La supraconductivité à haute température est l’un des grands mystères de la physique moderne : certains matériaux conduisent le courant électrique sans aucune résistance, mais seulement à très basse température. Trouver un matériau qui reste supraconducteur même à température ambiante déclencherait une révolution technologique. C’est pourquoi des chercheurs du monde entier s’efforcent de mieux comprendre ces matériaux.
Une étape importante vient d’être franchie à l’Université technique de Vienne (TU Wien). Une classe particulièrement intéressante de supraconducteurs à haute température, les cuprates, présente un effet très surprenant : dans certaines conditions, les électrons de ces matériaux ne peuvent se déplacer que dans certaines directions. Les directions autorisées peuvent être visualisées sous forme de courbes, appelées « arcs de Fermi ». Ces arcs peuvent être visualisés à l’aide de la lumière laser, qui élimine spécifiquement les électrons du matériau. Une équipe de l’Institut de physique des solides de la TU Wien est parvenue à développer des modèles théoriques et numériques qui expliquent cet effet : il est causé par les interactions magnétiques entre les électrons de différents atomes.
De nombreuses questions sur la supraconductivité à haute température restent sans réponse
Les explications de la supraconductivité existent depuis longtemps : le prix Nobel a été décerné en 1972 pour la « théorie BCS », qui permet de décrire mathématiquement la supraconductivité dans les métaux. Toutefois, cette théorie échoue lorsqu’il s’agit de matériaux particulièrement intéressants qui permettent la supraconductivité même à des températures relativement élevées (bien qu’encore assez basses pour l’homme). Parmi ces matériaux figurent les cuprates, des composés contenant du cuivre qui comptent parmi les matériaux supraconducteurs les plus étudiés à l’heure actuelle.
« En examinant ces matériaux, nous découvrons toute une série de phénomènes inexpliqués qui sont souvent étroitement liés », a déclaré Alessandro Toschi, qui a coordonné le projet de recherche avec Karsten Held. L’un de ces phénomènes est l’« arc de Fermi ».
Il est possible d’ajouter des électrons supplémentaires aux supraconducteurs à haute température et de mesurer ensuite comment ces électrons se déplacent dans le matériau – ou, pour le dire du point de vue de la physique quantique, quels états quantiques ces électrons peuvent prendre. Lors de ces mesures, les chercheurs ont eu une surprise : « Le matériau ne permet que certaines directions de mouvement », explique Matthias Reitner (TU Wien). « Cela signifie que les électrons ne peuvent se déplacer que dans certaines directions. Les états autorisés par la physique quantique se situent sur une courbe (un arc de Fermi) qui se termine brusquement à certains endroits – un comportement extrêmement atypique qui ne peut être expliqué par les modèles théoriques conventionnels. »
Modèle d’échiquier antiferromagnétique
L’équipe de la TU Wien – Paul Worm, Matthias Reitner, Karsten Held et Alessandro Toschi – est toutefois parvenue à expliquer théoriquement ce comportement surprenant. Ils ont mis au point des simulations informatiques complexes ainsi qu’un modèle analytique qui décrit le phénomène à l’aide d’une formule simple.
« La clé de l’effet est une interaction antiferromagnétique », explique Matthias Reitner. L’antiferromagnétisme signifie que la direction magnétique d’un atome est de préférence alignée dans la direction opposée à celle de l’atome voisin. « Dans les cuprates que nous avons modélisés, il s’agit d’une interaction antiferromagnétique à longue portée », explique Matthias Reitner. « Les moments magnétiques des électrons sur différents atomes s’alignent donc sur de longues distances de telle sorte que l’orientation magnétique des électrons alterne toujours entre une direction et l’autre – comme sur un échiquier, où chaque champ est coloré différemment de ses voisins directs ».
L’équipe de recherche a pu montrer que ce schéma magnétique conduit ensuite à l’étrange comportement des électrons en fonction de la direction.
« Pour la première fois, nous avons pu présenter un modèle théorique pour la fin abrupte des arcs de Fermi et expliquer pourquoi le mouvement des électrons dans ces matériaux n’est possible que dans certaines directions », explique Paul Worm. « Cette avancée nous aide non seulement à mieux comprendre certains des mystères non résolus des supraconducteurs à haute température, mais elle pourrait également faire progresser la recherche future sur des matériaux présentant des propriétés non conventionnelles similaires. »
En synthèse
Cette avancée significative dans la compréhension des supraconducteurs à haute température représente une étape cruciale pour la physique moderne. L’explication du comportement des arcs de Fermi et du mouvement directionnel des électrons dans les cuprates ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de matériaux supraconducteurs à température ambiante. Bien que cette découverte ne résolve pas tous les mystères de la supraconductivité, elle fournit un cadre théorique solide pour les futures recherches dans ce domaine. Le modèle antiferromagnétique développé par l’équipe de la TU Wien constitue un pont important entre la théorie et les observations expérimentales.
Pour une meilleure compréhension
Qu’est-ce que la supraconductivité à haute température ?
C’est un phénomène où certains matériaux conduisent le courant électrique sans résistance à des températures plus élevées que les supraconducteurs conventionnels, mais encore relativement basses pour l’homme.
Que sont les arcs de Fermi ?
Ce sont des courbes qui représentent les directions autorisées dans lesquelles les électrons peuvent se déplacer au sein des matériaux supraconducteurs. Ces arcs peuvent être visualisés grâce à la lumière laser.
Pourquoi l’antiferromagnétisme est-il important dans cette découverte ?
L’antiferromagnétisme explique comment les moments magnétiques des électrons s’alignent sur de longues distances, créant un motif similaire à un échiquier qui influence directement le mouvement des électrons.
En quoi cette découverte diffère-t-elle de la théorie BCS ?
Contrairement à la théorie BCS de 1972 qui explique la supraconductivité dans les métaux simples, cette nouvelle approche théorique explique spécifiquement le comportement des cuprates et leurs propriétés uniques.
Quelles sont les implications futures de cette découverte ?
Cette avancée pourrait accélérer le développement de nouveaux matériaux supraconducteurs et contribuer à la compréhension d’autres phénomènes quantiques similaires dans différents matériaux.
Source : TU-Wien / Traduction Enerzine.com