Nous avons pu observer ces deux dernières années un renchérissement du coût de financement des énergies renouvelables en Europe. En plus de la dégradation générale des conditions de financement –liée à la pénurie de crédit et à la conjoncture économique – l’on constate, dans la sphère des investissements verts :
- Une hausse du risque politique, lié à la schizophrénie des décideurs politiques, tantôt soucieux de l’environnement, tantôt délibérément assujettis aux intérêts des industries en place.
- Une hausse du risque-pays, lié à la déroute financière de certains pays européens : La Grèce est fortement impactée, le Portugal l’Espagne et l’Italie le sont dans des proportions inférieures.
- Une prise en compte artificiellement accentuée du risque économique lié à l’activité.
Cela est dû à l’exposition du secteur aux aléas économiques, cette exposition étant elle-même liée au coût de production supérieur (à court-terme) de l’électricité de source renouvelable – hors hydroélectricité – par rapport aux moyens de productions traditionnels.
En effet, il existe implicitement une crainte que les tarifs de rachat, pourtant garantis par contrat, soient abrogés – non seulement pour les nouveaux projets, mais aussi pour les centrales en exploitation – en cas de crise économique. Notons que ce risque dépend donc aussi du risque politique, cité ci-dessus.
Cette évolution à la hausse du risque a été rapidement intégrée dans les financements bancaires. À l’échelle macroéconomique, ceci a affecté la compétitivité des énergies renouvelables. À l’échelle microéconomique, la rentabilité des projets n’a été que moindrement affectée car ce phénomène a été en quelque sorte compensée par une baisse constante des coûts des moyens de production. La perte de rentabilité des projets est surtout attribuable à la révision des feed-in tariffs. Mais, toujours à l’échelle microéconomique, d’autres impacts ont été observés.
Il y a bien eu un transfert du risque – du financeur vers l’entrepreneur – et l’entrepreneur assume aujourd’hui la quasi-totalité du risque-projet pendant la phase de développement et construction (ce n’était pas le cas avant). Les possibilités de levier bancaire et d’affectation de fonds propres (dans le cadre du financement partiel par equity) ont été réduites, conduisant à un ralentissement de la vitesse de développement des activités et affectant à la baisse le Return On Equity. Or, nous savons que le ROE est le facteur le plus déterminant lors de la décision d’investissement, notamment concernant l’arbitrage inter-secteurs.
Le risque, vous l’aurez compris, est que l’on assiste à une fuite des investissements futurs, d’actionnaires potentiels, vers d’autres secteurs.
Si cette hausse du risque est bien réelle, la réaction des banques n’est que partiellement justifiée. En effet, d’autres évolutions récentes ont conduit à une baisse du risque associé à la production d’électricité de source renouvelable, et cela en revanche n’est pas pris en compte, ni dans les propre business model des entreprises, ni dans les plans de financement, que cela soit des financements traditionnels ou des project finance.
On compte, parmi ces facteurs, des événements de grande ampleur, parmi lesquels la malheureuse catastrophe nucléaire de Fukushima fait figure de tête de liste. L’impact de cet accident sur les marchés énergétiques est très important. L’annonce par la chancelière allemande Angela Merkel de la fermeture définitive et anticipée de l’ensemble des centrales nucléaires pour 2022 en est l’exemple le plus parlant. De manière générale l’avenir de l’industrie nucléaire est partiellement compromis et les spécialistes s’accordent sur le fait que le gaz est le substitut de court terme le plus probable au nucléaire.
La demande gazière tend donc à s’accroître, renchérissant le prix du m3, dans un contexte où l’eldorado que semblaient représenter les réserves non conventionnelles de gaz de schiste est fortement remis en question. En effet, ce secteur vit un dilemme : les conditions d’exploration permettant d’extraire le gaz non conventionnel à un faible coût sont très agressives pour l’environnement. La fracturation hydraulique, très employée aux États-Unis, montre ses limites environnementales, et il est difficile de penser que cette méthode se généralisera à l’échelle planétaire.
Quelques pays très dépendants énergétiquement comme la Pologne semblent être prêts à ignorer cette limitation, au cas où ce potentiel gazier se confirmerait. Ces pays peuvent donc réduire, à terme, leur dépendance énergétique grâce au gaz de schiste, mais il est impensable d’imaginer qu’ils pourront exporter du gaz extrait selon des méthodes condamnées par des pays importateurs voisins.
