Selon le rapport Cyclope 2011 publié le 17 mai dernier, le “supercycle” des matières premières n’est pas achevé. La hausse des cours va encore se poursuivre en dépit des quelques signes de craquements survenus fin avril pour le coton et les céréales. Les analystes ne prévoient en effet pas d’accalmie à court ou moyen terme en raison des cours élevés du pétrole (amplifiés par la crise du nucléaire et les débats sur le gaz de schiste), de la crainte de l’inflation et des tensions politiques persistantes au Moyen-Orient.
Une inquiétude réelle qui touche tous les secteurs
Or au-delà des conséquences sur les prix à la consommation des ménages, cette situation va lourdement impacter les entreprises. Le baromètre IFOP – CGPME publié mi-avril 2011 révélait que 74% des dirigeants étaient inquiets devant l’augmentation du cours des matières premières, en particulier dans l’industrie (86%) et le BTP (85%). Et les tensions sur le sujet continuent de grimper en proportion de la hausse des cours – y compris dans des secteurs a priori “préservés” comme le luxe. Rappelons que l’année 2009 a été marquée par le premier recul des ventes de bijoux en or par rapport aux ventes de bijoux en argent dans le monde. Et il y a fort à parier que les récents records atteints par les cours de l’or et de l’argent, qui ont dépassé leurs niveaux historiques d’il y a 30 ans, accentuent la tendance.
La fausse simplicité de l’équation “Hausse des cours = hausse des prix de vente”
Jusque là, pour tenir compte de la hausse du coût des matières premières, les entreprises sont intervenues sur leurs politiques tarifaires, avec des orientations stratégiques différentes selon le type de produits commercialisés.
A ce titre, les ratios d’élasticité prix des produits varient d’un produit à l’autre, d’une entreprise à l’autre (ratio % d’augmentation du prix / % de baisse du volume de vente). En effet, les produits fortement différentiés auront des ratios inférieurs à 1 alors que les produits « courants » peuvent avoir des ratios supérieurs à 10. Dans ce dernier cas, une hausse de prix de 1 % se répercutera par une baisse des volumes vendus de 10%.
Les entreprises dont les ventes sont tirées par des produits de la première catégorie auront pu répercuter les hausses de matière dans leur prix de vente sans risque. En revanche, les autres industriels doivent le faire avec un grand sens tactique.
Définir la part de hausse absorbée par une baisse des coûts, et celle répercutée dans le prix de vente, et ceux en fonction de la stratégie mise en œuvre par les concurrents.
Valoriser les atouts des produits, rendre l’entreprise plus identifiable permet de limiter la diminution des volumes vendus, en cas de hausse de prix. Cependant, le ratio d’élasticité prix est calculé de manière empirique, et peut varier dans le temps en fonction de l’image de l’entreprise auprès de ses clients, l’appréciation de ladite marge de manœuvre demeure compliquée. En tout état de cause, cette démarche d’augmentation des prix peut à tout moment devenir destructrice de valeur – dès que l’entreprise perd en volume ce qu’elle gagne en marge.
Ajoutons que la situation est en train de changer : les entreprises commercialisant des produits à faible élasticité prix qui, jusqu’à récemment encore, ont pu plus aisément répercuter le surcoût des matières premières sur leurs prix de vente, commencent elles aussi à être impactées. Elles doivent à leur tour réfléchir à la meilleure façon de gérer l’augmentation de leurs coûts.
Nouvelle incidence de la hausse des cours : la refonte de leur portefeuille de produits et de leur stratégie de conception
Ainsi, outre les actions menées au niveau de la politique de prix, les entreprises ont identifié d’autres leviers à actionner, avec en premier lieu l’adaptation de leur modèle de production.
Deux options se présentent à elles : produire à l’identique ou s’inscrire en rupture. Dans le premier cas, elles vont produire les mêmes produits mais en repensant leur conception et leur fabrication pour consommer moins de matière premières ; dans le second cas, elles vont lancer de nouvelles gammes de produits moins gourmands en matières premières.
Dans un cas comme dans l’autre, elles pourront jouer à la fois sur les procédés de fabrication, la conception et l’utilisation de matériaux de substitution, les deux leviers les plus efficaces étant l’aménagement des procédés et de la conception.
Pour les procédés de fabrication, certains industriels choisissent de produire à l’identique mais en récupérant et valorisant leurs déchets, en optimisant la dimension des bruts, en recourant au procédé de frittage ou d’injection de métaux plutôt que d’usinage. D’autres optent pour une production utilisant de la paille de métaux, des métaux en nid d’abeille ou encore des matériaux hybrides.
Lorsqu’ils interviennent au niveau de la conception, ils peuvent soit changer radicalement leur façon de faire à l’image de Michelin (et son Tweel), soit modifier juste certains aspects comme ajouter des creux, raccourcir les angles, diminuer les dimensions, réduire l’épaisseur du placage, procéder à des évidages, etc.
Une dernière alternative existe : utiliser des matériaux de substitution. Il n’est pas sans rapport avec le sujet, l’utilisation plus massive de la céramique dans la joaillerie, y compris dans les marques les plus prestigieuses.
Un nouveau visage des industries et des industriels
On le voit : la hausse du cours des matières premières risque à terme de remodeler certains secteurs. Des opportunités sont à saisir. Pour définir les meilleures stratégies d’adaptation, tous les départements de l’entreprise vont devoir s’emparer du sujet : les achats, puis très vite la R&D et le développement produits, mais aussi le marketing, les ventes, jusqu’à la direction de la stratégie.
La direction de la stratégie va déterminer les axes du changement, la R&D explorer l’utilisation de nouveaux matériaux ou mettre au point de nouveaux procédés, les bureaux d’études adapter les modèles de conception et en inventer de nouveaux, les équipes de production récupérer les déchets intéressants à valoriser, le marketing valoriser les pistes d’amélioration retenues au service de l’image de l’entreprise, etc.
Une chose est sûre : la prime ira à ceux qui feront preuve de créativité, d’innovation et surtout qui auront réussi à mobiliser et à animer toute l’entreprise autour de cette dynamique de changement.
[ Archive ] – Cet article a été écrit par David Bonnus