Déchets : vers l’abandon du projet de Yucca Mountain ?

L’administration Obama semble confirmer le futur abandon du projet de stockage des déchets radioactifs de Yucca Mountain. Un groupe d’experts devrait être créé par le DOE ou le Sénat pour proposer de nouvelles stratégies. Les électriciens mettent en garde contre un abandon total du projet sans perspectives au-delà de l’entreposage actuel sur site.

En 1982, le Congrès américain a ratifié une loi ("Nuclear Waste Policy Act) rendant le Département de l’Energie (DOE) responsable d’étudier, construire et exploiter un site de stockage souterrain pour déchets nucléaires radioactifs. Ayant examiné neuf sites situés dans six Etats, le Congrès a ordonné en 1987 au DOE de ne concentrer ses efforts que sur l’examen du site de Yucca Mountain dans le Nevada. Après des années de batailles législatives, le Sénat avait approuvé le développement du site en juillet 2002, ouvrant la voie au DOE pour soumettre à l’autorité de sûreté nucléaire américaine, la Nuclear Regulatory Commission (NRC) en juin 2008, une demande de licence .

Un abandon qui ne dit pas son nom

L’annonce de la suspension du projet de Yucca Mountain, conformément à la position exprimée par Barack Obama durant la campagne présidentielle, si elle n’est pas ouvertement exprimée, ressort du cadrage de la demande budgétaire 2010 : le gouvernement ne demandera pratiquement aucun crédit sur ce projet pour l’année prochaine. De plus, la loi budgétaire 2009, votée par le Congrès début mars, l’ampute déjà de 50% de ses crédits par rapport à 2008.

Paradoxalement, alors que l’administration semble confirmer l’abandon du projet par le retrait de son financement, elle se refuse à retirer à la NRC la demande de licence pour le projet. Le DOE défend ainsi cette position en arguant que même si le projet n’est plus d’actualité, il y a beaucoup d’enseignements à tirer de son instruction, dans la perspective du ou des nouveaux sites à reconsidérer. L’instruction de la licence auprès de la NRC se poursuit donc mais souffre néanmoins des contraintes budgétaires. Ainsi, le Président de la NRC Dale Klein interrogé le 18 mars par la commission "Energie et ressources naturelles" du Sénat, a indiqué que ce budget ne couvrait qu’une partie de sa demande (46 MUSD pour 72 MUSD demandés) et ne lui permettrait pas de respecter le planning d’instruction projeté (3 à 4 ans). Plus important, pressé par une question du Sénateur McCain, Dale Klein déclarait que la NRC "ne comptait plus sur le fait que Yucca Mountain devienne une réalité".

Certains observateurs s’interrogent quant aux conséquences d’un abandon total de Yucca Mountain sur la renaissance du nucléaire aux Etats-Unis. En effet, d’après la loi de 1982, la NRC ne peut approuver de nouveaux projets de construction tant qu’une solution aux déchets n’a pas été trouvée. Cette règle dite "Waste Confidence Decision" est en cours de réexamen interne et externe (concertation avec le public) auprès de la NRC qui compte rendre sa modification cet été. La précédente règle arguait que les combustibles seraient repris à Yucca Mountain à partir de 2025 au plus tard. Pour plus de souplesse, la nouvelle règle devrait proposer que le stockage sur le site des réacteurs (comme c’est le cas aujourd’hui) pourrait intervenir de manière sûre sur une période prolongée et constituer une solution d’attente autorisable, sur une période de 60 ans après la fin d’exploitation du réacteur. Elle retirerait également la date spécifiée de 2025 à laquelle un centre de stockage aurait dû être ouvert.

D’autres options examinées… sous l’oeil vigilant des électriciens

Parallèlement, le Secrétaire d’Etat à l’Energie, Steven Chu, a annoncé la création d’un groupe de 9 experts scientifiques ("blue-ribbon panel"), chargés de proposer des scénarios de substitution à Yucca Mountain : stockage intérimaire, centres de stockages régionaux, recyclage-retraitement…. La désignation des membres de ce groupe devrait intervenir rapidement. Ils disposeront d’un an (selon Steven Chu) ou de deux (selon un projet de loi au Sénat), pour rendre leurs recommandations. Selon le projet du Sénat, le panel serait composé de 5 démocrates et de 4 républicains. Son président serait désigné de manière conjointe par le Président du Sénat et la Présidente de la Chambre des Représentants.

La création de ce groupe est soutenue dans ses grandes lignes par le Nuclear Energy Institute (NEI) qui regroupe les électriciens du nucléaire, lequel a pris acte de la nouvelle politique, mais s’inquiète d’une politisation trop marquée du panel. Cependant le NEI a prévenu que si l’abandon de Yucca Mountain devait être définitif, les électriciens qui payent depuis 1982 une taxe de $0,1 cent sur le KW/h pour financer la prise en charge de leurs déchets par le DOE (prévue avant 1998 !), demanderaient le réajustement de cette taxe, voire réclameraient le remboursement des montants non utilisés (une vingtaine de milliards d’USD sur les trente prélevés à ce jour).

La gestion des déchets aux Etats-Unis est une question donc loin d’être réglée.
Le maintien du dépôt de la licence auprès de la NRC, peut-être vu comme un moyen pour l’administration de se prémunir, durant quelques années additionnelles, contre les actions des électriciens qui pourraient demander des sommes considérable pour rupture de contrat au DOE. Ce retour en arrière, ne devrait néanmoins pas trop avoir d’influence sur la construction de nouvelles centrales, une nouvelle "waste confidence" étant sur le point d’être publiée et les électriciens ayant déjà conclu de nouveaux contrats avec le DOE pour les déchets relatifs aux nouvelles centrales. Toutefois, le manque de solution sur le long terme constitue un élément négatif, en terme d’image et aussi de perception du risque, pour les investisseurs.

 

BE Etats-Unis numéro 159 (27/03/2009) – Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58419.htm

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marcob12

Il semble évident que la nouvelle administration ne veut pas (a minima) faciliter les choses à l’industrie nucléaire. Aucune mention dans le volet énergétique d’Obama, exclusion de 50 milliards de prêts garantis du plan de relance et maintenant coup d’arrêt sur le projet de stockage des déchets. J’ai vu sur un site US qu’on souhaitait que chaque Etat gère ses propres déchets plutôt que l’imposer à un Etat (le Nevada) sans centrale… Si chaque centrale doit devenir un dépôt de déchets radioactifs de façon durable après son arrêt, les candidats à une implantation ne vont pas se bousculer et chaque Etat regardera d’un peu plus près des solutions alternatives de plus en plus évidentes. Là-bas comme ici on ne connaît toujours pas le coût du démantèlement des centrales et de la résolution définitive du problème des déchets. Par contre on connaît le coût du kwh nucléaire : le moins cher. Si après un demi-siècle d’exploitation on stocke localement les déchets pendant 50 ans avant de toucher à la centrale, le coût annuel sera faible. Mais le coût total de la filière est plus que jamais une devinette aux enjeux majeurs…

renewable

On parles des USA mais nous avons une beau problème bien de chez nous, à savoir ou vas-t-on enfouir nos déchets en attendant que la science nous permette de les utiliser à nouveau?