été.
Pour Sophie Primas, « l’énergie nucléaire constitue la clé de voûte de notre transition et de notre souveraineté énergétiques. Je regrette que l’Exécutif ait attendu les derniers mois du quinquennat pour s’en soucier malgré les nombreuses alertes du Sénat ! Une politique énergétique, a fortiori nucléaire, ne s’improvise pas. Elle nécessite de la constance et de l’anticipation, des investissements constants dans la recherche. L’arrêt de recherches sur la ″fermeture du cycle du combustible″, c’est à dire la réutilisation des combustibles usés, est une faute. L’enjeu est de réussir la mutation de notre système de production et de consommation d’énergie, pour atteindre la ″neutralité carbone″ à l’horizon 2050 ! »
Pour Daniel Gremillet, « l’énergie nucléaire connaît une érosion de sa production depuis 10 ans. C’est regrettable, car cette énergie est, tout à la fois, compétitive, accessible et décarbonnée ! L’Exécutif n’aurait pas dû fermer la centrale de Fessenheim, ni le projet de démonstrateur Astrid. Il aurait dû écouter le Sénat, qui anticipait une déstabilisation du programme d’″arrêts de tranche″ du groupe EDF et une flambée des prix des énergies en sortie de crise, dans le cadre de ses travaux de suivi de la Covid19, dès juin 2020 ! »
Pour Jean-Pierre Moga, « au delà des effets d’annonces, un effort d’investissement massif est attendu par le groupe EDF et l’ensemble de la filière du nucléaire. Les projets innovants d’EPR2 et de SMR, prévus pour le ″nouveau nucléaire″, doivent trouver un aboutissement concret et rapide ainsi que des financements pour placer la France à la pointe de la compétition internationale ».
Pour Jean-Jacques Michau, « aux côtés de l’énergie nucléaire, les énergies renouvelables concourent à renforcer notre sécurité d’approvisionnement. Pour passer la pointe de consommation hivernale, il nous faut préférer une production locale de biogaz au gaz fossile importé, d’autant que ce dernier induit une dépendance extérieure, dans le contexte de crise en Ukraine. Nous devons miser sur les énergies renouvelables électriques les moins intermittentes : l’hydroélectricité et l’éolien en mer. Il nous faut aussi développer le stockage de l’électricité et maîtriser sa consommation, en mobilisant à plein la performance et l’efficacité énergétiques ».
AXE I – RÉVISER LE CADRE STRATÉGIQUE
Recommandation n° 1 : Faire aboutir la relance annoncée de l’énergie nucléaire, en révisant rapidement la planification énergétique, en investissant massivement dans les réacteurs nucléaires (3e et 4e générations) et en soutenant le groupe EDF et l’ensemble des acteurs de la filière.
Recommandation n° 2 : À l’échelle nationale, intégrer la sécurité d’approvisionnement aux travaux préalables aux grands chantiers énergétiques : la « loi quinquennale » sur l’énergie de 2023, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
Recommandation n° 3 : À l’échelle européenne, garantir à l’énergie nucléaire le cadre le plus favorable possible, dans les textes en cours de discussion ou d’application : la taxonomie verte, le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » et la réforme du principe du « coût marginal ».
Recommandation n° 4 : Étendre la sécurité d’approvisionnement à l’autonomie stratégique dans le domaine minier, en envisageant l’application de ce critère dans le cadre du « bilan carbone » prévu pour les dispositifs de soutien aux projets d’énergies renouvelables.
AXE II – CONSOLIDER LE SYSTÈME DE PRÉVENTION ET D’INTERVENTION
Recommandation n° 5 : Évaluer, de manière précise et complète, l’impact de la crise de la Covid-19 et de la flambée des prix des énergies sur la sécurité d’approvisionnement, et notamment sur le parc nucléaire actuel, en accordant une attention spécifique au phénomène de « corrosion sous contrainte » ainsi qu’aux autres risques (soutenabilité du financement, résilience climatique, cyber-résilience, disponibilité des métiers et des compétences).
Recommandation n° 6 : Consolider les missions de Réseau de transport d’électricité (RTE), en matière de sécurité d’approvisionnement, et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en matière de sûreté nucléaire.
Recommandation n° 7 : Renforcer la communication entourant la sécurité d’approvisionnement, en valorisant deux indicateurs agrégés, rendant compte des émissions de gaz à effet de serre (GES) et des importations d’électricité.
Recommandation n° 8 : Renforcer l’information entourant la sécurité d’approvisionnement, en consolidant la notoriété du dispositif « ÉcoWatt » et en envisageant son extension, sur le principe, aux zones non interconnectées (ZNI) au réseau métropolitain continental.
Recommandation n° 9 : Améliorer la coopération européenne en matière de sécurité d’approvisionnement, en proposant un renforcement des échanges entre les gestionnaires de réseau, les autorités de régulation et celles de sûreté, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (PFUE).
AXE III – MOBILISER LES LEVIERS DE PILOTAGE DE LA PRODUCTION ET DE LA CONSOMMATION
Recommandation n° 10 : Renforcer l’appel d’offres sur les effacements de consommation et appliquer celui sur le stockage de l’électricité, en veillant à accorder une place spécifique aux stations de transfert d’électricité par pompage (STEP).
Recommandation n° 11 : Conforter les aides à l’efficacité énergétique pour les particuliers comme les entreprises, en confiant au service public de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH) une mission en ce sens et en consolidant le « coup de pouce thermostat » prévu dans le cadre des certificats d’économies d’énergie (C2E).
Recommandation n° 12 : Favoriser une complémentarité des énergies, à la pointe de consommation hivernale, entre l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables gazières (biogaz) ou électriques les moins intermittentes (hydroélectricité et éolien en mer).
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La commission des affaires économiques est présidée par Sophie Primas (Les Républicains – Yvelines).
Daniel Gremillet (Les Républicains – Vosges), Jean-Pierre Moga (Union Centriste – Lot et Garonne) et Jean-Jacques Michau (Socialiste, Écologiste et Républicain – Ariège) sont les rapporteurs de la mission d’information sur l’énergie et l’hydrogène nucléaires.