Economie verte et marché du carbone : nouveaux moteurs de la croissance mondiale

Ce qui signifie que la Terre a besoin actuellement d’un an et trois mois pour produire tout ce qui est consommé dans le monde en une année. Et cette date d’épuisement des ressources annuelles naturelles de la Terre – dénommée Earth Overshoot Day – tombe de plus en plus tôt car notre consommation ne cesse d’augmenter, souligne cet organisme. Chaque année, le Global Footprint Network calcule l’empreinte écologique de l’humanité – la pression exercée sur les cultures, les forêts, les ressources halieutiques, etc – et la compare avec la capacité des écosystèmes à régénérer ces ressources et à absorber les déchets produits.

Le 23 septembre, nous utilisions déjà 15 % de plus de ce que la Terre pouvait produire annuellement. Ainsi, les arbres sont abattus plus rapidement que d’autres ne repoussent et les poissons pêchés plus vite qu’ils ne peuvent se reproduire. Sous l’effet de la déforestation, 13 millions d’hectares disparaissent chaque année.

Coïncidence troublante : le jour de la sortie de ce rapport alarmant, les Nations Unies publiaient une étude de référence sur l’émergence d’une "économie verte" au niveau mondial et de son impact sur le monde du travail. Cette étude montre que les efforts déployés pour faire face au changement climatique pourraient générer des millions de nouveaux "emplois verts" dans les décennies à venir.

Le nouveau rapport intitulé "Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone) indique que l’évolution de l’emploi et de l’investissement liée aux actions entreprises pour faire face au changement climatique et à ses effets ont déjà généré de nouveaux emplois dans de nombreux secteurs et économies et pourraient créer des millions d’autres emplois, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en développement.

Toutefois, le rapport indique également que le processus de changement climatique déjà en cours va continuer de produire des effets négatifs sur les travailleurs et leurs familles, en particulier ceux qui gagnent leur vie dans l’agriculture et le tourisme. A ce titre, les mesures prises pour faire face au changement climatique, ainsi que pour traiter de ses effets, sont urgentes et devraient être conçues de manière à créer des emplois décents.

Même si le rapport est généralement optimiste quant à la création de nouveaux emplois pour répondre au changement climatique, il signale que nombre de ces nouveaux emplois risquent d’être "rebutants, dangereux et difficiles". Les secteurs préoccupants à cet égard, notamment dans les économies en développement, incluent l’agriculture et le recyclage où les contrats précaires, les faibles rémunérations et l’exposition à des matériaux dangereux pour la santé sont fréquents et sont autant de secteurs qui doivent évoluer rapidement.

Qui plus est, le rapport précise que trop peu d’emplois verts sont créés pour les plus vulnérables dans le monde : les 1,3 milliard de travailleurs pauvres (43 pour cent de la main d’oeuvre mondiale) dont les revenus sont trop faibles pour les hisser eux et leur famille au-dessus du seuil de pauvreté de 2 dollars par personne et par jour, ou les quelque 500 millions de jeunes qui vont devoir chercher un emploi au cours des dix prochaines années.

Les emplois verts réduisent l’impact environnemental des entreprises et des secteurs économiques, pour finalement le ramener à un niveau viable. Le rapport se concentre sur les "emplois verts" qui, dans l’agriculture, l’industrie, les services et l’administration, contribuent à préserver ou à restaurer la qualité de l’environnement. Il plaide également en faveur de mesures pour garantir que ces emplois verts constituent des "emplois décents", contribuant à réduire la pauvreté tout en préservant l’environnement.

Le rapport indique que le changement climatique en soi, l’adaptation qu’il nécessite et les efforts pour l’endiguer en réduisant les émissions ont de profondes implications en matière de développement économique et social, de modèles de production et de consommation et donc en matière d’emploi, de revenus et de réduction de la pauvreté.

Ces conséquences sont à tout à la fois porteuses de risques et de promesses pour les populations actives de tous les pays, mais particulièrement pour les populations les plus vulnérables dans les pays les moins avancés et dans les petits Etats insulaires.

Le rapport plaide en faveur d’une "transition juste" pour ceux qui sont affectés par la mutation vers une économie respectueuse de l’environnement et pour ceux qui doivent s’adapter au changement climatique en procurant des alternatives économiques et des opportunités d’emploi aux entreprises et aux travailleurs.

