Gaz de schistes : quelles pistes alternatives à la fracturation hydraulique ?

Avant d’en venir à ces alternatives et aux conditions de leur développement, essayons de comprendre les enjeux de la fracturation hydraulique. Cette technique employée pour la production d’hydrocarbures, mais aussi pour la géothermie profonde, a été mise en œuvre pour la première fois en 1947 au Kansas. Deux ans plus tard eurent lieu les premières fracturations commerciales sur des puits pétroliers, en Oklahoma ; mais ce n’est qu’avec l’exploitation massive des shale gas, dans la dernière décennie, qu’elle s’est généralisée. En 2008, plus de 50 000 fracturations de puits ont été effectuées dans le monde et on estime que plus d’un puits sur deux foré aujourd’hui subit une étape de fracturation.

Technique de la fracturation

La fracturation hydraulique consiste à injecter un fluide à haute pression dans un puits de forage à une profondeur déterminée. Lorsque la pression appliquée par le fluide compense le chargement lithostatique (le poids de la roche au-dessus du lieu où la pression est appliquée) augmenté de la résistance locale de la roche, une fissure s’amorce et peut se propager sur plusieurs centaines de mètres, pourvu que l’on injecte suffisamment de fluide pour maintenir une pression suffisante pour entretenir le chargement. Au cours du procédé, un agent de soutènement, le « propant » (généralement du sable ou des billes de céramique), est injecté afin de prévenir la fermeture de la fissure. L’eau de forage contient des additifs adaptés au type de roche en place, destinés à faciliter l’opération de fracturation et le soutènement des fissures. Les fissures créées se comportent comme des drains, ce qui permet de rendre accessible à la production de gaz des volumes de roche éloignés du puits de forage, mais proches du drain créé.

La fracturation hydraulique a été tout d’abord appliquée aux réservoirs géologiques classiques. Son utilisation dans le cas des champs faiblement perméables appelés Tight Gas Reservoirs (TGR, mille fois moins perméables que des réservoirs conventionnels,) s’est heurtée à de réelles difficultés. Les TGR contiennent du gaz dont le taux de récupération, si l’on utilise des méthodes conventionnelles, reste modeste : 3 à 10% des hydrocarbures en place. La fracturation hydraulique permet d’augmenter ce rendement. Le gaz recueilli provient d’un volume de roche localisé près de la surface de la fissure, au travers de laquelle le gaz va migrer du fait de la différence de pression. La production de gaz consiste à drainer cette zone dont la perméabilité reste faible.

Cette technique a ses limites : le rendement est augmenté mais, une fois le drainage effectué, la production subit une diminution très rapide. Le gaz compris entre les zones drainées reste inaccessible.

Les schistes combinent cette difficulté, liée à la faible perméabilité de la roche (c’est-à-dire à sa faible capacité à se laisser traverser par un fluide), avec une hétérogénéité naturelle du milieu.

Fissures naturelles, fissures artificielles

Les schistes (ou plus exactement « shales », c’est-à-dire ici une roche sédimentaire argileuse) sont des argiles fortement consolidées au cours de l’évolution géologique de l’écorce terrestre. Les matériaux organiques qu’ils renfermaient à l’origine se sont transformés en kérogène, site de production d’hydrocarbure – dans notre cas, du méthane « thermogénique » (généré par accroissement de température et de pression). Accumulés par sédimentation, ces schistes possèdent une structure en couche similaire à celle d’un millefeuille ou d’une ardoise (on dit qu’ils sont anisotropes). C’est dans l’épaisseur de ce millefeuille que le gaz est stocké. Ainsi ces schistes sont à la fois la roche-mère et le réservoir d’où le gaz est produit.

Au cours de leur évolution géologique, ces roches vont connaître des fracturations qu’on pourrait dire « naturelles ». En effet, de manière plus marquée que les TGR ou les réservoirs classiques, les schistes ne sont pas homogènes. Leurs propriétés physiques, par exemple leur perméabilité, peut dépendre de la stratigraphie et ils contiennent des fissures à plusieurs échelles : celle des couches – l’échelle microscopique – comme celle de la dizaine de mètres – l’échelle macroscopique. Au niveau macroscopique, il est fréquent d’observer des plans de fissures (par exemple perpendiculaires aux couches) espacés assez régulièrement de quelques mètres, ces failles étant grandes de plusieurs dizaines de mètres de côté.

