Le bitcoin a franchi dimanche un nouveau record historique à 125 559 dollars lors des échanges asiatiques, dépassant son précédent sommet d’août à 124 500 dollars. Cette hausse semble selon les spécialistes s’expliquer par trois facteurs : la paralysie budgétaire américaine (shutdown) qui pousse les investisseurs vers des valeurs refuges alternatives, la progression des marchés actions américains, et même un soutien actif de Donald Trump et sa famille aux cryptomonnaies à travers diverses initiatives promotionnelles.
D’autres facteurs pourraient également contribuer à cette variation à la hausse comme l’activité des fameuses baleines cryptos. Décryptage.
Les baleines du Bitcoin : quand les géants financiers font onduler le marché des crytomonnaies
Jean-Marc Figuet, Université de Bordeaux
Les « baleines », ces individus ou entités détenant de grandes quantités de cryptomonnaie, ont une influence considérable sur ces nouveaux marchés financiers. Que recouvre cette terminologie ? Quel est concrètement leur impact ?
Le 4 juillet 2025, une onde de choc a traversé l’océan des cryptomonnaies. Une baleine dormante, inactive sur le marché depuis 2011, a déplacé 80 000 bitcoins (BTC), soit près de 8,6 milliards de dollars au cours du jour.
Le réveil de cette baleine a provoqué une alerte de marché (whale alert) impliquant une baisse du bitcoin de 2 % et une augmentation passagère de la volatilité. Surtout, cette opération rare nous rappelle comment le comportement d’une poignée d’investisseurs puissants est susceptible de faire trembler un marché.
Que recouvre cette terminologie de « baleine » ? Et quelle est leur influence sur le prix du bitcoin ?
Chaîne alimentaire du bitcoin
Le vocabulaire marin s’est imposé très tôt dans le lexique des cryptomonnaies.
Le premier maillon de la chaîne est constitué par les shrimps (crevettes) qui sont souvent de petits épargnants. Ces épargnants détenant moins d’un bitcoin représentent une base de plus en plus large d’adoption.
Le dernier maillon est constitué par les whales (baleines), c’est-à-dire des investisseurs possédant un portefeuille d’au moins 100 BTC. Parmi elles, les baleines à bosse (humpback whales) détiennent des portefeuilles d’au moins 5 000 BTC.
Entre ces deux maillons extrêmes se trouvent les crabs, de 1 à 10 BTC, les fish, de 10 à 100 BTC et les sharks, de 100 à 1 000 BTC.
Les espèces des baleines
Les baleines ne constituent pas un bloc homogène. Elles comportent plusieurs espèces dont l’histoire, les motivations et l’impact sur le marché diffèrent fortement.
Baleine historique
Les baleines historiques sont les mineurs et investisseurs précoces qui ont accumulé des milliers de BTC dès les premières années d’émission, parfois à des coûts dérisoires. Leur identité et leur histoire sont connues dans la communauté, car leurs adresses sont liées au minage des premiers blocs de la blockchain, ou aux débuts de certaines plates-formes pionnières – Mt. Gox, Bitstamp, Kraken, Bitfinex.
L’exemple le plus emblématique est celui de Satoshi Nakamoto, le créateur anonyme du BTC. Il aurait miné environ 1,1 million de BTC entre 2009 et 2010. Ses adresses restent inactives à ce jour.
Nombre de ces portefeuilles sont restés inactifs (cold wallets) pendant plus d’une décennie. Lorsqu’un mouvement est enregistré, l’effet psychologique est immense, car ces portefeuilles sont perçus comme des réserves stratégiques pouvant peser massivement sur l’offre.
Baleine dormante
Les baleines dormantes sont des adresses qui n’ont pas bougé depuis de nombreuses années. Ces adresses anonymes peuvent appartenir à des investisseurs oubliés, à des clés privées perdues, ou à des acteurs qui choisissent de ne rien faire.
Elles constituent une sorte de réserve silencieuse du marché. Lorsqu’elles s’activent, comme récemment, l’incertitude domine. Ces bitcoins vont-ils être vendus, ou simplement déplacés pour sécurisation ? Leur réapparition alimente les spéculations et accroît la volatilité.
