Uranium : “L’Iran se rapproche à grands pas du seuil militaire”

Le chef de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) Yukiya Amano a déclaré la semaine dernière qu’il avait reçu d’autres preuves des aspirations militaires du projet nucléaire iranien.

Défiant ces accusations, l’Iran a affirmé mercredi dernier sa volonté de faire passer sa production d’uranium de qualité supérieure dans un bunker souterrain et d’en tripler la production.

Questions & Réponses avec Bruno Tertrais :

Dr. Bruno Tertrais, expert sur les sujets liés à la prolifération nucléaire et chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), livre sa perspective sur ces derniers développements à Réalité –EU.

Aujourd’hui, quelle est la capacité de l’Iran en matière d’uranium enrichi ?

Il est essentiel de comprendre que le sabotage probable du programme de centrifugation de l’Iran via des actions secrètes – en particulier le virus " Stuxnet " – n’a pas conduit à une baisse de la quantité d’uranium enrichi produit par l’Iran.

Selon le dernier rapport de l’AIEA, la principale usine de Natanz comprend aujourd’hui près de 6 000 centrifugeuses opérationnelles organisées en 35 cascades. Si le nombre de centrifugeuses installées n’a pas augmenté, le nombre de centrifugeuses opérationnelles est en hausse.

Le taux de production mensuel d’uranium légèrement enrichi de l’Iran, actuellement de 156 kilos, est le plus élevé jamais enregistré par l’AIEA. Téhéran a aujourd’hui un stock de plus de 4 000 kilos d’uranium légèrement enrichi, ce qui lui permettrait de construire deux bombes atomiques s’il était davantage enrichi.

Par ailleurs, l’Iran a produit près de 60 kilos d’uranium enrichi à 20% dans l’usine pilote de Natanz. Ces 20% d’uranium légèrement enrichi sont prétendument produits pour alimenter le réacteur de recherche de Téhéran. En réalité, cela rapproche à grands pas l’Iran du seuil militaire : une fois enrichi à enrichi 20%, l’uranium est facilement enrichi à 90%, c’est un processus quasiment exponentiel.

Même s’il prétend que ses intentions sont purement pacifiques, l’Iran continue à rejeter l’application du protocole additionnel de l’AIEA, qui permettrait des contrôles plus poussés, ainsi qu’une disposition légale appelée Code 3.1 qui obligerait Téhéran à déclarer de nouvelles usines nucléaires bien à l’avance (ce que tous les pays font à l’exception de l’Iran). Etant donné l’absence de régime de contrôle adapté, les connaissances de l’AIEA sur le programme iranien diminuent, tel que déclaré dans son dernier rapport. Ainsi, nous ne pouvons pas exclure l’éventualité que d’autres usines d’enrichissement soient construites dans le secret.

Simultanément à son programme nucléaire, l’Iran développe des missiles balistiques qui pourraient potentiellement être utilisés pour livrer des armes nucléaires. Qu’en est-il de cet effort ?

L’Iran possède l’un des programmes de missiles balistiques les plus actifs au monde, au même niveau que la Corée du Nord et du Pakistan. Téhéran possède déjà un certain nombre de missiles Shahab opérationnels qui pourraient atteindre l’Arabie Saoudite et Israël.

Ces dernières années, l’Iran a maîtrisé deux technologies clés : la séparation de niveaux, qui permet des portées de plus de 2 000 km, et une propulsion solide, qui garantit des missiles plus fiables.

Téhéran a travaillé pendant plusieurs années à l’adaptation d’une ogive type nucléaire pour ces missiles, tel que le montrent les tests d’un modèle de missile "baby-bottle " et les preuves obtenues par l’AIEA. La logique du programme conduit l’Iran vers l’obtention d’une capacité à couvrir l’ensemble du Proche-Orient et de l’Europe d’ici quelques années.

Le chef de l’AIEA, Yukiya Amano, a écrit une lettre au chef de l’Organisation de l’Energie Atomique d’Iran lui recommandant de répondre aux demandes de l’Agence et d’accorder aux inspecteurs l’accès aux officiels et aux sites. Que signifie cette lettre ?

Il y a jurisprudence à telle lettre, mais clairement le directeur général Yukiya Amano a dérogé aux manières modérées de son prédécesseur, Mohammed El-Baradei, et a décidé de confronter l’Iran.

Vu le manque de coopération iranienne et les années de procrastination de Téhéran, c’est le bon choix et c’est tout à fait autorisé – sinon requis – par le mandat de l’AIEA. La réaction irritée de l’Iran à la suite de la lettre de Yukiya Amano montre que les autorités iraniennes comprennent qu’elles ne peuvent plus compter sur la patience du directeur général de l’AIEA, comme elles pensaient pouvoir le faire lorsque Mohammed El-Baradei occupait ce poste.

L’Iran a déjà rejeté le dernier rapport de l’AIEA en disant qu’il est fondé sur " de faux documents ". A la suite du refus continu de l’Iran de coopérer avec l’observatoire de l’ONU, quelle sera la prochaine étape de l’Agence ? Signalera-t-elle les nouvelles preuves au Conseil de sécurité de l’ONU ?

Toutes les preuves produites par les inspections et les services de renseignements qui pointent du doigt la dimension militaire du programme nucléaire iranien ont été étiquetées comme des " fabrications " par l’Iran. Attendez-vous à ce que Yukiya Amano continue à faire pression pour que l’Iran coopère davantage.

Toutefois, comme l’AIEA mettra certainement à l’ordre du jour au Conseil de sécurité le problème du non respect de la Syrie, on devrait s’attendre à ce que le conseil des gouverneurs se concentre, pour l’heure, sur le problème syrien.

