Les photons multicolores qui changeraient la science de l’informatique quantique

Pour exploiter le grand potentiel des technologies quantiques, les plus grandes entreprises investissent dans des infrastructures complexes et très coûteuses. Au même moment, avec un système photonique léger, accessible et compatible avec les technologies classiques, des chercheurs de l’INRS accomplissent de grands progrès pour la science de l’information quantique.

Dans leur article publié dans la revue Nature, l’équipe démontre que les photons représentent une ressource quantique puissante et avantageuse lorsqu’ils sont générés sous la forme de quDits intriqués sur un spectre de couleurs. Ces résultats ont été obtenus grâce à des dispositifs optiques intégrés et à des composants commerciaux de télécommunications.

Développée par l’équipe du professeur Roberto Morandotti, une puce photonique compacte, à faible coût de production et similaire à celles utilisées dans le domaine de l’électronique intégré, est au cœur du système générant les précieux photons. Grâce a un microrésonateur intégré sur puce et excité par un laser, des paires de photons partageant un état quantique complexe sont émisses.

Ces photons sont caractérisés par la superposition de nombreuses composantes en fréquences : ils sont simultanément de plusieurs couleurs différentes et les couleurs d’une paire de photons sont liées (ou intriquées) peu importe la distance qui les sépare.

Avec chaque fréquence (ou couleur) représentant une dimension, les photons sont générés à partir de la puce sous la forme de quDit, soit des états quantiques à dimensions élevées. Jusqu’à présent, la science de l’information quantique s’est concentrée sur l’exploitation de qubits, des états quantiques superposant deux dimensions. Par exemple, un qubit peut être 0 et 1 simultanément alors qu’en informatique classique un bit est 0 ou 1.

L’avantage de travailler dans le domaine fréquentiel vient de la possibilité de superposer plus de deux dimensions. Pour illustrer cela, on peut imaginer que les photons peuvent être à la fois rouges, jaunes, verts et bleus, bien que les fréquences utilisées soient infrarouges afin de permettre la compatibilité avec les systèmes de télécommunication. Chaque dimension ajoutée décuple la quantité d’information transportée par un photon.

À ce jour, le professeur Morandotti confirme la réalisation de quDits ayant au moins cent dimensions grâce à cette approche. Et ce n’est qu’un début puisque la technologie développée par l’équipe qu’il dirige peut se déployer de façon à créer des systèmes de deux quDits (donc lier des paires de photons qui sont eux-mêmes liés) ce qui représenterait plus de 9 000 dimensions. Ce niveau de complexité correspond à douze qubits et plus, une performance comparable à celle réalisée par des infrastructures beaucoup plus complexes et onéreuses.

Autre avantage, l’utilisation des fréquences à titre de caractéristique maîtresse des états quantiques fait en sorte que les quDits peuvent être facilement transmis et manipulés par des systèmes optiques fibrés.

« En combinant les domaines de l’optique quantique et le traitement de signal optique ultrarapide, nous avons démontré comment la manipulation de ces états complexes est réellement possible avec des éléments de télécommunication courants, tels que des modulateurs et des filtres de fréquences, » souligne le professeur José Azaña, expert des systèmes de télécommunications à l’INRS et cosuperviseur des travaux de recherches.

Alors que les avancées réalisées pour le secteur des télécommunications ciblaient uniquement la manipulation de signaux classiques, cette nouvelle approche change la donne. Ces progrès profiteront également aux sciences quantiques. La percée de l’équipe de l’INRS ouvre un nouveau champ de recherche fondamentale sur les caractéristiques des états quantiques à dimensions élevées, les applications des communications quantiques basées sur la fibre optique ainsi que le développement de portes logiques quantiques complexes.

Les principaux auteurs Michael Kues et Christian Reimer font finalement remarquer que le plus important dans cette percée est l’accessibilité de la plateforme développée. Celle-ci est facile à mettre en place et exploite des composants standards des systèmes de télécommunication disponibles commercialement. À court terme, cela signifie que les chercheurs de par le monde seront en mesure d’intégrer et de mettre à l’épreuve cette nouvelle technologie, ce qui accélèrera le développement d’applications quantiques concrètes.

Légende : Illustration de photons aux états quantiques à dimensions élevées, intriqués dans le spectre des couleurs, qui sont manipulés et transmis via un système de télécommunications. Crédit © Michael Kues. En bas à gauche : Puce photonique qui comprend une microcavité non linéaire. Cette microcavité est utilisée pour générer des paires de photons intriqués dans le spectre des couleurs. Crédit © INRS En bas à droite : Puce photonique connectée par fibre optique, permettant la manipulation des états quantiques à l’aide de composants standards des systèmes de télécommunication disponibles commercialement. Crédit © INRS

À propos de cette publication

Cette recherche est publiée sous le titre « On-chip generation of high-dimensional entangled quantum states and their coherent control » dans la revue Nature (29 juin 2017, DOI: 10.1038/nature22986) et a été réalisée par Michael Kues, Christian Reimer, Piotr Roztocki, Luis Romero Cortés, Stefania Sciara, Benjamin Wetzel, Yanbing Zhang, Alfonso Cino, Sai T. Chu, Brent E. Little, David J. Moss, Lucia Caspani, José Azaña et Roberto Morandotti.
Les travaux de l'équipe ont été rendus possibles grâce au soutien financier du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le ministère de l'Économie, de la Science et de l'Innovation du Québec, les Chaires de recherche du Canada, le Conseil de recherche de l'Australie, le programme Horizon 2020 de l'Union européenne, l'Académie des sciences de la Chine, le gouvernement de la Fédération russe et par le programme Sichuan 1000 Talents.

CP
Lien principal : www.inrs.ca

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