Le dessalement de l’eau de mer tiendra t-il ses promesses ?

Le cycle hydrologique continue à fonctionner comme il l’a toujours fait : l’eau de la mer s’évapore, se condense et permet à la vie sur terre de se développer. Une fois sa tâche nourricière accomplie, l’eau retourne dans la mer et le cycle se perpétue. Toutefois, ce processus purifie une portion infime, moins de 3%, de l’eau présente sur terre. Comme 75% de la surface du globe est recouverte d’eau, c’était amplement suffisant – jusqu’à aujourd’hui.

Or une part croissante des réserves d’eau de la planète est consommée : par l’industrie, l’agriculture, la production d’énergie et l’assainissement. Ce qui reste est souvent pollué et impropre à la consommation humaine ou tout simplement gaspillé. Pendant ce temps, plus d’un milliard d’êtres humains n’ont toujours pas accès à une eau potable de qualité. Alors que la population mondiale devrait atteindre les neuf milliards d’être humains d’ici deux ou trois décennies, que le réchauffement climatique provoque de plus en plus de catastrophes météorologiques, que la fonte des glaciers déplace de l’eau pure dans les océans, la situation ne peut que s’aggraver.

La quantité d’eau sur terre étant par définition immuable, les efforts ont surtout porté, jusqu’ici, sur la réduction de la consommation. Beaucoup a été fait en ce sens et il reste encore beaucoup à faire. Cependant, ces efforts seront insuffisants car nos besoins croissants en eau douce dépasseront bientôt la capacité de régénération du cycle hydrologique.

Si cela se produisait, la seule solution viable dans un futur proche serait le dessalement, c’est-à-dire l’utilisation de technologies purifiant l’eau de mer. Selon Leon Awebuch, ex-président et directeur de l’International Desalination Association (IDA) et président de Leading Edge Technologies, « le dessalement est le seul espoir pour les générations futures de produire de l’eau nouvelle, à un prix abordable ».

Au Moyen-Orient, on pratique le dessalement depuis 40 ans mais c’est tout récemment que le secteur a vraiment pris son essor. L’exploitation commerciale n’a commencé que dans les années 1990 et les chercheurs ont amélioré la technologie au fur et à mesure que la demande en eau douce s’accroissait. Au cours d’une conférence de l’Initiative on Global Environmental Leadership (IGEL) intitulée « The Nexus of Energy, Food and Water » (« Les liens entre l’énergie, l’alimentation et l’eau »), Neil Hawkins, vice-président développement durable et santé et sûreté environnementale de la Dow Chemical Company, l’un des grands acteurs du secteur, observait que la résolution des problèmes soulevés par ces liens est « la plus importante opportunité commerciale de notre époque ». Le développement exponentiel du secteur au cours des dernières années en est la preuve.

Aujourd’hui, grâce à la diffusion de ces innovations, plus de 16 000 centrales de dessalement produisent de l’eau dans 150 pays, notamment en Chine, en Inde, en Australie, au Chili et aux Etats-Unis. Avec une croissance annuelle de 15%, le secteur est en plein boom.

La consommation énergétique, un problème dépassé ?

Le secteur du dessalement a longtemps été bridé par sa consommation énergétique. Les deux technologies principales employées dans les processus de dessalement sont extrêmement gourmandes en énergie. L’osmose inverse utilise de l’électricité pour produire la pression élevée requise pour injecter de l’eau de mer à travers des membranes semi-perméables, tandis que la distillation thermique utilise de l’énergie, à la fois pour chauffer l’eau de mer et pour alimenter les pompes du système. Les coûts élevés de ces techniques les placent hors de portée de la plupart des acteurs, sauf dans les régions qui sont à la fois riches et arides. L’Arabie Saoudite est ainsi – et restera sans doute – le plus grand producteur et consommateur mondial d’eau dessalée.

Cependant, les investissements en recherche et développement ont ouvert la voie à des nouvelles techniques beaucoup plus économes en énergie. Awerbuch mentionne des avancées notables à la fois pour l’osmose inversée et le dessalement thermique. Pour l’osmose inversée, un des développements les plus importants concernent les systèmes de récupération d’énergie isobare (en anglais, Energy Recovery Devices, ERD). Cette technologie exploite le fait qu’une proportion très faible de la pression est utilisée au cours du processus pour forcer l’eau de mer à travers les membranes. L’ERD est capable de récupérer 98 % de cette énergie et de l’utiliser au cours du processus d’entrée, ce qui divise pratiquement par deux la consommation d’énergie des centrales d’osmose inversée. Concrètement, une centrale équipée de la technologie ERD est capable de produire 23 litres d’eau propre en consommant autant d’électricité qu’une ampoule de 100 watts pendant une heure.

