Les innovations technologiques envahissent notre quotidien, que ce soit pour nous assister, nous enrichir (éventuellement) et surtout nous faciliter la vie. Longtemps perçu comme un secteur vertueux, le numérique plus particulièrement révèle pourtant une dette écologique invisible à nos yeux mais ô combien significative. Selon un rapport de l’Agence Internationale de l’Energie*, la consommation d’électricité des centres de données, de l’IA et des cryptomonnaies pourrait doubler d’ici 2026. Cette croissance exponentielle place par conséquent ce secteur dans le collimateur de nombreux experts, qui s’interrogent sur la compatibilité entre innovation technologique et objectifs de décarbonation. Faisons le point.
Les cryptomonnaies, un gouffre énergétique persistant
Le secteur des cryptomonnaies pèse lourdement sur l’environnement. Le Bitcoin, par exemple, qui repose encore sur le mécanisme énergivore de « Proof of Work, PoW » (Preuve de travail), mobilise des fermes de minage composées de milliers de serveurs. En 2024, il a consommé environ 160 térawattheures (TWh) par an, soit plus que certains pays comme la Pologne. Et pourtant, comme en témoigne le cours bitcoin sur 10 ans et les actualités récentes, le Bitcoin a encore de beaux jours devant lui.
Les cryptomonnaies représentent 0,4% de la demande électrique mondiale, avec des disparités régionales criantes : un bitcoin miné au Kazakhstan émet 20 fois plus de CO₂ que le même processus en Suède*. Aux États-Unis, de nombreuses fermes restent alimentées par des réseaux au gaz voire au charbon. Au final, la dépendance aux combustibles fossiles convertit chaque transaction en Bitcoin en émission de gaz à effet de serre.
Mais l’impact va bien au-delà du carbone. Le minage entraîne également une consommation massive de ressources : de l’eau pour refroidir les centres de données, l’utilisation de métaux rares comme le lithium, le cuivre et le cobalt pour fabriquer les composants. Un modèle que beaucoup jugent désormais insoutenable.
L’IA générative
L’explosion de ChatGPT, une intelligence artificielle générative (LLM) bouleverse petit à petit les habitudes de consommation des utilisateurs, mais à quel prix ? Saviez vous qu’une simple interaction avec ChatGPT consomme 10 fois plus d’électricité qu’une recherche Google classique. La différence entre les deux s’explique notamment par la complexité des calculs qui demeurent nécessaires à la génération de contenus comme les textes, les images ou les vidéos. Et à mesure que les modèles deviennent plus puissants, ils nécessitent des serveurs plus performants et une infrastructure réseau plus robuste. Tout cela pèse lourd sur le bilan énergétique.
L’AIE anticipe une multiplication par dix de la consommation électrique du secteur de l’IA entre 2023 et 2026. Concrètement, si toutes les recherches Google quotidiennes (estimées à environ neuf milliards), s’appuyaient sur ChatGPT, cela représenterait 10 térawattheures d’électricité supplémentaires par an. La société de conseil Morgan Stanley va encore plus loin et estime que l’IA générative pourrait consommer autant d’énergie qu’un pays comme l’Espagne d’ici 2027**.
Un secteur du numérique en constante expansion
Les chiffres globaux révèlent l’ampleur du défi. Les centres de données, les cryptomonnaies et l’intelligence artificielle représentent aujourd’hui près de 2% de la consommation électrique mondiale, soit 460 térawattheures*. À titre de comparaison, cela équivaut à la consommation électrique annuelle de la France.
L’AIE projette une hausse spectaculaire pour 2026 : entre 160 et 590 térawattheures supplémentaires seront nécessaires par rapport à 2022*. Cette croissance interroge sur la soutenabilité du modèle actuel car l’industrie du numérique dans son ensemble représente déjà entre 1,5 et 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un niveau comparable à celui de l’industrie aéronautique.
Des solutions qui émergent
Si rien ne change, le secteur du numérique pourrait représenter 8% des émissions globales d’ici 2030. Aussi, face à cette situation, des solutions innovantes émergent.
Le projet « Crypto Climate Accord » vise par exemple la neutralité carbone de la blockchain d’ici 2040. Autre mesure concrète. L’empreinte énergétique de l’Ethereum a déjà été divisée par 99,9% grâce au passage du concept « Proof-of-Work » vers le « Proof-of-Stake, PoS » (Preuve d’enjeu). Avant la transition, la célèbre blockchain consommait environ 112 TWh par an, tandis qu’après le passage au PoS, la consommation est tombée à environ 0,01 TWh par an (soit 10 GWh).
D’autres acteurs compensent leurs émissions de CO2 en finançant des projets écologiques, tandis que des plateformes web annoncent être alimentées avec des sources d’énergie renouvelable. Enfin, les géants du cloud (Google, Microsoft, Amazon) investissent massivement de leur côté dans des Datacenters modulaires et des systèmes de refroidissement liquide, qui réduisent jusqu’à 40% leur consommation.
Des labels apparaissent également pour guider les choix des entreprises : “Green IT”, “Data Center Low Carbon”, etc. Ils visent à structurer une nouvelle approche du numérique, plus responsable et plus transparente.
En bref, rester innovant ne suffit plus : le défi actuel consiste à rendre le progrès technologique compatible avec un avenir réellement durable.
* IEA – Electricity 2024 – Analysis and forecast to 2026
** Morgan Stanley : Investing at the Intersection of AI and the Energy Transition