Une étude montre comment un principe de mécanique quantique de couplage fort ouvre des possibilités jusqu’ici inégalées pour la construction de filtres optiques : les filtres dits « polaritoniques » ouvrent des voies révolutionnaires dans le domaine de l’imagerie. Publication dans « Nature Communications
Une équipe de chercheurs* de l’Université de Cologne, de l’Université de Hasselt (Belgique) et de l’Université de St Andrews (Écosse) a réussi à mettre à profit le principe quantique du couplage fort pour une technologie optique révolutionnaire, afin de surmonter le problème de la sensibilité angulaire qui existe depuis longtemps dans les systèmes optiques.
L’étude « Breaking the angular dispersion limit in thin film optics by ultra-strong light-matter coupling », qui vient d’être publiée dans Nature Communications, présente des filtres polaritoniques à couche mince ultra-stables qui ouvrent de nouvelles voies dans les domaines de la photonique, des capteurs, de l’imagerie optique et des technologies d’affichage. L’étude a été dirigée à l’université de Cologne par le professeur Malte Gather, directeur du Humboldt Centre for Nano- and Biophotonics au département de chimie et de biochimie de la faculté des sciences.
Les filtres optiques sont d’une importance cruciale pour de nombreuses applications. Mais jusqu’à présent, leurs performances diminuent considérablement lorsque la lumière les atteint sous différents angles, car la couleur de la lumière transmise par le filtre varie en fonction de l’angle d’observation. Cette baisse de performance a des raisons fondamentales et peut par exemple fortement affecter la précision des capteurs optiques.
La solution développée par l’équipe internationale exploite un principe de la mécanique quantique : Lorsque des particules de lumière sont fortement couplées aux états d’énergie d’un matériau organique, il se forme ce que l’on appelle des polaritons.

Les filtres à couches minces traditionnels sont composés de nombreuses couches transparentes alternantes, souvent des couches d’oxyde métallique. La lumière est partiellement réfléchie ou transmise par ces différentes couches. L’épaisseur des différentes couches détermine l’impression de couleur par la superposition constructive et destructive des ondes lumineuses, comparable aux couleurs chatoyantes des bulles de savon. L’interaction contrôlée de nombreuses couches de ce type permet de régler avec précision les propriétés de transmission et de réflexion des filtres. Mais ce principe rend les filtres fondamentalement vulnérables à ce que l’on appelle la dispersion angulaire – un décalage des propriétés spectrales vers des longueurs d’onde plus petites (décalage vers le bleu) lorsque le filtre est incliné. Dans cette nouvelle approche, les scientifiques* introduisent des colorants organiques fortement absorbants dans les filtres optiques, ce qui entraîne un fort couplage de la lumière interférente avec les colorants.
« En fait, on souhaite éviter toute forme d’absorption dans les filtres spectraux afin de ne pas compromettre leur qualité optique. Mais ici, nous utilisons de manière ciblée l’absorption de la lumière par les matériaux organiques pour créer des modes polaritoniques stables angulairement et dotés d’excellentes propriétés de transmission », explique le Dr Andreas Mischok de l’université de Cologne, premier auteur de l’étude.
Grâce à cette approche, l’équipe a pu fabriquer des filtres d’une stabilité angulaire exceptionnelle, présentant un décalage spectral de moins de 15 nm, même à des angles d’observation extrêmes de plus de 80°. Les conceptions multicouches complexes ont également montré des valeurs de transmission de pointe allant jusqu’à 98 pour cent, une valeur qui n’a rien à envier aux meilleurs filtres traditionnels actuellement disponibles.
La collaboration avec le groupe du professeur Dr Koen Vandewal de l’Université de Hasselt a également permis d’intégrer des filtres polaritoniques dans des photodiodes organiques afin de créer des photodétecteurs à bande étroite, ouvrant la voie à des avancées dans des domaines tels que l’imagerie hyperspectrale, la caractérisation des matériaux et les capteurs optiques compacts.

L’étude montre qu’il est possible d’étendre la technologie aux polymères, aux pérovskites, aux points quantiques et à d’autres matériaux, ce qui permettrait d’appliquer le nouveau principe de filtrage à une gamme de longueurs d’onde encore plus large. Parmi les domaines d’application possibles des filtres polaritoniques figurent la micro-optique, les écrans, les technologies de détection et la biophotonique. Dans tous ces domaines, l’indépendance angulaire des nouveaux filtres peut simplifier considérablement la conception des systèmes optiques et étendre leur fonctionnalité. Le professeur Malte Gather, qui dirige les travaux à l’université de Cologne, commente : « C’est un changement de paradigme dans la manière dont nous concevons les filtres optiques. En abordant le problème de la dispersion angulaire avec une approche fondamentalement nouvelle, nous ouvrons des possibilités entièrement nouvelles pour les systèmes optiques ».
L’équipe de recherche considère les filtres polaritoniques comme une pierre angulaire de la prochaine génération de composants optiques, avec un énorme potentiel scientifique et économique. Outre l’intégration des filtres dans des capteurs tels que le LiDAR (Light Detection and Ranging) et la microscopie à fluorescence, les applications dans la technologie d’affichage sont au cœur des travaux futurs.
Article : « Breaking the angular dispersion limit in thin film optics by ultra-strong light-matter coupling » – DOI : s41467-024-54623-1
Légende illustration : Filtres polariton. Crédit : Andreas Mischok