Ces avancées ont également réduit la consommation d’énergie de la distillation thermique. Les procédés de Multiple Effect Distillation (MED, distillation à effets multiples) et de Mutiple Stage Flash Distillation (MSF, distillation à étapes multiples flash) – cette dernière étant beaucoup plus récente et plus utilisée – représentent des versions sophistiquées d’une des plus anciennes méthodes de dessalement, analogue au cycle hydrologique naturel : l’évaporation et la condensation de l’eau de mer. Ces systèmes chauffent l’eau de mer et la font circuler à travers différentes étapes de transformation qui abaissent progressivement la pression atmosphérique. Au fur et à mesure que la pression baisse, le point d’ébullition baisse également. Ainsi, à chaque étape supplémentaire, l’eau bout et se transforme en vapeur tout en se séparant du sel. Les centrales de distillation thermique sont généralement couplées avec des centrales électriques. Cette approche à double objectif permet d’améliorer l’efficacité en utilisant la chaleur résiduelle de la centrale pour chauffer l’eau de mer.

Innovation permanente

Le rendement de la distillation thermique peut être mesuré. On parle de Gain Output Ratio (GOR), pour rapporter la quantité d’eau propre produite à un certain volume de vapeur. Historiquement, le GOR se situait à environ huit pour un (une unité de vapeur générait huit unités d’eau propre). Mais selon Awerbuch, certaines centrales ont déjà atteint un rendement de 15 pour un et il prédit même un rendement de 16 pour un dans un futur proche.

La combinaison d’osmose inverse et de distillation thermique dans une centrale hybride accroît encore d’avantage l’efficacité énergétique. La distillation thermique produit de l’eau distillée qui surpasse les exigences de l’eau potable. Même si l’eau de l’osmose inversée est mélangée avec de l’eau distillée très pure et perd un peu en qualité, elle peut tout de même contribuer à un produit final à la hauteur des normes de sécurité. De ce fait, le système d’osmose inversée peut fonctionner à une pression inférieure, ce qui économise de l’énergie tout en préservant la durée de vie de la membrane. De plus, la chaleur du système thermique peut être utilisée pour accroître la température de l’eau de mer dans la partie d’osmose inversée de la centrale, ce qui accroît l’efficacité de la membrane.

Les membranes ont elles aussi évolué d’une façon spectaculaire. Au cours des 25 dernières années, les améliorations ont permis d’augmenter la quantité de sel extraite, ont accru la durée de vie des membranes et réduit les coûts. Le résultat combiné de toutes ces avancées a été de réduire sensiblement le coût de dessalement en le mettant à portée de nombreux pays. L’innovation continue sur plusieurs fronts, y compris le développement de la forward osmosis (osmose forcée), un procédé qui utilise la pression osmotique naturelle, sans assistance, contrairement à l’osmose inverse, où la pression est alimentée artificiellement.

Au Moyen-Orient, la consommation d’énergie atteint des seuils très élevés pendant les mois d’été. Dans certaines parties de l’Arabie Saoudite, par exemple, les pics de température peuvent atteindre les 50 degrés celsius et les climatiseurs tournent en permanence. En hiver, la consommation d’électricité chute d’environ 30 %. Une nouvelle piste mentionnée par Awerbuch consiste à utiliser le surplus de capacité de génération en hiver afin de produire plus d’eau dessalée que la demande. L’excès d’eau pourrait être stocké dans des aquifères souterrains qui seront sollicités en été, lorsque l’électricité est plus chère et que le réseau est davantage sollicité. Le stockage et la récupération d’eau dessalée dans les aquifères produit de l’eau à un coût beaucoup plus compétitif et accroît le rendement des centrales électriques qui, autrement, seraient sous-exploitées.

