Une pierre deux coups pour des usines moins polluantes

Demandez à un enfant de vous faire un dessin représentant la pollution, il vous illustrera sans doute une usine crachant d’épais nuages de fumée. Votre idée de la pollution ressemble peut-être également à cela.

Préparez-vous, car elle pourrait changer. Guy Mercier, professeur au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS, a développé un procédé qui permet de diminuer de manière draconienne le taux de CO2 émis par la fumée des cheminées d’usines. En prime, on redonne vie aux montagnes de résidus qui encombrent le paysage des régions minières.

« La hausse du taux de CO2 dans l’atmosphère est sans contredit la plus grande problématique environnementale qui existe à l’heure actuelle », déclare tout de go Guy Mercier, expert en décontamination et valorisation. Outre le secteur des transports, les industries, et particulièrement les cimenteries, les alumineries et les aciéries, sont de grandes émettrices de gaz à effet de serre.

Unique au Canada, le projet piloté par le professeur Mercier, auquel contribuent des experts en assainissement et en génie chimique et pétrolier de l’INRS et d’universités à l’étranger, consiste à capter le gaz carbonique que rejettent les cheminées des usines et à le faire réagir avec des résidus miniers, préalablement réduits en poudre et traités à la chaleur. La réaction chimique subséquente emprisonne le carbone sous forme d’un composé minéral alcalin. Il en résulte un produit ayant une valeur monétaire intéressante pour diverses industries œuvrant en assainissement des eaux et dans la fabrication de matériaux réfractaires : le carbonate de magnésium.

Une pierre deux coups pour des usines moins polluantes

[ Ikbel Mouedhen, maîtrise en science de l’eau, est une des étudiantes du professeur Mercier qui travaille dans la roulotte installée sur le terrain de la cimenterie Holcim à Joliette ]

« Nous valorisons la serpentinite, un résidu minier riche en magnésium issu de l’exploitation de l’amiante – non l’amiante elle-même! Les résidus miniers sont un réel problème au Québec, souligne Guy Mercier. Seulement dans la région de Thetford Mines et d’Asbestos, c’est deux milliards de tonnes sorties de terre, et on ne fait rien avec ça! » En instance de brevet, le procédé du professeur Mercier permet aux usines de réduire leurs émissions de gaz carbonique de presque 80 %.

Objectif : rentabilité

En plus des dommages environnementaux, polluer coûte cher, littéralement. Depuis janvier 2013, le Québec s’est doté d’une plateforme d’échange de crédits carbone, liée à la bourse du carbone de la Californie. Les grands émetteurs industriels devront payer pour les émissions de carbone excédant un certain seuil. « Notre procédé permet aux usines d’être rentables tout en séquestrant jusqu’à 15 ou 20 millions de tonnes de CO2 sans avoir à le purifier – un processus qui est particulièrement énergivore. À ce niveau, la quantité de carbonate de magnésium produite répond aux besoins du marché sans créer de surplus », explique Guy Mercier. Aux yeux des industries polluantes, réduire leurs émissions de CO2tout en retirant un bénéfice pécuniaire avec les résidus est une possibilité très séduisante. « Une particularité de notre approche est qu’on utilise directement le gaz qui sort des cheminées. Il existe d’autres procédés de réduction de CO2 destinés aux usines, mais ils ne sont pas rentables, bien au contraire… », confie le chef d’orchestre de ce projet financé par Carbon Management Canada.

La séquestration du carbone est une avenue scientifique pour la lutte au réchauffement climatique relativement récente. À l’échelle mondiale, sur les 14 milliards de tonnes de CO2 émises annuellement, seulement quatre millions sont soustraites du bilan de carbone (par la Norvège, sous la Mer du Nord). « Nous sommes encore loin d’une solution globale pour réduire les gaz à effet de serre », observe Guy Mercier.

Une pierre deux coups pour des usines moins polluantes

[ La cheminée de la cimenterie Holcim qui est branchée, grâce à des tuyaux, sur le réacteur installé dans la roulotte ]


Expansion future

Son procédé, en revanche, pourrait bien devenir un incontournable pour les industries devant diminuer leurs émissions de carbone. Réalisé avec la collaboration des professeurs Jean-François Blais (Centre Eau Terre Environnement, INRS), Sandra Kentish (Université de Melbourne) et Ian D. Gates (Université de Calgary), le projet de captation du CO2émis par les usines et de valorisation des résidus miniers est aussi possible grâce à un partenariat avec SIGMA Devtech, une firme d’experts-conseils pour jeunes entreprises de Québec.

Après de minutieuses expérimentations faites dans les laboratoires de l’INRS, le procédé est maintenant mis à l’épreuve sur le terrain et en conditions réelles, à la cimenterie Holcim à Joliette. Depuis le début de septembre 2013, deux étudiantes du professeur Mercier sont sur place, cinq jours sur sept, pour vérifier l’efficacité du procédé. L’essentiel des réactions chimiques se déroulent dans un grand récipient de 20 litres nommé réacteur. Placé dans une roulotte installée à quelques mètres d’une des cheminées, le réacteur est relié à la cheminée par une série de tuyaux. « Au cours des prochaines années, nous voudrions avoir un réacteur 100 fois plus grand afin d’être à une échelle encore plus réaliste », indique Guy Mercier.

Puisque l’équipement nécessaire à la captation du CO2 s’intègre facilement aux infrastructures industrielles actuelles, le professeur Mercier voit grand. Il songe déjà à la deuxième phase du projet, celle où les résidus du béton et de la métallurgie seront également valorisés pour réduire les quantités de dioxyde de carbone rejetées dans l’atmosphère. Même s’il faut garder en tête que « ce n’est pas une seule technologie qui pourra faire une différence, mais une panoplie », précise Guy Mercier, il est désormais possible d’entrevoir un futur où la fumée qui s’élèvera des usines ne sera plus aussi polluante qu’aujourd’hui.

Journaliste : Christiane Dupont // Photos : Guy Mercier
Source : www.planeteinrs.ca  // Article : ici

         

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