Le réchauffement menace la moitié de l’humanité d’une crise alimentaire

"Nous prenons le pire de ce que nous avons vécu historiquement et nous disons qu’à l’avenir ce sera nettement plus grave sans une adaptation", explique Rosamond Naylor, directrice du programme sur la sécurité alimentaire à l’Université Stanford en Californie (ouest), co-auteur de cette étude parue dans la revue Science datée du 9 janvier.

"Nous devons repenser le système agricole dans son ensemble, pas seulement en recourant à de nouvelles variétés (mieux adaptées à la chaleur et à la sécheresse) mais aussi en reconnaissant qu’une grande partie de la population, surtout dans les pays pauvres, devra sortir de ce secteur d’activité" dont elle dépend aujourd’hui entièrement pour sa survie, ajoute-t-elle.

"Les conséquences sur la production alimentaire mondiale de la seule hausse des températures seront énormes et cela ne tient même pas compte de la diminution des quantités d’eau qui seront disponibles", relève David Battisti, professeur de science atmosphérique à l’Université de l’Etat de Washington (nord-ouest), le principal auteur de ces travaux. Dans les zones tropicales, les températures plus chaudes devraient réduire le rendement des principales récoltes alimentaires comme le maïs et le riz de 20 à 40 %, selon ces chercheurs. L’humidité moindre des sols devrait entraîner une réduction encore plus grande de ces cultures, soulignent-t-ils.

Actuellement, la moitié des habitants de la Terre, soit trois milliards, vivent dans les régions tropicales et subtropicales et leur nombre devrait doubler d’ici la fin du siècle. Ces régions vont du sud des Etats-Unis au sud du Brésil et recouvrent une partie de la Chine, de l’Australie, le nord de l’Argentine et de l’Inde ainsi que la totalité du continent africain. Un grand nombre des personnes concernées vivent dans des pays en développement avec moins de deux dollars par jour et dépendent largement de l’agriculture pour leur subsistance, relèvent les chercheurs.La population de cette ceinture équatoriale qui s’étend de 35 degrés de latitude nord à 35 degrés de latitude sud compte parmi la plus pauvre de la planète et s’accroît plus rapidement que partout ailleurs.

Ce réchauffement climatique accéléré a été confirmé en avril 2008 par James Hansen, le directeur du Goddard Institute for Space Studies (GISS) et son équipe. Ils évaluent le seuil de danger à 350 ppm de CO2 environ. Or ce niveau a été atteint en 1990. Il se situe aujourd’hui à 385 ppm. Et il augmente à raison d’une à deux unités chaque année. Au lieu d’utiliser des modèles théoriques pour estimer la variabilité du climat, lui et son équipe se sont attachés aux preuves fournies par l’histoire de la Terre. Les scientifiques ont étudié des échantillons de carottes prélevées sur le fond de l’océan, ce qui permet de reconstituer les niveaux de C02 sur une échelle de plusieurs millions d’années. Ces relevés montrent que lorsque le monde a commencé à se refroidir au début de la période glaciaire environ 35 millions d’années de cela, la concentration de CO2 dans l’atmosphère était alors d’environ 450 ppm.

« Si nous conservons ce niveau de 450ppm suffisamment longtemps, il va probablement entraîner la fonte de toute la glace – ce qui déclencherait une montée du niveau de la mer de 75 mètres. À des niveaux aussi élevés que 550ppm, la planète se réchaufferait de 6° Celsius, indiquent leurs travaux. Les estimations précédentes considéraient que le réchauffement induit à ce niveau là ne serait que de 3°C.

La raison fondamentale pour cette réévaluation a été motivée par ce qu’il appelle « la rétroaction lente » qui est à l’oeuvre dans des mécanismes qui ne deviennent pleinement compris qu’aujourd’hui. Ces mécanismes amplifient la hausse de température provoquée par l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre. Ainsi, la neige et la glace reflètent la lumière du soleil, et en fondant, elles laissent exposé au rayonnement solaire le sol qui lui absorbe plus de chaleur.

De ce fait, lorsque l’inlandsis recule, l’effet de réchauffement est aggravé. Les technologies d’observation par satellite devenues disponibles au cours des trois dernières années ont montré que les calottes glaciaires fondent beaucoup plus vite que prévu, avec les glaces du Groenland et de l’Antarctique de Ouest qui perdent de leur volume. Les dernières données satellitaires révélées fin 2008 montrent que plus de 2.000 milliards de tonnes de glaces terrestres ont fondu depuis 2003 au Groenland, en Alaska et dans l’Antarctique.

