Des scientifiques de l’EPFL conçoivent des cadres de ruche robotisés pour localiser les réserves de miel dans les ruches sans recourir à des caméras. Objectif: développer des outils correspondant à la façon naturelle des abeilles d’occuper l’espace pour étudier leur comportement.
Cyril Monette est fasciné par le comportement de groupe. Après avoir étudié comment des insectes comme les cafards prennent des décisions collectives, le doctorant de 3e année au laboratoire Mobots de l’EPFL s’intéresse à un insecte très utile et beaucoup moins répulsif: l’abeille domestique. Et il le fait à l’aide de la robotique.
Les abeilles se regroupent naturellement en forme de grappe au cœur de la ruche, à l’intersection des multiples cadres de rayons. Cette configuration en grappe est probablement optimale pour les abeilles, mais les ruches d’observation mises au point par la communauté scientifique n’étudient qu’un ou deux cadres isolés à la fois, ce qui oblige les abeilles à occuper un disque plat.
«La ruche d’observation isolée a été construite de cette manière pour permettre une observation automatisée grâce à des caméras ou une observation directe», indique Cyril Monette qui aimerait proposer un moyen d’étudier le comportement des abeilles en rapport avec les réserves de miel, mais dans un environnement qui respecte leur instinct de regroupement dans l’espace. «Si nous n’offrons pas un environnement qui permet aux abeilles de se comporter naturellement, les observations ne peuvent qu’approximer le comportement des colonies intactes et fortes.»
Utilisation des propriétés thermiques du miel
Pour supprimer les caméras, l’équipe du Laboratoire Mobots a mis au point un cadre de ruche robotisé thermique sur lequel les abeilles peuvent créer des rayons. Le cadre robotisé se compose de 64 capteurs de température capables de mesurer la température dans 10 zones distinctes qui peuvent être chauffées séparément. Les abeilles fabriquant des rayons des deux côtés du cadre, cela correspond à 20 zones de rayons par cadre où les abeilles peuvent potentiellement stocker du miel. L’idée est d’abord de localiser les réserves de miel et d’évaluer la quantité de miel présente dans ces 10 zones au fil du temps, puis d’étudier le comportement des abeilles par rapport à cela.
«Nous souhaitons étudier la relation entre le déplacement des abeilles, leur cycle de vie et les corrélations avec la localisation du miel dans la ruche sur la durée. Notre premier défi a été de mesurer avec précision la quantité de miel par zone, en l’absence d’abeilles vivantes, ce que nous avons réussi à réaliser grâce aux propriétés thermiques du miel», précise Cyril Monette.
En raison de ses propriétés thermiques particulières, le miel se réchauffe et se refroidit différemment par rapport à un rayon vide. En envoyant une impulsion de chaleur par incréments de +1, +3 ou +5 degrés Celsius, les chercheuses et chercheurs sont en mesure de caractériser la réaction thermique d’une zone de rayon remplie de miel et donc d’en déduire la quantité de miel par zone. Plus précisément, le volume de miel est modélisé en fonction des temps de chauffage et de refroidissement associés à une mesure de la dynamique de chauffage. Ces cadres robotisés peuvent être combinés dans une ruche pour cartographier l’ensemble des réserves de miel d’une colonie.
Autres études écologiques
«En associant l’éthologie et la robotique, nous pouvons faire des observations inédites des abeilles dans des conditions presque entièrement naturelles, révélant des comportements jamais observés avec une telle précision. Cela nous permet de remettre en question et d’améliorer les hypothèses existantes sur le comportement des abeilles, tout en apprenant des techniques qui peuvent nous aider à protéger les abeilles», indique Francesco Mondada, qui dirige Mobots. «De plus, la combinaison de ces éléments avec notre expertise en matière d’éducation nous permet de partager ces observations avec un public plus large, suscitant ainsi la curiosité pour ces comportements fascinants et méconnus qui illustrent la complexité de la vie des insectes sociaux.»
Cyril Monette et ses collègues mènent actuellement des expériences avec leur ruche d’observation robotisée afin d’étudier le comportement des abeilles et de tester différentes hypothèses in situ. «Je m’intéresse à l’éthologie des abeilles, comme à la façon dont l’essaim d’abeilles exprime les rythmes circadiens en se dilatant et en se contractant tout au long de la journée», explique Cyril Monette. «Grâce à notre ruche d’observation robotisée, j’espère cartographier les réserves de miel et la démographie des colonies dans le temps, observer le déplacement de l’essaim d’abeilles tout au long de l’hiver et fournir un cadre pour d’autres études écologiques telles que l’étude de l’impact des vagues de chaleur sur les colonies.»
Article : « Extending Sensory Capabilities of a Biohybrid System: Prediction of Honeycomb Fill » – DOI : 10.1109/ICCMA63715.2024.10843927
Source : EPFL