Selon le rapport, un dialogue social fructueux entre gouvernement, travailleurs et employeurs est indispensable, non seulement pour apaiser les tensions et encourager des politiques économiques sociales et environnementales mieux renseignées et plus cohérentes, mais aussi pour que tous les partenaires sociaux soient impliqués dans l’élaboration de telles politiques.

Parmi les faits saillants tirés du rapport : Le marché mondial des produits et services liés à l’environnement devrait doubler pour passer de 1370 milliards de dollars par an actuellement à 2740 milliards de dollars vers 2020, selon une étude citée par le rapport.

La moitié de ce marché concerne l’efficacité énergétique et l’autre moitié les transports durables, l’approvisionnement en eau, l’assainissement et la gestion des déchets. En Allemagne par exemple, la technologie environnementale devrait quadrupler pour atteindre 16 pour cent de la production industrielle vers 2030, l’emploi dans ce secteur surpassant ainsi celui des grandes industries du pays, à savoir l’automobile et les machines-outils.

Les secteurs particulièrement importants en termes d’impact environnemental, économique et d’emploi sont la fourniture d’énergie, en particulier les énergies renouvelables, le BTP, les transports, les industries lourdes, l’agriculture et la foresterie.

Aux Etats-Unis, le flux investi dans les technologies propres constitue déjà le troisième secteur d’investissement en capital risque après l’information et les biotechnologies, pendant qu’en Chine, le capital risque investi dans les technologies propres a plus que doublé ces dernières années, atteignant 19 pour cent du total des investissements.

Ces dernières années, 2,3 millions de personnes ont trouvé du travail dans le seul secteur des énergies renouvelables, et le potentiel de croissance de l’emploi dans ce secteur est énorme. Le nombre d’emplois dans les énergies alternatives pourrait grimper jusqu’à 2,1 millions dans l’éolien et 6,3 millions dans le solaire thermique d’ici 2030.

Les énergies renouvelables génèrent davantage d’emplois que les énergies fossiles. Les prévisions d’investir 630 milliards de dollars d’ici à 2030 devraient se traduire par au moins 20 millions de postes supplémentaires dans ce secteur.

Dans l’agriculture, 12 millions de personnes pourraient être employées dans la biomasse utilisée pour l’énergie et les industries qui y sont liées. Dans un pays tel que le Venezuela, un mélange de 10 % d’éthanol dans les carburants pourrait générer un million d’emplois dans le secteur de la canne à sucre d’ici 2012.

Cette étude montre qu’une transition mondiale vers des bâtiments économes en énergie pourrait créer des millions d’emplois, de même que « l’écologisation » des emplois existants pour un grand nombre des 111 millions de personnes qui travaillent déjà dans le secteur de la construction. Les investissements réalisés pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments pourraient créer de 2 à 3,5 millions d’emplois verts supplémentaires en Europe et aux Etats Unis, avec un potentiel bien plus élevé dans les pays en développement.

Le recyclage et la gestion des déchets emploient aujourd’hui quelque 10 millions de personnes en Chine et 500 000 au Brésil. Ce secteur devrait se développer rapidement dans de nombreux pays face à l’augmentation des prix des denrées de première nécessité. Le rapport donne des exemples de création massive d’emplois verts à travers le monde tels que : en Chine, 600 000 personnes sont déjà employées dans des produits de fabrication et d’installation d’énergie solaire tels que les chauffe-eau solaires.

Les conséquences de la pollution pour la société, comme la dégradation de la santé, doivent être reflétée dans les prix pratiqués sur le marché. Les emplois verts doivent donc être des emplois décents », précise le rapport.

Le rapport recommande un certain nombre de voies vers un avenir plus durable en orientant les investissements vers des mesures peu coûteuses qui devraient être envisagées immédiatement, comme notamment : évaluer le potentiel de création d’emplois verts et en suivre le progrès pour dresser une feuille de route pour les politiques et les investissements ; remédier à la pénurie de compétences en la matière en répondant aux besoins de qualifications parce que les technologies et ressources disponibles pour les investissements ne peuvent être efficacement déployées qu’avec des entrepreneurs compétents et des travailleurs qualifiés ; et garantir la contribution des entreprises individuelles et des secteurs économiques à la réduction des émissions de gaz à effet de serre avec des initiatives de gestion de main d’oeuvre qui favorisent les lieux de travail écologiques.

