Gaz de schiste : “ce qui se passe actuellement aux USA est dramatique”

Outre-atlantique, ce boom de l’industrie du gaz et pétrole de schiste est tel qu’il pèse pour une part non négligeable dans les bons chiffres de l’emploi américain. Les plus optimistes y voient un nouveau levier de croissance pour l’économie américaine pendant que d’autres, moins nombreux c’est vrai, dénoncent une véritable poudre aux yeux pour aveugles.

I. La fracturation hydraulique au coeur des interrogations

Que ce soit aux USA, en Europe ou encore en Asie, c’est d’abord la technique d’extraction – i.e. la fracturation hydraulique de la roche mère – qui soulève les interrogations avant même la ressource en tant que telle.

Très gourmande en eau, la fracturation hydraulique nécessite également d’importantes quantités de sable additivé de très nombreux produits chimiques qui une fois injectés dans le sous-sol ne sont que très partiellement récupérés avant d’être retraités. Résultat : la fracturation hydraulique engloutit non seulement des millions de m3 d’eau mais également des millions de m3 de sable, un matériau indispensable à beaucoup d’autres secteurs d’activités qui en font une utilisation beaucoup plus durable et raisonnée.

II. La question de l’emploi

C’est l’éternel débat entre ce qu’il conviendrait idéalement de faire à long terme dans une logique de gestion durable des ressources et celle du court terme à laquelle répond le modèle capitaliste actuel.

C’est précisément cette vision court termiste qui risque de se révéler très vite dramatique. Que se passera t-il demain dans les territoires qui voient affluer une main d’oeuvre bon marché venue prétée main forte pour réaliser toujours plus de nouveaux forages et exploiter les forages existants dont la durée de vie est dérisoirement faible comparativement aux puits de pétrole conventionnels ? Dans le cas du gaz de schiste par exemple, l’expérience américaine montre qu’un puit produit en moyenne 25 % du volume total extrait au cours de la 1ère année, à peu près autant les deux suivantes. Au bout de 5 ans d’exploitation, les quantités extraites deviennent généralement trop faibles pour assurer la perennité économique du puit.

III. Une impasse énergétique qui au final risque de couter (très) cher

Dans cette affaire, il n’est pas uniquement question de choix de société et de politique énergétique. Sur ce sujet, on est aussi face à des questions purement physiques où la quantité d’énergie extraite du sous-sol peut très vite devenir inférieure à la somme de toute l’énergie utilisée pour l’extraire. Comment est-ce possible ? C’est très simple : avant d’être mise sur le marché sous une forme moléculaire conforme aux exigences du marché, la ressource brute puisée à même l’écosystème n’a pas de valeur marchande. C’est du moins la régle qui régie jusqu’à présent l’exploitation mondiale des énergies fossiles par les multinationales de l’énergie. De fait, le pillage des ressources n’est soumis à aucune sanction sinon celle de renchérir un peu plus le coût de production final du produit fini. Or, à plus de 100$ le baril de pétrole, il est très rentable d’engloutir de grande quantité d’énergie sans valeur marchande pour produire le précieux fluide que ce soit sous forme gazeuse (gaz de schiste) ou liquide (pétrole de schiste). Et au diable la gestion durable des ressources planétaires indispensable au développement des générations futures.

Face à cette gabegie organisée, un nombre croissant de citoyens américains dénoncent le pillage des ressources et surtout les coûts futurs des externalités négatives que peuvent générer l’exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels sur les écosystèmes.

A l’autre extrêmité, on trouve pourtant quelques individus pour qui l’exploitation de ces nouvelles ressources énergétiques est un moyen comme un autre de renouveler le rêve américain. Non seulement la production de près de 3 Mb/j. évite d’autant l’importation de pétrole conventionnel en provenance du moyen-orient mais en plus, cet afflux de pétrole "made in America" participe pleinement au célèbre "built in America" via la relocalisation d’un certain nombre d’industries liées de près ou de loin à celles du gaz et du pétrole.

IV. Le paradoxe US

De fait, s’il y a bien une région du monde qui continue d’être synonyme de tous les possibles, c’est bien les Etats-Unis. Pendant que les « vieilles » multinationales de l’industrie du pétrole et du gaz forent sans vergogne le sous-sol américain et les fonds marins ultra profonds, de nouvelles entreprises florissantes parmi lesquelles le géant Google ou encore le fabricant de panneaux solaires First Solar continuent d’investir des centaines de millions de dollars un peu partout dans le monde pour accélérer le développement des renouvelables, électricité solaire photovoltaïque en tête. A ce petit jeu, la Chine n’est pas en reste c’est vrai. Mais pour l’instant, les capacités installées en éolien et en solaire peinent à compenser la ruée vers le charbon qui continue de caractériser la croissance économique chinoise.

Les premières années, ces investissements étaient surtout perçus comme du soupoudrage vert, un moyen pour ces multinationales dévoreuses d’énergie de se donner bonne conscience face à l’explosion des besoins en énergie des produits et services rendus.

Depuis quelques temps, force est d’admettre que le discours et les analyses commencent à changer. A force de persévérence et d’amélioration technologique, les quantités d’énergies produites par les installations les plus récentes n’ont plus rien d’anecdotiques.

De là à annoncer le déclin à venir des vieux démons du pétrole et du gaz nés au siècle dernier, il n’y a qu’un pas que nous nous garderons bien de franchir hélas. Pourtant une chose est sûre : le monde de l’énergie des deux prochaines décennies s’annonce très différent de celui en place jusqu’à présent.

Vive le futur sobre & intelligent !

[ Archive ] – Cet article a été écrit par G. Porcher

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