Dans les schistes, le but de la fracturation hydraulique n’est pas uniquement de créer une macrofissure (un drain), il s’agit aussi de connecter et de réactiver les fissures initiales à toutes les échelles pour en extraire le gaz. Ainsi, les interactions entre les fissures créées par fracturation hydraulique et ce réseau sont à mobiliser. La fissure créée sera beaucoup plus perméable que le réseau secondaire. Le fluide sous pression aura des difficultés à pénétrer ce réseau existant. Dans ce dernier, la pression ne sera pas toujours suffisamment importante pour le réactiver.

Les questions posées par la fracturation hydraulique touchent essentiellement deux points. Le premier, la remontée de méthane à la surface du sol ou dans les nappes phréatiques, a beaucoup occupé le débat public mais on discute encore de l’ampleur du phénomène. Il semble par exemple que le fameux film Gasland confonde le méthane biogénique, présent en surface, et le méthane thermogénique issu des profondeurs du sol. En tout état de cause la question se pose surtout au niveau des puits et des tubes de forage.

Le second point est plus sérieux : l’eau utilisée par la fracturation contient des additifs, qui pourraient contaminer les nappes phréatiques. Si sur ce point opposants et défenseurs du gaz de schiste ont tendance à exagérer ou à minorer les risques, il y a là un enjeu de santé publique qu’on ne saurait ignorer ou balayer d’un revers de manche. C’est dans cette perspective que, en attendant un indispensable retour d’expérience, les alternatives à la fracturation hydraulique peuvent être considérées avec intérêt.

Changer de fluide ?

Une première option consiste à changer le fluide de fracturation. La pénétration du fluide de fracturation au sein du réseau de fissures existantes dépend directement de sa viscosité. On peut donc imaginer qu’en diminuant celle-ci le fluide pourra plus facilement pénétrer les petites fissures existantes pour y appliquer une pression suffisante et les réactiver. Ce principe étant posé, il s’agit de trouver le « bon » fluide. Les candidats sont nombreux : propane, azote, dioxyde de carbone… À l’état liquide, le CO2 a une viscosité dix fois plus faible que l’eau, à l’état supercritique (conditions usuelles de gisement), sa viscosité est encore plus faible. Au-delà d’une diminution de viscosité, l’interaction avec la roche est aussi importante. Si le fluide vient se coller (s’adsorber) sur la roche préférentiellement au méthane, cela permettra d’améliorer l’extraction du gaz présent à la surface de la roche dans le réseau secondaire.

Chaque solution possède des avantages, au-delà du simple fait que le fluide de fracturation n’est plus de l’eau et que stricto sensu nous ne pouvons plus parler de « fracturation hydraulique ». Ainsi l’azote est un gaz peu nocif pour l’environnement, l’emploi de dioxyde de carbone peut permettre de le stocker en même temps.

Il y a aussi des désavantages et des difficultés : les fluides de remplacement sont plus compressibles que l’eau, ce qui rend le processus moins performant ; le CO2 peut se recombiner avec l’eau pour former un acide corrosif pour les roches carbonatées avoisinantes, il peut aussi provoquer un gonflement de la roche et diminuer sa perméabilité ; il n’est pas certain qu’une fois activé le réseau secondaire ne va pas se refermer une fois le fluide de fracturation évacué. Le soutènement de ce réseau secondaire reste donc une question ouverte.

Fracturation électrique

La seconde piste est celle du chargement dynamique. En statique, la surface de fissure créée dans un matériau est proportionnelle à l’énergie mise en œuvre dans le volume de matériau qui va se rompre. Le chargement dynamique apporte une grande quantité d’énergie dans un petit volume de matière. Dans ce volume, l’énergie est telle qu’une grande surface de fissures va se créer. Ainsi, au fur et à mesure de la propagation de l’onde de chargement, le matériau va se fragmenter, connectant ainsi le réseau de fractures initiales et nouvellement créées.

Le chargement dynamique pourra être induit par exemple par des explosifs placés en fond de puits ou par des impulsions électriques, une technique plus originale inspirée de celles utilisées pour le forage des tunnels. Le chargement appliqué à la roche au voisinage du forage est une onde de pression générée par une décharge électrique entre deux électrodes placées dans le puits de forage rempli d’eau. L’amplitude de cette onde de pression peut atteindre 200 MPa (2000 fois la pression atmosphérique), sa durée est de l’ordre de la centaine de microsecondes. Cette onde de pression sera transmise à la roche par le fluide présent dans le puits, et va créer une microfissuration de densité décroissante au fur et à mesure que l’on s’éloigne du puits. Les modèles indiquent que l’on augmente significativement la perméabilité des roches à plusieurs mètres du puits seulement.

