Dans une prouesse d’ingénierie qui repousse les limites de la technologie moderne, les autorités chinoises viennent de dévoiler deux turbines hydroélectriques dont les dimensions défient l’imagination. Conçues pour alimenter la centrale de Datang Zala, en construction sur le fleuve Yuqu au Tibet, ces structures pèsent chacune 80 tonnes, mesurent 6,2 mètres de diamètre extérieur et intègrent 21 godets en acier martensitique haute résistance. Bien que leur mise en service ne soit prévue qu’en 2028, elles incarnent déjà une rupture dans l’histoire de l’énergie hydraulique.
Chaque turbine est conçue pour générer 500 mégawatts (MW), un record absolu jamais atteint à ce jour. Leur architecture repose sur un système d’impulsion, où des jets d’eau à haute pression frappent les godets pour actionner la roue Pelton. Contrairement aux turbines réactionnelles submergées, comme celles du barrage des Trois Gorges, ces modèles fonctionnent à l’air libre, exploitant la force gravitationnelle d’une chute verticale de 671 mètres — classant le projet dans la catégorie des « hauts chutes », où l’efficacité énergétique atteint 92,6 % grâce à des améliorations du design des godets. Selon les calculs des ingénieurs de Harbin Electric, entreprise chinoise à l’origine de leur développement, cette optimisation permettra de produire quotidiennement 190 000 kWh supplémentaires.
La centrale de Datang Zala, dotée d’une capacité installée totale de 1 000 MW, s’inscrit dans un cadre plus vaste : la stratégie climatique de la Chine, visant la neutralité carbone d’ici 2060. Avec une production annuelle estimée à 4 milliards de kWh, le site remplacerait l’équivalent de 1,3 million de tonnes de charbon tout en évitant l’émission de 3,4 millions de tonnes de CO2.
Derrière cette ambition se cache une réalité industrielle complexe. La construction, supervisée par le groupe China Datang Corporation, a débuté en 2023 et mobilise des technologies exclusivement domestiques. La fabrication des turbines, étalée sur quatre ans, a nécessité des innovations dans la gestion des contraintes mécaniques. L’acier martensitique, choisi pour sa résistance à la corrosion et sa solidité, permet de supporter des pressions extrêmes sans altération. Ce matériau, associé à un système de refroidissement avancé, garantit une durée de vie prolongée malgré l’usure quotidienne.
À l’échelle mondiale, la Chine domine incontestablement le secteur de l’hydroélectricité. Selon le South China Morning Post, le pays a mis en service 14,4 gigawatts (GW) de nouvelles capacités en 2024, soit plus de la moitié de la capacité globale ajoutée cette année-là. Près de 50 % de cette augmentation provient d’installations de pompage-turbinage, où les réservoirs stockent l’eau pour la libérer sur demande. Avec 436 GW installés, la Chine devance largement les États-Unis (103,1 GW) et consolide son leadership dans une énergie critique pour la transition énergétique.

« Quelques mois plus tôt, j’avais consacré un article au projet hydroélectrique du Yarlung Tsangpo, destiné à devenir le plus grand barrage du monde, trois fois plus puissant que celui des Trois Gorges », rappelle l’auteur de l’article. Le problème réside dans le fait que le fleuve Yarlung Tsangpo, qui devient le Brahmaputra, traverse la Chine, l’Inde et le Bangladesh, soulevant des risques de pénuries en aval et de tensions internationales.
Le projet Datang Zala s’élève sur le Yuqu, affluent du fleuve Nu (Salween), qui traverse le Tibet avant de rejoindre la Birmanie et la mer d’Andaman. Si son tracé croise moins de frontières que le Brahmaputra, il ravive des conflits régionaux. Les fleuves internationaux sont des sources de coopération, mais aussi de conflits latents.
Enfin, l’histoire de l’hydroélectricité chinoise est aussi celle d’une course technologique. Les turbines de Datang Zala, avec leurs performances inédites, marquent une étape décisive. Elles traduisent une vision à long terme, où l’innovation industrielle et les impératifs climatiques se conjuguent pour redessiner le paysage énergétique mondial.