Biomasse résiduelle : une nouvelle source durable de graphène ?

Biomasse résiduelle : une nouvelle source durable de graphène ?

Quand la transformation des déchets en matériaux précieux devient une opportunité de collaboration fructueuse entre l’Europe et les États-Unis.

Lors de sa visite à Princeton en 2022 dans le cadre du programme Fulbright, Ange Nzihou, expert français dans la valorisation des déchets, a présenté sa technique prometteuse pour transformer la biomasse résiduelle en graphène, matériau aux nombreuses applications allant des batteries aux cellules solaires. Son approche utilisant un catalyseur à base de fer non toxique offrait des avantages par rapport aux méthodes existantes reposant sur des produits chimiques dangereux, des métaux précieux ou des combustibles fossiles.

Mais un problème subsistait : Ange Nzihou ne comprenait pas exactement le fonctionnement du procédé. “En tant qu’ingénieur chimiste, je m’intéresse souvent aux propriétés finales des matériaux et à leurs applications concrètes, explique ce professeur émérite en génie chimique à l’IMT Mines Albi, mais pour optimiser ces propriétés, il faut comprendre ce qui se passe aux échelles nano et atomique lors de la transformation“, souligne-t-il.

C’est là qu’est intervenue Claire White, professeure associée en génie civil et environnemental et au Andlinger Center for Energy and the Environment de Princeton. Elle a apporté son expertise dans la caractérisation des matériaux à l’échelle nano et atomique pour découvrir le mécanisme permettant au fer de convertir la biomasse résiduelle en graphène.

Une découverte aux proportions nanométriques

Le graphène, feuille de carbone pur d’un seul atome d’épaisseur, est généralement produit par dépôt chimique en phase vapeur, un procédé souvent utilisé dans l’industrie des semi-conducteurs pour réaliser des revêtements uniformes. Ange Nzihou souligne que cette méthode repose fréquemment sur des produits chimiques dangereux et des technologies coûteuses. De même, les alternatives pour produire du graphène emploient généralement des matériaux toxiques ou prohibitifs, ainsi que des sources à base de pétrole.

A la recherche d’une méthode écologique pour produire du graphène, les deux chercheurs se sont tournés vers des sources sous-exploitées de biomasse comme matière première. Malheureusement, cette biomasse est riche en cellulose, polymère abondant dans les parois cellulaires des plantes, difficile à convertir en matériaux carbonés hautement ordonnés comme le graphène sans catalyseurs toxiques ou à base de terres rares, à cause de la structure et de l’agencement de ses liaisons chimiques.

Mais Ange Nzihou a découvert qu’un catalyseur à base d’oxyde de fer pouvait faire l’affaire. En insérant le fer dans la biomasse et en la chauffant dans un environnement pauvre en oxygène par un procédé de carbonisation, il a démontré qu’il était possible de transformer une biomasse riche en cellulose en un matériau final présentant de larges zones de feuillets de graphène ordonnés.

Ange avait montré que l’utilisation du fer comme catalyseur était possible, explique White. Mais la vraie question était de comprendre comment le fer assurait ce comportement catalytique“.

Claire White a alors mis à profit son expertise dans la caractérisation aux échelles atomique et nanométrique pour trouver la réponse. Grâce à des techniques comme la diffusion des rayons X, la spectroscopie Raman, la microscopie électronique en transmission et des mesures magnétiques, les chercheurs ont découvert que durant le processus de chauffage, le catalyseur d’oxyde de fer se décompose d’abord pour former des nanoparticules au sein de la biomasse. A plus haute température, lorsque la biomasse riche en cellulose commence à se dissoudre, elle précipite sous forme de feuillets de graphène à la surface des particules de fer.

Nous avons pu observer cette couche ordonnée d’atomes de carbone qui se formait autour de ces nanoparticules de fer durant le procédé“, rapporte Claire White. Étonnamment, ils ont constaté que quelques grosses nanoparticules de fer favorisaient des zones de graphène plus étendues que de nombreuses petites, indice précieux pour de futures tentatives d’augmentation d’échelle du procédé de transformation de la biomasse résiduelle en graphène.

Les chercheurs poursuivent le perfectionnement du procédé pour accroître la taille des zones de graphène pur tout en réduisant les défauts dans le matériau final.

Claire White et Ange Nzihou

Un tremplin pour des collaborations fructueuses

Cette première collaboration leur a permis de tirer parti de leurs expertises respectives pour faire progresser le domaine de l’utilisation durable du carbone, et le partenariat initial s’est depuis décliné en de multiples projets de recherche en cours.

C’est une collaboration passionnante, témoigne Claire White. Sans cela, je ne me serais jamais imaginé travailler sur ces matériaux carbonés durables, mais ces projets avec Ange m’ont donné une formidable opportunité d’élargir mes travaux et d’ajouter de nouvelles dimensions à ma recherche“.

Pour Ange Nzihou entend ainsi continuer à explorer des moyens de transformer des sources sous-exploitées de biomasse en matériaux carbonés avancés aux propriétés spécifiques pour des applications allant de l’agriculture au stockage d’énergie et à la séquestration du CO2.

En synthèse

Cette collaboration fructueuse entre un chercheur français spécialiste de la valorisation des déchets et une professeure américaine experte dans la caractérisation des matériaux a permis de mieux comprendre le mécanisme de transformation de la biomasse résiduelle en graphène par un procédé catalytique novateur, écologique et économique. Hormis des avancées prometteuses pour la production durable de ce matériau stratégique, ce partenariat ouvre la voie à de nouveaux projets transdisciplinaires entre l’Europe et les États-Unis dans le domaine de l’utilisation du carbone.

Pour une meilleure compréhension

Quel est l’intérêt du graphène ?

Le graphène est un matériau stratégique aux propriétés remarquables, avec de nombreuses applications potentielles dans les domaines de l’électronique, l’optique, les matériaux composites, le stockage d’énergie, etc. Sa production durable et à grande échelle constitue donc un enjeu économique et technologique majeur.

En quoi la méthode de Nzihou et White est-elle innovante ?

Leur procédé utilise un catalyseur à base de fer non toxique pour transformer des déchets de biomasse en graphène, contrairement aux méthodes traditionnelles reposant sur des substances dangereuses ou coûteuses. Cette approche écologique et économique ouvre des perspectives prometteuses pour une production durable de graphène.

Quels sont leurs projets de collaboration ?

Forts du succès de leur première collaboration, les deux scientifiques envisagent de nouveaux projets transdisciplinaires réunissant plusieurs experts de Princeton pour développer des stratégies innovantes d’utilisation du carbone, avec notamment des applications dans le stockage d’énergie et la séquestration du CO2.

* Deux articles, le premier publié dans ChemSusChem et l’autre dans Applied Nano Materials, qui détaillent le mécanisme et la promesse de l’utilisation du fer comme catalyseur pour transformer les déchets de biomasse, tels que les copeaux de bois et d’autres biomasses riches en cellulose, en matériaux carbonés à valeur ajoutée.

Le premier article, “Synthesis and Growth of Green Graphene from Biochar Revealed by Magnetic Properties of Iron Catalyst“, a été publié en novembre 2022 dans ChemSusChem. Le second article, “Iron Nanoparticles to Catalyze Graphitization of Cellulose for Energy Storage Applications“, a été publié en février 2023 dans Applied Nano Materials. Outre Nzihou et White, les auteurs des deux articles sont Amel Ghogia et Lina Romero Millán de l’IMT Mines Albi – CNRS.

[ Rédaction ]

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