La fracturation par impulsion électrique pourrait favoriser la réactivation des fissures existantes en maîtrisant plus facilement les volumes de roche concernés et en évitant une grande consommation d’eau. La pertinence de ce procédé reste cependant à démontrer.

Quelles perspectives pour la recherche ?

Les deux pistes que nous venons d’évoquer laissent envisager un impact environnemental plus modéré : les besoins en eau et donc de retraitement après usage seraient beaucoup plus modestes. En ce qui concerne les additifs contenus dans l’eau employée lors de la fracturation, il y a fort à parier que la chimie permettra dans un avenir proche de proposer des produits de substitution, comme ce fut le cas avec la gomme de Guar employée comme gélifiant pour les fluides de fracturation et utilisée aussi dans le domaine agroalimentaire. La fracturation dynamique permet en outre de mieux confiner le volume de roche fissuré, diminuant ainsi le risque de connexion accidentelle entre le réseau de fissures créé et son voisinage.

En revanche ces techniques ne permettent pas d’éviter d’éventuelles fuites de gaz ou une contamination des aquifères de sub-surface liée à des fuites au passage du puits de forage dans celles-ci. Ces deux points relèvent d’une bonne maîtrise des conditions de réalisation des puits (tubage, scellement de celui-ci), maîtrise nécessaire à tout procédé d’extraction, fût-il celui de ressources conventionnelles dans des puits non fracturés. Dans ce domaine aussi, la recherche est très active.

Parviendrons-nous à des procédés de production plus acceptables au plan environnemental tout en restant réalistes au plan économique ? Cette perspective ne relève ni de la science fiction, ni de la prospective à long terme. La littérature scientifique s’enrichit mois après mois de nouveaux résultats venus de laboratoires japonais, américains, chinois et européens.

L’emploi de CO2 supercritique pour la récupération assistée des huiles lourdes est déjà une réalité, il existe une centaine de projets pilotes rien qu’aux États-Unis. Son extension aux gaz de schistes, voire au gaz de charbon pourrait être une piste de recherche tout à fait réaliste (il existe plusieurs pilotes d’extraction de gaz de charbon reposant sur ce principe).

L’utilisation de la fragmentation par impulsion électrique fait l’objet de plusieurs brevets internationaux et a aiguisé les intérêts des compagnies pétrolières. Il existe aussi d’autres voies alternatives. Le chauffage du massif rocheux (comme pour les huiles de schistes) ou les effets d’une flore bactérienne se développant en fond de puits en font partie. À cette littérature déjà abondante, il faut ajouter les travaux visant à mieux comprendre et optimiser la fracturation hydraulique tout en diminuant son impact environnemental, plus spécifiquement sa consommation en eau et son retraitement.

Dans tous les pays qui en possèdent, la tentation est grande de reproduire la révolution des « shale gas » que connaissent les États-Unis. L’Europe dispose a priori de ce type de ressource non conventionnelle, la France et la Pologne étant les pays les mieux pourvus. Il y a pourtant un consensus pour admettre que l’outil de production et les conditions juridiques et socio-économiques sont si différents en Europe que le vieux continent ne pourrait connaître le même boom avant 5 à 10 ans. Ce temps de latence doit être mis à profit pour optimiser les procédés de fracturation et développer de nouvelles techniques alternatives. Cela tombe d’autant mieux que tout le monde s’accorde à dire qu’aucune technique alternative ne sera crédible au plan industriel avant cinq ans au moins.

Les deux voies discutées dans cet article demandent des études de laboratoire, mais aussi et surtout la mise en place de moyens de validation in situ, la création de l’équivalent des laboratoires souterrains français ou suisses pour le nucléaire. Il s’agirait de forages dans des massifs parfaitement connus permettant la conduite d’expérimentations en vraie grandeur avec une instrumentation renforcée et en toute transparence au plan de l’impact environnemental. Il importe en effet de disposer de moyens d’essais dépassant le laboratoire, de pilotes préindustriels définissant une étape d’évaluation et de faisabilité que la simulation numérique à elle seule ne peut permettre. À ce stade et compte tenu des moyens très conséquents à mettre en jeu, seule une initiative nationale ou européenne associant des acteurs publics et privés pourra permettre de créer une telle infrastructure de recherche.

 

Auteur : Gilles Pijaudier-Cabot / Directeur du laboratoire des fluides complexes et leurs réservoirs et directeur de l’Institut Carnot ISIFoR, Université de Pau et des Pays de l’Adour / January 14th, 2013

Article original en CC 3.0 : ici

 

 

REFERENCES

ACADEMIC
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