Nucléaire : la vérité est-elle si difficile à dire et à entendre ?

I. L’énergie nucléaire : une énergie « à part »

Des sujets aussi polémiques que peut l’être l’énergie nucléaire (civile), personnellement, je n’en connais pas beaucoup. En France, l’origine du problème est connue : le choix affirmé en faveur du nucléaire dès les années 60 et le lancement du programme électro-nucléaire qui s’en est suivi n’a jamais fait l’objet d’une consultation citoyenne à la hauteur de ce que le sujet aurait mérité. Mais à l’époque, il est probable qu’excepté un petit nombre d’initiés qui s’intéressaient de très près au sujet, l’énergie nucléaire civile n’était pas un sujet qui passionnait les foules. La croyance en la technologie toute puissante battait son plein, il y avait urgence à trouver une solution à long terme pour réduire la dépendance pétrolière de la France. Les questions restant sans réponse (déchets à vie longue) en trouveraient nécessairement une au fur-et-à mesure des avancées de la science.

40 ans plus tard, force est d’admettre que les mêmes questions restent peu ou prou toujours sans réponse. A quoi il faut bien évidemment ajouter la question du risque nucléaire, aussi mesuré soit-il. Voilà déjà deux bonnes raisons qui en soi, font de l’énergie nucléaire, une énergie à part. Et il y en a d’autres…

Une autre caractéristique propre au nucléaire, c’est le temps. Le temps – excessivement long – sur lequel il faut, au moins en théorie (…), être capable de se projeter pour avoir une vision globale des problématiques posées et, le cas échéant, être en capacité d’y faire face. C’est un point sur lequel il y aurait beaucoup à dire mais je préfère ne pas m’y attarder. Dans le cas de la France, étant donné l’ampleur du programme électro-nucléaire (le plus ambitieux au monde rapporté au PIB national) et son état d’avancement actuel, je doute personnellement qu’une sortie rapide du nucléaire soit réaliste et je vais tâcher d’en exposer les raisons dans les lignes qui suivent.

II. Les spécificités propres à l’énergie nucléaire

Contrairement aux alternatives – pour l’essentiel fossiles – capables de rivaliser avec l’énergie nucléaire pour produire de l’électricité de masse tout au long de l’année ou presque1, les centrales nucléaires ont une particularité qu’il est bon de rappeler : ce n’est pas le combustible que l’on met dedans qui coûte cher, c’est tout ce qu’il y a autour. Les centrales en elle-même naturellement, le réseau de lignes THT qui va avec et, dans le cas de la France, les usines d’enrichissement et de retraitement du combustible usé. Auquel il faudra ajouter d’ici quelques années, un très couteux site d’enfouissement des déchets ultimes. Des déchets déjà produits qu’il va bien falloir gérer avec le plus grand soin et la plus grande transparence nécessaire vis-à-vis des générations futures.

Une fois que l’on a dit cela, que peut-on presque immédiatement en déduire ? Qu’on ne sort pas du nucléaire comme on sort du charbon, du gaz ou du mazout. Surtout lorsque l’on possède le 2ème parc nucléaire civile au monde.

Car la période économique inédite dans laquelle nous sommes entrés depuis quelques temps déjà va imposer de revoir en profondeur les investissements en cours et à venir. S’agissant du nucléaire par exemple, la probabilité de renouveler à l’identique l’outil de production existant est proche de nulle. A quoi il faut y ajouter les déboires industriels de l’EPR qui fait payer très cher son statut de « pilote ». S’agissant des centrales existantes en revanche, étant donné les montants déjà investis jusqu’ici et les investissements à minima qu’il faudra y consacrer dans les prochaines années pour continuer à assurer un niveau de sécurité maximal, on imagine assez mal ce qui pourrait justifier un arrêt prématuré des centrales existantes, aussi anciennes soient-elles !

III. Tirer les leçons de l’expérience japonaise

Dans les jours qui ont suivi le 11 mars 2011, nombreux ont été les citoyens du monde entier à s’émouvoir des suites consécutives au Tsunami géant ayant provoqué la catastrophe nucléaire à la centrale de Fukushima. En Allemagne, la catastrophe a tout simplement abouti à mettre à l’arrêt 8 des 17 réacteurs encore en fonctionnement au moment du drame. Avec un objectif pour le moins ambitieux de mettre à l’arrêt le dernier réacteur allemand au plus tard en 2022.

Depuis, plusieurs décisions ont été prises afin de compenser, au moins en partie, la baisse de production électrique correspondante : investissement dans quelques centrales électriques au lignite, développement massif des renouvelables – notamment éolien – dans le Nord de l’Allemagne, là où le potentiel éolien est le plus important, création de nouvelles lignes THT pour acheminer l’électricité correspondante vers le Sud du pays, etc… Des investissement colossaux qui visent en partie à compenser les 23 % environ que pesait l’énergie nucléaire dans le mix-électrique allemand jusqu’en 2011.

Au japon en revanche, la question nucléaire est encore loin d’être réglée malgré la situation vécue par plusieurs milliers de familles japonaises. Pourtant, même avant Fukushima, le nucléaire représentait un peu moins de 30 % de l’électricité japonaise, le reste étant comme souvent produit par des centrales au gaz (~ 30%), au charbon (~ 25 %), des barrages hydro-électriques (~ 8 %). Les énergies renouvelables décentralisées (solaire, éolien) ne pesant que quelques pourcents de la consommation électrique étant donnée la densité très élevée des principales régions habitées.

