Celia Luterbacher
La magnonique est un sous-domaine de l’ingénierie émergent qui vise un codage de l’information à haute vitesse et haute efficacité sans la perte d’énergie qui pénalise l’électronique. Cette perte d’énergie se produit lorsque les électrons circulant dans un circuit génèrent de la chaleur, mais les systèmes magnoniques n’impliquent aucun flux d’électrons.
Au lieu de cela, un champ magnétique externe est appliqué à un aimant, perturbant l’orientation magnétique (ou ‘spin’) des électrons de l’aimant. Cette perturbation permet une excitation collective maîtrisée appelée onde de spin (magnon), qui se propage à travers l’aimant – comme une onde se propage à la surface d’un étang – tandis que les électrons eux-mêmes restent en place.
Malgré l’avantage de l’absence de flux d’électrons, les systèmes magnoniques tridimensionnels (3D) restent largement expérimentaux, car ils nécessitent généralement des champs magnétiques puissants ou des températures extrêmement basses (cryogéniques) qui les rendent incompatibles avec les dispositifs grand public.
Désormais, des chercheurs du Laboratoire des Matériaux Magnétiques et de la Magnonique à l’Échelle Nanométrique (LMGN) de la Faculté des Sciences et Techniques de l’Ingénieur de l’EPFL ont fait faire un grand pas à la magnonique vers une application réelle en éliminant simultanément le besoin de températures extrêmes et en présentant une méthodologie de fabrication 3D. En tordant physiquement des tubes nanométriques en nickel ferromagnétique, l’équipe a induit une propriété spéciale appelée chiralité, dans laquelle la symétrie d’un objet diffère de celle de son image miroir. Cette asymétrie a provoqué la circulation des magnons dans une seule direction le long de l’axe d’un tube, créant une opportunité cruciale pour coder des informations binaires et transmettre des signaux sur une puce. Par exemple, le motif d’écoulement des magnons détecté dans une torsion en spirale « droitière » pourrait représenter 0, tandis que dans une torsion gauchère, il pourrait représenter 1.
Le directeur du LMGN, Dirk Grundler, explique que cette prouesse d’ingénierie crée également une diode, un composant clé des technologies électroniques qui ne conduit les signaux que dans une seule direction. « En substance, nous avons créé une diode 3D pour les magnons qui, en même temps, peut coder des données à température ambiante. »

Entièrement compatible et reproductible en série
Le procédé de nano-ingénierie de l’équipe, mis au point par Huixin Guo et l’ancien chercheur du LMGN Mingran Xu, implique l’impression 3D d’une tige polymère torsadée et son revêtement avec une couche extrêmement fine de nickel. Alors que certains matériaux présentent spontanément des propriétés chirales à des températures cryogéniques, les scientifiques de l’EPFL ont découvert, grâce aux experts en imagerie par rayons X de l’Institut Max Planck pour la Physique Chimique des Solides et de l’installation synchrotron BESSY II en Allemagne, que leur approche basée sur la géométrie produisait un effet chiral plus fort que tout effet observé dans la nature. Des simulations et des calculs théoriques suggèrent que réduire la taille des tubes et ajuster leur courbure en spirale pourrait encore améliorer cet effet.
« Nous sommes le seul groupe au monde capable de produire ces structures en nickel, qui ne possède pas naturellement de propriétés chirales. Par conséquent, nous ‘imprimons’ essentiellement la chiralité en utilisant uniquement la géométrie 3D », résume le chercheur du LMGN Axel Deenen.
Leur procédé de fabrication, qui peut être utilisé pour produire en série les tubes ferromagnétiques, est entièrement compatible avec la technologie de puce grand public utilisée dans l’industrie de la microélectronique – aucun champ magnétique puissant, matériau spécial ou température extrême n’est requis. Bien qu’un champ magnétique soit utilisé pour ‘programmer’ les tubes et les ondes de spin, cette information magnonique est stockée sans aucune charge mobile, ce qui en fait une méthode de codage stable et non volatile.
Grundler ajoute qu’à l’avenir, ce travail pourrait faciliter l’adoption de la technologie magnonique comme moteur du calcul neuromorphique, ou inspiré du cerveau, pour l’intelligence artificielle. « Le calcul neuromorphique implémenté matériellement est essentiel pour optimiser les applications d’IA, mais comme le cerveau, cela n’a de sens qu’en termes d’architectures 3D et de faible consommation d’énergie. Notre technologie est maintenant prête à soutenir cela. »
Article : Geometry-induced spin chirality in a nonchiral ferromagnet at zero field – Journal : Nature Nanotechnology – Méthode : Experimental study – DOI : 10.1038/s41565-025-02055-3
Source: School of Engineering | STI