La pratique consistant à stocker l’eau dans les aquifères est très répandue aux Etats-Unis. De même que la constitution de réserves souterraines de pétrole qui s’est développée il y a de nombreuses années, de nombreuses zones avec des réserves d’eau insuffisantes ont fait appel à la même stratégie pour le stockage de l’eau. L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) estime que plus de 1000 puits d’aquifère de stockage et de récupération (ASR) sont actuellement en cours ou en attente d’exploitation, surtout dans les régions les plus sèches du pays. Peu de régions en dehors des Etats-Unis ont recours au stockage d’eau mais compte tenu de l’importance stratégique de ces réserves, de nombreux pays pourraient y avoir recours dans un avenir proche.

L’option des énergies renouvelables

La plupart des centrales de dessalement du monde exploitent les énergies fossiles. Sur le long terme, aussi efficaces soient-elles, cette option n’est pas durable du point de vue environnemental et économique.

Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, il est possible de construire des centrales solaires dont les ressources sont théoriquement illimitées. La région pourrait générer suffisamment d’énergie solaire pour satisfaire la demande mondiale plusieurs fois. Remplacer les énergies fossiles réduirait également les émissions de gaz à effet de serre, l’une des principales causes du réchauffement climatique.

Parmi toutes les technologies solaires disponibles, la Banque Mondiale cite notamment les centrales à concentration d’énergie solaire (CSP), qui « fournissent la meilleure option car elles sont modulables en fonction de la demande. Elles couvrent à la fois les besoins électriques de base et ceux des périodes de pointe. Avec le stockage de la chaleur et des collecteurs solaires de grand format, elles peuvent fournir de l’énergie 24 heures sur 24. »

Le développement de centrales à énergie solaire dans la région prendra un certain temps. Les centrales actuelles, qui utilisent des combustibles fossiles, seront utilisées jusqu’en 2041-2043. Un effort de R&D sera nécessaire pour que les coûts de l’énergie solaire soient compétitifs. En attendant, l’Arabie Saoudite a déjà développé un certain nombre de centrales de dessalement alimentées par énergie solaire et a récemment inauguré la première centrale à grande échelle d’osmose inverse d’eau de mer alimentée par énergie solaire (SWRO) au monde à Al-Khafji, près de la frontière avec le Koweït.

À huit mille kilomètres de là, en Australie, le continent le plus sec du monde, le vent est une ressource beaucoup plus accessible que le soleil. Le manque d’eau douce est un problème important. Avec les sécheresses récentes et le réchauffement climatique qui en augure de nombreuses autres, pour l’Australie, le dessalement est une nécessité stratégique et des centrales ont été construites à travers tout le pays. Aucune n’est alimentée par énergie fossile. L’Australie a opté pour l’énergie éolienne qui s’avère plus que suffisante pour alimenter indirectement les centrales de dessalement du pays.

Partenariats public-privé

Construire une centrale de dessalement est un projet extrêmement coûteux et de nombreux pays ne peuvent se le permettre. Saisissant l’opportunité, des investisseurs privés ont développé des modèles de financement ingénieux. Les producteurs d’eau et d’électricité réunissent les fonds, construisent et font fonctionner la centrale, en signant un accord à long terme pour garantir aux autorités locales l’achat de la production au cours des 20 ou 30 prochaines années. Les collectivités qui ne peuvent se permettre les investissements de départ peuvent en revanche garantir des paiements réguliers pendant la durée de l’accord.

Un exemple de tel projet aux États-Unis est celui de la centrale de dessalement de Carlsbad dont les travaux de construction sont menés par Poseidon Resources en Californie du Sud. Poseidon a également exporté le projet dans le comté de San Diego qui se trouve au bout du circuit de distribution de la Californie et par conséquent, a « les plus grands besoins en eau, paie le plus cher et est exposé à de grands risques en cas de sécheresse ou de défaillance d’un aqueduc », selon les termes de Peter MacLaggan, vice-président principal du projet de développement de Californie pour Poseidon. Pour le comté de San Diego qui importe l’essentiel de son eau, et dans un contexte économique extrêmement tendu, le partenariat avec Poseidon constitue un avantage indéniable.

Le comté a accepté de payer un prix fixe, indexé sur l’inflation, pour l’eau qu’elle consomme et de payer le coût de l’énergie consommée par la centrale de dessalement, aussi longtemps que ce coût reste dans les limites préétablies. Si la centrale dépasse ces limites, Poseidon assumera cette dépense supplémentaire (une incitation à maintenir un niveau de rendement élevé).