Le rapport constate que c’est lorsque le soutien politique au plus haut niveau a été solide et cohérent que les marchés ont le plus prospéré et que les transformations ont le plus progressé. Ce soutien a notamment pris la forme d’objectifs, d’amendes et d’incitations telles que les lois « feed-in » (tarif minimum garanti pour les énergies renouvelables), de normes d’efficacité pour les bâtiments et les appareils, ainsi que d’un secteur de recherche et développement dynamique.

Le rapport précise que l’obtention d’un nouvel accord approfondi et décisif sur le climat lors de la Conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur le climat à Copenhague fin 2009 sera vitale pour accélérer l’essor des emplois verts.

Il faut enfin souligner l’impact décisif, sur le décollage de l’économie et des technologies vertes de l’intégration de la valeur carbone dans l’économie mondiale. Le marché mondial du dioxyde de carbone a plus que doublé en 2007 par rapport à l’année 2006, et a pris une valeur de 64 milliards de dollars, d’après les indications de la Banque Mondiale. D’ici 2020, le marché mondial du carbone pourrait atteindre 565 milliards de dollars US selon Point Carbon.

Ce marché du carbone, en pleine mutation, devrait encourager les entreprises à se détourner des industries très polluantes à base d’énergies fossiles, comme le charbon, pour choisir des techniques moins polluantes, comme le gaz naturel et les énergies renouvelables. Dans l’hypothèse d’un baril à 135 dollars, le prix de marché pour le carbone serait de 75 dollars la tonne, soit trois fois son niveau de cotation actuel.

Un rapport publié en juin 2008 par le Centre d’analyse stratégique indique que la tonne de CO2 devrait se situer à 56 euros en 2020, à 100 euros en 2030 et à 200 euros en 2050. L’étude se base sur « la valeur tutélaire » du carbone, c’est-à-dire celle qui, au-delà de la valeur actuelle de marché, intègre le niveau de l’engagement européen dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Autre élément poussant à une hausse des cours du carbone, la prochaine entrée en vigueur de la phase II du système d’échange européen, qui deviendra contraignant : les entreprises dépassant leurs quotas devront racheter des permis d’émissions pour les ramener au niveau précédent. L’Union européenne a raison de penser que l’application obligatoire de ce marché est essentielle pour que les industriels prennent cette politique du carbone au sérieux.

Avec la réforme du système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) et l’explosion du marché mondial du carbone, le CO2 va devenir, aux côtés du pétrole, du charbon et du gaz, l’une des matières premières les plus surveillées du monde. La mutation en cours est décisive car elle marque la fin de la gratuité pour les émetteurs de CO2. Les gouvernements, en particulier celui des Etats-Unis, devront rejoindre l’Europe pour créer un marché global du carbone, et les entreprises du monde entier devront accepter le prix du marché.

Un prix du carbone plus élevé forcera les entreprises à changer radicalement leur modèle économique (ce qui a déjà commencé parmi les grands groupes de services publics européens). Celles qui démarreront les premières seront gagnantes. Les directions des entreprises et leurs conseils d’administration seront économiquement obligés de tenir compte du prix du carbone dans leurs modèles et leurs plans stratégiques.

Cet ajustement va aussi entraîner une meilleure répartition du capital. Des décisions de fonds commencent à être prises aux Etats-Unis, où des projets basés sur le charbon ont été abandonnés en raison du futur coût des émissions. Les banques américaines Citibank, JPMorgan, Morgan Stanley et Bank of America ont signé cette année une “charte du carbone” qui prévoit notamment un refus de prêter à des groupes aux émissions élevées dont le projet financier ne prend pas en compte le coût futur des émissions. Le gouvernement américain est parvenu à la même conclusion. Et les compagnies d’assurance révisent les polices accordées aux gros pollueurs en relevant le coût du risque.

Cette montée inexorable du prix du carbone va donc agir comme un puissant catalyseur et accélérer le développement des énergies renouvelables et la mutation vers une économie durable reposant sur l’efficacité énergétique et la valorisation des connaissances. Nous pouvons subir cette évolution inéluctable et la nier. Dans ce cas, notre pays ressortira de cette mutation historique durablement affaibli et appauvri. Mais nous pouvons au contraire considérer comme une chance extraordinaire ce basculement de civilisation et l’anticiper en devenant un pays pionnier en matière de croissance écologique, d’utilisation des énergies renouvelables et de valorisation de notre capital cognitif.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par René Tregouët

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