Ce rapport peut-il engendrer de nouvelles sanctions internationales ?
Pas nécessairement. Il serait très difficile en ce moment même pour le Conseil de sécurité d’adopter de nouvelles résolutions de sanctions, en particulier parce que le cas syrien va certainement être saisi par le Conseil. Mais le plus important, c’est l’application réelle des sanctions déjà existantes. Par ailleurs, les Etats-Unis et l’Europe peuvent également renforcer les sanctions de leur propre chef. Des sanctions soit disant " unilatérales " se sont avérées plus efficaces que celles des Nations unies.

** Dr. Bruno Tertrais :

Chercheur à la FONDATION POUR LA RECHERCHE STRATEGIQUE (FRS). Il fut par le passé assistant particulier du directeur des affaires stratégiques au ministère français de la Défense. Dr. Tertrais est diplômé de l’Université Paris-X avec une maîtrise en droit public, un DEA en politique comparée et un doctorat en sciences politiques. Ses domaines de spécialisation incluent la prolifération nucléaire, la dissuasion nucléaire, la stratégie militaire, le terrorisme, la stratégie des Etats-Unis et les relations transatlantiques. Le Dr. Tertrais a publié plusieurs livres et recherches y compris : " Le prochain débat nucléaire de l’OTAN " (2008) ; " La dissuasion nucléaire en 2030 " (2007) ; et " Les garanties de sécurité et la dissuasion prolongée dans la région du Golfe : une perspective européenne " (2009).

[ Article publié par Réalité EU en date du 13.06.2011 ]

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Aristide

Ce serait bien quand de l’information occidentale conseille désormais le calme et la sagesse à propos de cet enjeu nucléaire-comme par exemple la tribune de 6 ambassadeurs occidentaux dans LE MONDE de fin de la semaine passée-, qu’Enerzine la relaie aussi. Sinon, on va finir par croire qu’Enerzine sélectionne ses infos, les experts qu’il interroge et se range sur les positions de Benjamin Nettanyaou, des néo-conservateurs américains, et de certains va-t-en guerre français tels que François Heisbourg, le “conseiller spécial” du centre d’influence où travaille ce Monsieur Tertrais. Les mêmes faits étaient repris dans cet article des ambassadeurs, et cela avec un autre type d’explication et de compréhension. L’honnêteté rédactionnelle d’Enerzine exigerait que les deux points de vue soient expliqués. L’honnêteté de la mise en page d’Enerzine supposerait qu’on ne mette pas en valeur une reprise partielle de l’intervention du DG de l’AIEA, alors que dans l’article, on lit ce qu’en pense un commentateur engagé. On sait que la politique du gouvernement Sarkosy est dans cette matière plus soucieuse des intérêts du gouvernement Nettanyaou, que des réels intérêts de la France, et plus iranophobe en cette matière que le président Obama lui-même. Pouvons-nous compter sur Enerzine pour ne pas prendre un parti-pris pro-israelien dans cette affaire, et ne pas contribuer à une hystérie qui de toute façon disparaîtra avec le nouveau président de la République.

enerZ

Enerzine n’a aucun parti pris. Il s’agit là de la reprise d’une interview de Bruno Tertrais réalisée par Réalités-EU. Concernant la tribune des 6 ambassadeurs occidentaux dans le Monde, nous n’en n’avons pas eu connaissance. Si vous avez en votre possession le lien vers cet article, nous sommes tout à fait disposés à le publier. La rédaction

Aristide

Vous m’avez bien compris. Remarquez qu’il y a peu vous aviez aussi laissé la parole à une position du même genre que celle de monsieur Tertrais. Donc, cela commence à être très redondant, votre sélection d’arguments dans cette affaire iranienne. La tribune des 6 ambassadeurs se lit sur lemonde.fr. Ce journal est sûrement plus confidentiel que Réalité-EU, et je comprends donc que vous ayez plus facilement accès à Realité-EU qu’au journal Le Monde… Puis-je vous faire remarquer aussi que Realité-EU s’affiche (en première page) comme une officine d’influence des journalistes, financé par des contributions discrètes dites “non-gouvernementales” (c’est sur leur website)-on se demande bien qui finance cet organisme-, et dont tous les articles “tapent sur le même clou”. Parmi ses auteurs, on trouve Claude Moniquet, un prosateur-batteleur dont le fonds de commerce (au sens strict du terme) est la lutte contre le terrorisme (c’est un peu court pour analyser le nucléaire), et le directeur israelien de la Voice of Israel (arabic service), un organisme israelien de propagande. Inutile de dire que vos sources sont bizarrement orientées. Votre déontologie de journaliste, n’exige-t-elle pas un minimum de recherche d’objectivité et de contrôle de l’exactitude de vos sources ? Ou, contrairement à ce que vous venez d’écrire, quand vous choisissez les articles que vous propose Realité-EU, vous savez que vous êtes dans le parti-pris radical pro-israelien, loin de l’objectivité ? Doit-on informer les media sur votre non-objectivité et votre parti-pris politique? Parti-pris que les professionnels de l’énergie qui vous lisent, ne souhaitent sûrement pas trouver dans leur newsletter.

Alicooper

“(ce que tous les pays font à l’exception de l’Iran)” FAUX ! Seuls 58 des 189 États membres du TNP appliquent le protocole additionnel. Et je ne vous parle pas des états qui n’ont pas signé du tout le TNP classique (comme Israël,, l’Inde et le pakistan)