« Nos résultats n’ont pas d’application claire ou directe à l’heure actuelle. Il s’agit de recherche fondamentale qui jette les bases des technologies futures en matière d’information et d’ordinateurs quantiques. Il existe un potentiel énorme pour des découvertes totalement nouvelles dans de nombreux domaines de recherche », déclare Guilherme B Xavier, chercheur en communication quantique à l’université de Linköping, en Suède.
Mais pour comprendre ce que les chercheurs ont démontré, il faut commencer par le commencement.
La dualité onde-particule : un concept fondamental
Le fait que la lumière puisse être à la fois une particule et une onde est l’une des caractéristiques les plus illogiques – et en même temps fondamentales – de la mécanique quantique. C’est ce qu’on appelle la dualité onde-particule.
La théorie remonte au 17e siècle, lorsque Isaac Newton a suggéré que la lumière était composée de particules. D’autres chercheurs contemporains pensaient que la lumière était constituée d’ondes. Newton a finalement suggéré qu’elle pouvait être les deux à la fois, sans pouvoir le prouver. Au 19e siècle, plusieurs physiciens ont démontré, au cours de diverses expériences, que la lumière était en fait constituée d’ondes.
Mais au début des années 1900, Max Planck et Albert Einstein ont tous deux remis en question la théorie selon laquelle la lumière n’est qu’une onde. Cependant, ce n’est que dans les années 1920 que le physicien Arthur Compton a pu montrer que la lumière possédait également une énergie cinétique, une propriété classique des particules. Ces particules ont été appelées photons. On en a donc conclu que la lumière pouvait être à la fois une particule et une onde, exactement comme le suggérait Newton. Les électrons et d’autres particules élémentaires présentent également cette dualité onde-particule.
Le principe de complémentarité et l’expérience novatrice
Mais il n’est pas possible de mesurer le même photon sous la forme d’une onde et d’une particule. Selon la manière dont la mesure du photon est effectuée, des ondes ou des particules sont visibles. C’est ce que l’on appelle le principe de complémentarité, développé par Niels Bohr au milieu des années 1920. Il stipule que peu importe ce que l’on décide de mesurer, la combinaison des caractéristiques des ondes et des particules doit être constante.
En 2014, une équipe de chercheurs de Singapour a démontré mathématiquement un lien direct entre le principe de complémentarité et le degré d’information inconnu dans un système quantique, ce que l’on appelle l’incertitude entropique. Ce lien signifie que, quelle que soit la combinaison d’ondes ou de particules caractéristiques d’un système quantique, la quantité d’informations inconnues est d’au moins un bit d’information, c’est-à-dire l’onde ou la particule non mesurable.
Des chercheurs de l’université de Linköping et des collègues polonais et chiliens sont parvenus à confirmer la théorie des chercheurs de Singapour à l’aide d’un nouveau type d’expérience.
« De notre point de vue, il s’agit d’un moyen très direct de montrer le comportement de base de la mécanique quantique. C’est un exemple typique de physique quantique où nous pouvons voir les résultats, mais où nous ne pouvons pas visualiser ce qui se passe à l’intérieur de l’expérience. Et pourtant, on peut l’utiliser pour des applications pratiques. C’est très fascinant et presque philosophique », déclare Guilherme B Xavier.
Innovation technique et perspectives d’avenir
Dans leur nouveau dispositif expérimental, les chercheurs de Linköping ont utilisé des photons qui se déplacent vers l’avant dans un mouvement circulaire, appelé moment angulaire orbital, contrairement au mouvement oscillant plus courant, qui est de haut en bas. Le choix du moment angulaire orbital permet de futures applications pratiques de l’expérience, car il peut contenir plus d’informations.
Les mesures sont effectuées dans un instrument couramment utilisé en recherche, appelé interféromètre, dans lequel les photons sont tirés sur un cristal (séparateur de faisceau) qui divise la trajectoire des photons en deux nouvelles trajectoires, qui sont ensuite réfléchies de manière à se croiser sur un second séparateur de faisceau, puis mesurées comme des particules ou des ondes en fonction de l’état de ce second dispositif.
L’une des particularités de ce dispositif expérimental réside dans le fait que le second séparateur de faisceau peut être partiellement inséré par les chercheurs sur le trajet de la lumière. Il est ainsi possible de mesurer la lumière sous forme d’ondes, de particules ou d’une combinaison des deux dans le même dispositif.
Selon les chercheurs, ces résultats pourraient avoir de nombreuses applications futures dans les domaines de la communication quantique, de la métrologie et de la cryptographie. Mais il reste encore beaucoup de choses à explorer à un niveau élémentaire.
« Dans notre prochaine expérience, nous voulons observer le comportement du photon si nous modifions le réglage du deuxième cristal juste avant que le photon ne l’atteigne. Cela montrerait que nous pouvons utiliser ce dispositif expérimental dans la communication pour distribuer en toute sécurité des clés de cryptage, ce qui est très intéressant », explique Daniel Spegel-Lexne, doctorant au département d’ingénierie électrique.
Légende illustration : Grâce à une nouvelle expérience, des chercheurs de l’université de Linköping, entre autres, ont réussi à confirmer une étude théorique vieille de dix ans, qui relie l’un des aspects les plus fondamentaux de la mécanique quantique – le principe de complémentarité – à la théorie de l’information. Crédit : Magnus Johansson
Article : ‘Experimental demonstration of the equivalence of entropic uncertainty with wave-particle duality’ / DOI: 10.1126/sciadv.adr2007 – Linköping University – Publication dans la revue Science Advances