Mais attention, la population japonaise étant une fois et demi supérieure à celle de l’Allemagne (pour une superficie géographique totale sensiblement équivalente), la production d’électricité d’origine nucléaire représentait le double en valeur absolue de ce qu’elle était en Allemagne en 2010.

De fait, un peu plus de deux ans après la catastrophe et des dépenses supplémentaires en GNL qui plombent littéralement la balance commerciale du pays, le gouvernement japonais a compris qu’il serait très difficile de remplacer à court terme 280 TWh d’électricité d’origine nucléaire par plus d’économie d’énergie et plus de renouvelables, sans changer de modèle économique (i.e. la croissance NDLR).

Difficile dans ces conditions d’imaginer ce que pourrait donner une sortie du nucléaire à relativement court terme dans un pays comme le notre qui produit grâce au nucléaire plus de 75 % de l’électricité qu’il consomme, même avec une superficie géographique une fois et demi plus élevée que l’archipel japonais (et une population deux moins importante il est vrai). Car à l’instar du Japon, la France est désormais un pays très endetté. S’agissant du nucléaire, les investissements déjà réalisés sur le territoire national se chiffrent en centaines de milliards d’Euros. Il est donc fort probable que comme au Japon, l’avenir nous contraigne à gérer au mieux l’existant faute de pouvoir financer de nouvelles installations. Car la croissance ne reviendra pas (lien vers article participatif publié le 23/09/2012)

IV. Électrifier les transports : une VRAIE priorité

Voilà un sujet qui mériterait d’être repris en coeur par une large part de la population et des décideurs politiques tout bord confondu, aussi nostalgiques soient-il de la voiture à pétrole et de tout ce qui va avec. Qu’on se le dise, la vraie priorité de la transition énergétique, ça n’est pas de régler le sort de l’énergie nucléaire qui pèse pour 17 % environ de l’énergie finale consommée en France. Non ! La vraie priorité est de s’attaquer au 40 % que pèse le tout pétrole ou presque dans les transports. Surtout qu’à 100$ le baril en moyenne depuis 2007, ça fait un petit moment déjà que ce pétrole-là est très néfaste à l’économie française et européenne…

A ce petit jeu, l’électricité a dès aujourd’hui un rôle tout à fait déterminant à jouer! Car l’électricité, c’est l’énergie de la force motrice par excellence. Après avoir été produite par une énergie mécanique quelconque (vapeur d’eau, eau, énergie éolienne) ou chimique (effet photovoltaïque), l’électricité va pouvoir alimenter un moteur électrique avec un excellent rendement, très supérieur à celui avec lequel elle alimente des lampes, des ordinateurs, des équipements électroménagers, des serveurs informatiques, des data centers, etc…

Plutôt que de continuer à gaspiller du pétrole importé du moyen-orient, de russie et peut-être un jour qui sait d’Amérique du Nord2 (…) dans des moteurs à combustion interne3, il est grand temps de changer de siècle en électrifiant massivement les transports : bus, tramways, métro, vélo à assistance électrique, quadricycles électriques, véhicules électriques (avec ou sans prolongateur d’autonomie), etc… tous ont leur place dès à présent pour répondre aux besoins en mobilité des citoyens. A condition bien entendu de leur offrir l’indispensable infrastructure électrique dont ils ont besoin pour pouvoir circuler… La France ne manque pas d’atouts pour aller dans ce sens : un réseau électrique que le monde entier nous envie ou presque, des entreprises leader de la mobilité électrique (y compris des PME), un important réseau de routes secondaires tout à fait adapté à la circulation de petits véhicules électriques légers, un mode de vie encore très ancrée sur la maison individuelle4, etc…

Pour les territoires, s’affranchir progressivement de la contrainte pétrolière tout en créant de nouvelles richesses et de nouveaux emplois (production d’électricité décentralisée) sont autant d’opportunités à saisir. Pour se faire, il va falloir investir, c’est vrai. Pourquoi pas en tirant intelligemment profit des outils de production en place ? En faisant payer le vrai prix de l’électricité aux consommateurs, l’Etat (via EDF) a non seulement les moyens d’encourager très concrètement les travaux d’économies d’énergie et l’efficacité énergétique (dans le bâtiment notamment) tout en dégageant des moyens supplémentaires pour investir dans les renouvelables, l’adaptation du réseau, l’après-nucléaire, etc…

Une seule condition : préparer l’avenir plutôt que sauvegarder le passé. Espérons que ce nouvel appel sera entendu au delà des divergences politiques des uns et des autres.

1 Une caractéristique fondamentale lorsqu’il s’agit de produire de l’électricité souvent sous-estimée par les partisans des énergies renouvelables (intermittentes).
2 Est-il besoin de rappeler les conséquences environnementales désastreuses de l’exploitation des pétroles lourds, sables bitumineux en tête ?

3 Qui passent l’essentiel de leur temps à rouler en milieu urbain et péri-urbain

4 Si en terme de mobilité pure, la maison individuelle constitue plutôt une faiblesse qu’un avantage, elle constitue néanmoins un atout pour le développement de la mobilité électrique compte tenu des possibilités offertes par la recharge à domicile.

N.B : Rester neutre et objectif sur un sujet comme celui-ci est assurément un exercice très difficile. Plus que jamais, il appartient à chacun de s’exprimer librement sur le sujet, aussi complexe soit-il, en apportant sa contribution, aussi modeste soit-elle.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par G. Porcher

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