Le temps existe-t-il ?

En 1964, le physicien irlandais John Bell démontra qu’il devait exister des inégalités observables si notre monde était bien régi par la physique "classique" qui suppose des principes stricts de causalité spatiale et temporelle. Mais en 1982, dans une expérience historique réalisée à Orsay, Alain Aspect parvint à démontrer de manière rigoureuse, en utilisant deux photons émis d’une même source puis séparés par une grande distance, que les inégalités prévues par Bell étaient clairement transgressées et que le comportement de ces photons restait bien corrélés : toute mesure sur l’un des photons entraînait instantanément une modification du « comportement » de l’autre photon, exactement comme le prévoyait la théorie quantique.

Cette expérience remarquable confirmait sans ambiguïtés la nature quantique de notre monde au niveau spatial en montrant que deux objets ayant interférés à un certain moment forment à jamais une espèce d’entité, quelle que soit la distance qui les sépare par la suite. Dans ce cadre étrange, toute mesure sur l’un de ces objets aura immédiatement un effet sur l’autre.

En 1985, le physicien Anthony Leggett montra qu’il existait une inégalité similaire à celle de Bell, appliquée cette fois, non pas à deux objets séparés spatialement, mais à un seul objet mesuré à des instants diffèrents.Cette nouvelle forme d’inégalité fut dénommée« inégalité de Bell en temps ».

En 2001, Antoine Suarez et son équipe parvint à démontrer à Genève, au terme d’une autre expérience tout à fait remarquable, que ces inégalités en temps n’étaient pas respectées au niveau quantique et que deux photons se comportaient toujours de la même façon alors qu’ils n’avaient eu, compte tenu du dispositif expérimental sophistiqué mis en œuvre, aucune possibilité de communiquer entre eux.

Prolongeant celle d’Aspect, l’expérience de Suarez montrait que non seulement les deux photons agissait au niveau spatial comme s’ils constituaient une entité unique mais que l’ordre des évènements observés ne correspondaient à aucun ordre temporel précis et ne permettait plus de distinguer « l’avant » de « l’après » dans le déroulement de la causalité de cette fascinante expérience.

Enfin, il y a quelques semaines, des chercheurs du CEA, au lieu d’utiliser un objet quantique comme un photon, un atome ou un électron, ont testé un circuit électrique macroscopique composé de jonctions Josephson et de condensateurs. En mesurant ce circuit, ils ont également montré que l’inégalité de Bell en temps était à nouveau violée. Cette expérience met donc en évidence des propriétés quantiques à un niveau macroscopique. Elle montre qu’en l’absence de mesure, le circuit n’a pas d’état électrique défini. A contrario, toute mesure de ce système modifie son évolution temporelle. (Voir article du CEA).

Ces avancées de la physique montrent que le temps, tel que nous le concevons à notre échelle humaine ou à l’échelle cosmique, avec la relativité générale, change radicalement de nature et n’a plus de sens ou peut-être même d’existence au niveau quantique.

Ces troublantes mais rigoureuses expériences nous conduisent plus largement à nous interroger sur la nature profonde du temps. S’agit-il d’une substance, existant indépendamment de tout objet, de tout observateur, ou d’une propriété émergente de la matière et de l’énergie, d’un simple paramètre physique ou d’une information que notre cerveau produit sur la nature ?

Cette question essentielle reste plus que jamais ouverte mais elle déborde la science et passionne également les philosophes depuis l’Antiquité. Face à cet énigme insondable que constitue le temps, laissons le dernier mot au grand philosophe perse Avicenne qui, au début du XIème siècle donna du temps une définition d’une surprenante modernité qui intégrait cette dualité entre le temps ressenti par notre esprit et le temps physique : « Le temps est une forme déduite de la matière et produite par la conscience ».

[ Archive ] – Cet article a été écrit par René Tregouët

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