Au début, le comté paiera l’eau dessalée à peu près deux fois plus cher que l’eau qu’il importe des sources traditionnelles. Mais compte tenu de l’évolution récente, le prix de l’eau importée pourrait augmenter de manière importante. Selon MacLaggan, « au cours des 20 dernières années, le taux d’eau importée a augmenté de 6,4 % par an en moyenne ; au cours des 10 dernières années, il a doublé ». En partant du principe que le prix de l’eau importée continue à augmenter comme il l’a fait au cours des 20 dernières années, que l’inflation se maintient au niveau prévu, le prix de l’eau de dessalée sera au niveau de l’eau importée d’ici à 2025. Après cette date, le comté de San Diego fera des économies sur ses achats d’eau dessalée auprès de Poseidon.

Tous les fonds du projet de Carlsbad proviennent d’investisseurs privés. Poseidon a réuni 734 millions de dollars dans le marché des obligations, ce qui générera un rendement moyen de 4,85 % pour les investisseurs. Les 168 millions de dollars restants proviennent d’investisseurs en fonds propres, y compris Poseidon lui-même, qui escomptent un retour pendant la première décennie des 30 années que doit durer le projet. Le rendement supérieur compense les investisseurs en fonds propres en raison du risque relativement important qu’ils assument : puisque leur investissements sont subordonnés aux détenteurs d’obligations, les investisseurs en fonds propres sont plus exposés au cas où le projet n’engrangerait pas les bénéfices projetés.

Au-delà de l’eau de mer

Une centrale de dessalement peut augmenter les réserves d’eau potable sans jamais traiter de l’eau de mer. Cet exploit est accompli en utilisant essentiellement la même technologie que le traitement de l’eau saumâtre (le dessalement de l’eau saumâtre coûte typiquement à peu quatre fois moins que le dessalement de l’eau de mer et utilise beaucoup moins d’énergie).

Les États-Unis sont l’un des plus grands producteurs d’eau saumâtre dessalée. L’Association internationale de dessalement les place au troisième rang des dessaleurs mondiaux. Selon le Florida Water Resources Journal, la Floride assure plus de la moitié du dessalement du pays et 85 % des centrales de l’État traitent de l’eau saumâtre. Au Texas, un autre acteur du marché américain, aucune des 44 centrales de l’État ne traite de l’eau de mer.

Normalement, l’eau saumâtre provient des aquifères souterrains mais en raison de l’utilisation accrue de la fracturation hydraulique pour produire du gaz naturel, le secteur du pétrole et du gaz est un important consommateur potentiel d’eau saumâtre dessalée. Le processus de fracturation utilise du liquide à haute pression pour fracturer les gisements de schiste et l’eau qui résulte de ce processus est extrêmement salée. Le dessalement de l’eau saumâtre joue un rôle important dans l’atténuation des effets néfastes de la fracturation hydraulique sur l’environnement.

Le défi principal dans le dessalement de l’eau saumâtre : que faire avec la saumure résiduelle ? Dans les centrales de dessalement d’eau de mer comme celle de Carlsbad, la saumure concentrée est généralement diluée avec de l’eau de mer afin qu’elle soit inoffensive pour la faune et la flore marine, puis reversée dans l’océan. Cette option n’étant pas possible à l’intérieur des terres, la seule option consiste à utiliser le sel contenu dans la saumure pour des usages industriels, notamment la production d’hydrogène, de chlore et d’hydroxyde de sodium par électrolyse. La Chine, premier producteur mondial de sel, utilise abondamment la saumure en provenance des centrales de dessalement.

D’autres entraves au développement du dessalement doivent encore être surmontées. C’est le cas notamment de la pollution causée par les produits chimiques au cours du traitement et la pollution thermique des centrales MED et MSF, toutes deux nocives pour la faune et la flore marines. Mais avec des multinationales telles que Dow Chemical, BASF, GE, Degrémont ou le leader mondial Veolia, qui cherchent des moyens pour résoudre ces problèmes et continuer à faire baisser les coûts du dessalement ; avec les partenariats d’entreprises privées avec les gouvernements ; avec une demande d’eau qui surpasse les mécanismes d’approvisionnement naturels, le taux de croissance de 15 % projeté par Bloomberg semble un bon pari pour l’avenir de ce secteur.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Paristech

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