Fusion thermonucléaire contrôlée : une étape décisive a été franchie

Dans le domaine de la fusion par confinement inertiel, les chercheurs du "National Ignition Facility" (NIF) ont réussi à franchir pour la première fois la barrière d’un mégajoule avec plus de 111 millions de degrés Celsius, en concentrant 192 rayons laser de grande puissance dans un tube pas plus grand qu’un taille-crayon, rempli de deutérium et de tritium, deux isotopes naturels légers d’hydrogène. (Voir article).

Ils se sont ainsi approchés, comme jamais jusque là, très près de la température nécessaire pour déclencher la fusion thermo-nucléaire, qui se produit naturellement dans le coeur du soleil et de la plupart des étoiles."Le NIF a montré sa capacité à produire suffisamment longtemps l’énergie requise pour mener des expériences de fusion plus tard cette année", souligne Ed Moses, le directeur du NIF, qui fait partie du Laboratoire Lawrence Livermore en Californie.

La température produite pendant quelques milliardièmes de seconde par ce dispositif de puissants lasers occupant la surface d’un terrain de football, a produit une énergie équivalente à 500 fois celle utilisée aux Etats-Unis à tout moment. Elle est aussi trente fois plus élevée que celles obtenues jusqu’à présent par tout autre groupe de laser dans le monde.

"Franchir la barrière du mégajoule nous rapproche du déclenchement de la fusion nucléaire et montre le potentiel énorme de l’un des plus grands défis scientifiques et d’ingéniérie de notre époque", a déclaré Thomas D’Agostino, le directeur du NNSA (National Nuclear Security Administration). Le deutérium est un élément qui peut être extrait de l’eau et ses réserves correspondent à plusieurs millions d’années de consommation mondiale. "Si nous pouvons dompter cette source d’énergie pour avoir une planète sans carbone et déchets nucléaires radio-actifs, ce sera tout simplement merveilleux", observe Ed Moses, dont les travaux sont détaillés dans la revue américaine Science datée du 29 janvier.

Dans l’autre grande voie de recherche sur la fusion, celle du confinement magnétique, des chercheurs du Massachussets Institute of Technology (MIT) et de l’Université américaine de Columbia ont également annoncé une remarquable avancée. Ils sont parvenus à utiliser un aimant d’une demi-tonne, aussi gros qu’un pneu de camion, maintenu en lévitation grâce à un autre aimant, afin de contrôler un gaz ionisé ou plasma.

Dans le cadre du "Levitated Dipole Experiment" (LDX), installé au MIT, l’aimant supraconducteur, refroidi à -269°C grâce à l’hélium liquide, a pu contrôler les mouvements d’un plasma porté à 10 millions de degrés, contenu dans un compartiment adjacent. Les turbulences créées "ont entraîné une concentration plus dense du plasma -une étape cruciale pour faire fusionner des atomes- au lieu de le disperser davantage comme cela survient habituellement", souligne le MIT dans un communiqué.

Observé lors de l’interaction de plasmas avec les champs magnétiques de la Terre ou de Jupiter, ce type de concentration sous l’effet d’un champ magnétique "n’avait jamais auparavant été recréé en laboratoire", selon le MIT. Cette approche "pourrait fournir une voie alternative pour la fusion" nucléaire, fait valoir Jay Kesner (MIT), co-responsable du projet LDX avec Michael Mauel (Université de Columbia). Source de déchets radioactifs, la fission nucléaire dans les centrales actuelles consiste à casser des noyaux d’atomes. Réaliser au contraire leur fusion pourrait fournir une énergie plus propre.

Dans le cadre du projet de fusion contrôlée au sein du réacteur expérimental international (ITER) à Cadarache (France), il s’agit de faire fusionner les noyaux de deux isotopes lourds de l’hydrogène : le deutérium et le tritium. Cela implique de produire du tritium radioactif et de protéger les parois du réacteur des neutrons issus de la réaction nucléaire, alors que le procédé du LDX pourrait permettre la fusion sans utiliser de tritium. Plus complexe à mettre en oeuvre, il pourrait intervenir dans "une deuxième génération" de réacteurs à fusion, selon M. Kesner.

La fusion présente trois avantages majeurs. D’abord, elle utilise comme combustible le deutérium dont les réserves terrestres sont quasiment inépuisables et le tritium relativement facile à produire ; son exploitation industrielle permettrait donc de résoudre, pour de nombreux millénaires, les problèmes liés à notre approvisionnement énergétique. L’exploitation d’une centrale électrique de 1000 MW basée sur la combustion du charbon nécessite de brûler 3 millions de tonnes de charbon par an mais la même centrale utilisant la fusion nucléaire ne consommerait qu’un quart de tonne d’un mélange basé pour moitié de deutérium et pour moitié de tritium.

Le deuxième avantage majeur de la fusion est la sécurité inhérente à ce phénomène. D’abord, seule la quantité de combustible nécessaire au fonctionnement du réacteur (à peine quelques grammes) est injectée dans l’enceinte du tokamak. Ainsi, si l’état du réacteur déviait trop des conditions normales d’exploitation, il est très simple de le mettre hors service rapidement. En fait, les quantités de plasma qui se trouveront au sein du réacteur seront si faibles qu’un incident, aussi improbable soit-il, ne pourrait jamais entraîner un événement catastrophique du type d’une explosion et limiterait ses effets à la mise hors service du réacteur.

Enfin, le deutérium (isotope naturel de l’hydrogène) peut être produit de manière aisée et non polluante. Le tritium, quant à lui, est un élément radioactif. Cependant, son temps de vie, c’est-à-dire la période pendant laquelle il émet des rayonnements potentiellement dangereux, est très courte (de l’ordre de la dizaine d’années). De plus, la réaction de fusion ne génère pas, directement ou indirectement, de sous-produits radioactifs de longs temps de vie.

On mesure mieux les enjeux énergétiques qui nous attendent quand on sait que, selon le dernier rapport de l’AIE, sorti fin 2009, à l’horizon 2030, les énergies fossiles (pétrole, gaz charbon) représenteront environ 80 % de la consommation mondiale d’énergie, contre 87 % aujourd’hui.

En outre, tirée par la croissance économique indienne et chinoise, la demande mondiale d’énergie devrait progresser de 40 % par rapport à 2007 et atteindre les 14 gigatonnes d’équivalent pétrole en 2030. Le problème est que, dans le même temps, le monde doit absolument réussir à stabiliser puis à diminuer d’au moins 20 % ses émissions de CO2 pour pouvoir limiter les effets du réchauffement climatique.

On voit bien que, ni la montée en puissance des énergies renouvelables « conventionnelles (solaire, éolien, biomasse), ni les progrès de l’efficacité énergétique ne suffiront à résoudre cette équation implacable et que l’Humanité doit parvenir, pour satisfaire sa soif croissante d’énergie, à accomplir des sauts technologique majeurs, qu’il s’agisse du solaire spatiale (Voir édito 530) de la production d’hydrogène à partir de biomasse ou de la fusion contrôlée. Nous devons tout mettre en œuvre pour favoriser ces ruptures technologiques en développant de grands programmes et projets à long terme de recherche fondamentale qui nous permettront de relever les défis gigantesques qui nous attendent d’ici le milieu de ce siècle.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par René Tregouët

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