Baleine institutionnelle
Les baleines institutionnelles apparaissent autour de 2020, car une partie des liquidités injectées par les banques centrales en quantitative easing (planche à billets) s’est orientée vers les actifs alternatifs, dont le bitcoin. Ces baleines regroupent aujourd’hui les fonds spécialisés et ETF (Grayscale, BlackRock, Fidelity, Ark Invest…), les trésoreries d’entreprises (MicroStrategy, Tesla…), ainsi que des banques et gestionnaires d’actifs.
Ces baleines agissent souvent selon une logique financière de long terme, dans une optique de diversification des portefeuilles et de couverture contre l’inflation, en misant sur la rareté programmée du bitcoin. Leur influence tient autant à leurs mouvements qu’à leur rôle symbolique.
L’achat massif de MicroStrategy en 2020 (plus de 21 000 BTC inscrits au bilan) ou, plus récemment, le lancement de l’ETF Bitcoin spot de BlackRock en janvier 2024, devenu en quelques mois le plus important fonds indiciel sur le bitcoin – 70 milliards d’euros d’actifs sous gestion –, ont marqué des tournants. Chaque opération de ce type crédibilise davantage le bitcoin aux yeux du marché.
Plateforme d’échange baleine
Les plates-formes d’échange (Binance, Coinbase, Kraken, Bitfinex…) peuvent être qualifiées de baleines par défaut, car elles gèrent des centaines de milliers de BTC dans des wallets consolidés. Ces derniers représentent les dépôts de leurs millions de clients. Elles n’investissent pas pour elles-mêmes.
Leurs soldes fluctuent en fonction des achats et des ventes des clients. Des transferts massifs, depuis ou vers ces adresses, sont scrutés, car ils donnent des signaux sur la direction haussière ou baissière du marché.
Effet Moby Dick
Le bitcoin (BTC) est un actif rare, plafonné à 21 millions d’unités. Cette rareté programmée implique que tout mouvement d’ampleur peut déséquilibrer le marché. Quand les baleines achètent le bitcoin, elles réduisent la liquidité et raréfient l’offre. La demande restant forte, le prix a alors tendance à augmenter.
La littérature confirme que les mouvements des grandes adresses influencent fortement la dynamique des prix. L’impact d’exécution d’un ordre croît en fonction de sa taille. Un transfert massif modifie le prix de manière significative, même s’il ne correspond pas à une vente effective. Un choc de liquidité lié aux baleines, ou effet Moby Dick, se transmet au reste du marché cryptomonnaies dans les 6 à 24 heures, provoquant à la fois une baisse des prix et une hausse de la volatilité.
En dehors des opérations d’achat et de vente, un simple transfert par une baleine, comme celui du 4 juillet, a un effet psychologique sur le marché. Toute whale alert provoque un vague de panique ou de spéculation chez les investisseurs de taille plus modeste, qui pensent les baleines mieux informées sur l’évolution future du prix.
Influence en déclin
Les données de marchés indiquent l’érosion de l’influence des baleines. En 2012, moins de 2 000 adresses contrôlaient environ 51 % des bitcoins en circulation. En 2021, les 100 premières adresses détenaient près de 13,5 % de l’offre totale.
Là où, dans la première décennie du Bitcoin, quelques dizaines d’adresses pouvaient influencer directement le prix, la détention devient plus diffuse avec la montée en puissance des autres classes d’investisseurs – fish, sharks, crabs, shrimps. Cette dispersion progressive rend la microstructure du marché plus concurrentiel. Les baleines conservent un rôle majeur, mais elles doivent partager leur influence avec un éventail d’investisseurs beaucoup plus large. https://www.youtube.com/embed/kHprSv2ATwM?wmode=transparent&start=0
Les baleines restent des acteurs majeurs du marché du bitcoin, capables de déclencher en quelques heures des secousses visibles sur le prix et la volatilité. Mais leur pouvoir n’est plus absolu. La détention se disperse et les marchés dérivés élargissent la base des acteurs influents. L’océan du bitcoin devient ainsi plus concurrentiel, même si les baleines ont encore la capacité de déclencher des vagues soudaines.
Jean-Marc Figuet, Professeur d’économie, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.