Contrairement à la fonte de la banquise, celle des glaces terrestres augmente le niveau des océans très légèrement. Dans les années 1990, le Groenland n’avait pas contribué à une hausse de ce niveau. Désormais, l’île arctique l’élève d’un demi-millimètre par an, souligne le glaciologue de la NASA Jay Zwally.Au total, la fonte des glaces au Groenland, en Alaska et dans l’Antarctique a fait monter le niveau de la mer d’environ un demi-centimètre ces cinq dernières années, selon M. Luthcke. Le niveau des océans augmente également sous l’effet de dilatation des eaux provoquée par leur réchauffement.

Une autre étude menée grâce aux satellites d’observation sur la période 1996 – 2006 montre que la fonte des glaces en Antarctique s’est accrue de près de 75 % en raison l’accélération du mouvement des glaciers vers la mer. M. Hansen déclare qu’il considère maintenant comme « peu plausible » l’avis des nombreux climatologues qui estimaient que le recul des glaciers prendrait des milliers d’années. « Si l’on conserve le même rythme je ne vois pas comment l’Antarctique de l’Ouest pourrait survivre un siècle. Nous sommes devant une élévation du niveau des mers d’au moins deux mètres durant ce siècle. »

"Il est possible de revenir à un taux de 350 ppm assure M. Hansen. Selon lui, il faut un moratoire sur les centrales à charbon, puis supprimer progressivement tous les usages de la houille d’ici à 2020-2030. Il faut aussi revoir nos pratiques agricoles et forestières de façon à séquestrer du carbone."

Cet avertissement est confirmé par l’évolution de l’"empreinte écologique" de l’homme en hectares terrestres. Cette empreinte mesure la superficie biologiquement productive nécessaire pour pourvoir aux besoins d’une population humaine de taille donnée". Les derniers calculs montrent que nous avons largement dépassé notre quota – globalement. La Terre ne peut aujourd’hui offrir que 1,78 hectare global (hag) par habitant, pas un centimètre carré de plus. Or la consommation mondiale actuelle exige 2,23 hag productifs par terrien. Et les calculs montrent que si l’ensemble de la population humaine adoptait aujourd’hui le mode de vie des Européens et des Américains, il lui faudrait disposer en surface de quatre à cinq planètes Terre.

Une autre étude publiée le 26 janvier aux Etats-Unis dans les Annales de l’Académie nationale américaine des sciences (PNAS) montre comment le changement de la température à la surface des océans, des précipitations dans certaines régions du globe et la montée du niveau des océans "sont largement irréversibles pour plus de mille ans après que les émissions de dioxyde de carbone (CO2) auront complètement cessé" (Voir article dans notre rubrique « Environnement »).

A la lumière de ces avancées scientifiques, on ne peut que rappeler l’enjeu majeur que constitue le futur traité qui doit succéder au protocole de Kyoto en 2012 et définir les nouveaux objectifs planétaires de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Un nombre croissant de scientifiques considèren que l’objectif généralement affiché des 50 % de réduction à l’horizon 2050 est insuffisant et qu’il faudrait déduire de 80 % nos émissions mondiales de GES d’ici le milieu de ce siècle pour avoir une chance d’empêcher un dérèglement majeur et catastrophique du climat terrestre.

Face à ce défi de civilisation sans précédent il devient de plus en plus évident que, ni l’utilisation massive des énergies renouvelables, ni l’amélioration technologique de l’efficacité énergétique de nos sociétés ne suffiront. Il faudra également réduire "à la source" et de manière considérable nos besoins en énergie dans tous les domaines de la production de biens et de services, ce qui suppose une mutation sociale, culturelle et politique de grande ampleur.

Nous allons devoir, en deux générations, réinventer notre mode de vie, nos moyens de déplacement, nos villes, notre organisation du travail et bien sur nos systèmes politiques et nos institutions démocratiques. La tâche est immense et presque inhumaine mais nous n’avons pas le choix et la crise financière sans précédent qui secoue la planète doit nous servir de révélateur pour accélérer la transition vers une civilisation durable, plus équitable et plus humaine.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par René Tregouët

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