L’alternative serait donc de l’exporter vers des contrées plus lointaines, notamment vers l’Asie. Or, le transport du gaz est très coûteux lorsqu’il n’est pas transporté par pipeline. Pour un transport par méthanier, le processus de liquéfaction est coûteux, et la regazéification suppose un investissement préalable également très onéreux.
Le scénario le plus probable est donc celui où l’exploration des gaz de schiste se développe, mais avec des techniques moins agressives, plus élaborées et, par conséquent, plus coûteuses. Dans tous les cas, que ces réserves de gaz non conventionnels soient destinées à l’Europe où à d’autres zones du globe, la tendance est que leur extraction/transport soit plus couteux qu’au jour d’aujourd’hui.
Le coût du nucléaire qui survivra à la crise sera, quant à lui, inévitablement renchérit, et ce pour plusieurs facteurs. En plus des normes de sécurité (à chaque fois plus contraignantes), il est fort probable que l’opacité autour des coûts du nucléaire soit combattue. Une prise en compte rigoureuse des coûts de démantèlement des centrales et du stockage des déchets nucléaires (à moyen terme et à long terme) aurait un impact extrêmement important sur le cout de ce moyen de production.
Ainsi, le coût du nucléaire tend à la hausse. Le coût du gaz -conventionnel et non conventionnel- tend aussi à la hausse, tout comme le coût des combustibles fossiles : la demande énergétique est un flux à tendance croissante et les réserves fossiles sont un stock, si l’on rapporte la vitesse de renouvellement de la ressource à l’échelle de temps humaine. Que ce soit en raison de l’épuisement de la ressource ou des méthodes d’extraction à chaque fois plus complexes, leur coût ne cessera de croître.
Face à toutes ces alternatives de plus en plus coûteuses, les énergies renouvelables suivent une tendance inverse. Ceci constitue une assurance d’envergure pour les financeurs de ces sources énergétiques, qui devrait être considérée lors de leur financement. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, probablement en raison du caractère très récent de ces renversements qu’a connu, et connait toujours, le secteur énergétique.
En effet, malgré le fait que la majorité des phénomènes ci-dessus soient évidents, ces analyses restent des projections économiques basées sur des hypothèses, et elles ne disposent pas d’une grande portée auprès du milieu bancaire, qui fonctionne aujourd’hui majoritairement selon une logique de court-terme.
Pour l’instant, à l’échelle-projet, il n’y a donc pas beaucoup de solutions à ce paradoxe, si ce n’est d’avancer ces arguments lors de négociations avec les banquiers.
En revanche, à l’échelle politique, il est indispensable d’éclairer les décideurs politiques sur le fait que dans la tourmente actuelle que connaissent les secteurs traditionnels, le surcoût financier (toutefois décroissant) des énergies renouvelables constitue une prime d’assurance pour l’avenir car le vent, le soleil, l’eau et les gaz issus de la décomposition sont des sources inépuisables d’énergie. Leur épuisement impliquerait l’extinction du soleil (le cycle de l’eau, les vents et la vie dépendant de l’activité solaire) et donc, par définition, de la vie sur Terre. Inutile de rappeler que dans ce cas de figure, réfléchir aux besoins énergétiques de l’humanité n’aurait plus vraiment de sens.
Pendant cette période de rétraction du crédit, il serait donc souhaitable que les États compensent ce déficit de confiance injustifié :
- Par la création de mécanismes de garantie « gratuits » i.e. qui ne nécessitent pas l’avancement de fonds par l’État. L’État se porterait garant auprès des banques pour le financement de projets sérieux et aboutis, prêts à être construits. Le coût est quasi-nul (Du fait qu’il n’a pas de mobilisation de capitaux, il s’agit de coûts de gestion), et le risque aussi (à ce stade du projet, le risque d’un projet porté par une entreprise avec une certaine expérience avérée se résume, en pratique, au risque-pays : en quelque sorte, l’État se porte garant de son économie).
- Dans les pays où cela est possible, par l’amplification des lignes de crédits disponibles pour le financement des projets, très insuffisantes dans la majorité des cas.
Sans cela, l’on risque d’assister à une réorientation des investissements a priori destinés à ce secteur, manquant l’opportunité de mener à bien la dernière phase précédent l’avènement définitif des énergies renouvelables, incarné par le moment de la parité-réseau.
[ Archive ] – Cet article a été écrit par Pierre P. Da Silva