La pollinisation, processus essentiel à la reproduction des plantes, révèle des mécanismes complexes et fascinants. Une étude récente menée par des chercheurs sud-africains et brésiliens a mis en lumière un phénomène inattendu : la compétition entre les grains de pollen de différentes plantes sur le corps des pollinisateurs. Leur découverte remet en question notre compréhension des stratégies de reproduction végétale et soulève des interrogations sur l’évolution des mécanismes de pollinisation.
Une compétition insoupçonnée entre grains de pollen
Des scientifiques d’Afrique du Sud et du Brésil ont apporté des preuves empiriques d’un phénomène jusqu’alors méconnu : les grains de pollen de plantes rivales peuvent entrer en compétition pour l’espace sur le corps des pollinisateurs. Cette rivalité influence directement la probabilité de fécondation des fleurs visitées ultérieurement.
Les chercheurs avancent l’hypothèse que les plantes auraient développé des stratégies similaires à la manipulation du sperme chez les animaux. En effet, les végétaux possèdent la capacité de contrôler la quantité et l’emplacement du pollen déposé sur les pollinisateurs.
Contrairement aux animaux, la reproduction des plantes ne nécessite pas de contact direct entre les fleurs. Par conséquent, la manipulation du pollen (porteur des gamètes mâles) doit s’effectuer avant que celui-ci n’atteigne une autre fleur, directement sur le corps des pollinisateurs.
L’Hypenea macrantha : un exemple de stratégie florale
L’étude s’est particulièrement intéressée à l’Hypenea macrantha, une fleur d’un rouge profond endémique du Brésil. Les chercheurs ont mis en place une simulation expérimentale, filmée au ralenti, démontrant comment cette fleur utilise un mécanisme de catapulte pour éliminer efficacement le pollen des fleurs rivales du bec d’un crâne de colibri, tout en plaçant son propre pollen au même endroit.
Ce mécanisme, appelé «placement explosif du pollen», n’est pas inconnu dans le règne végétal. Cependant, c’est la première fois que des chercheurs ont pu fournir des preuves empiriques de l’efficacité de ce processus. Le nombre de grains de pollen marqués aux points quantiques éliminés par l’explosion a été physiquement compté.
Une nouvelle perspective sur la compétition entre plantes
«Les fleurs visitées par les colibris déposent leur pollen sur le bec de l’oiseau, mais l’espace disponible pour ce dépôt est très limité. Les fleurs ont évolué en développant un mécanisme de catapulte qui projette le pollen sur le bec du colibri. La force des grains balistiques déplace les grains précédemment déposés par les plantes rivales, permettant à la fleur de placer ses propres grains sur un bec plus propre, augmentant ainsi ses chances de succès reproductif.» a déclaré le professeur Bruce Anderson, écologue évolutionniste au département de botanique et de zoologie de l’Université de Stellenbosch et premier auteur de l’article.
Cette découverte suggère que les plantes pourraient être en compétition les unes avec les autres d’une manière jusqu’alors insoupçonnée. Le professeur Anderson a ajouté : «Jusqu’à récemment, personne n’avait pensé à rechercher ce type de structures chez les plantes. D’une part, les fleurs d’un individu n’interagissent jamais directement avec les fleurs d’un autre individu lors de l’accouplement. Cela rend difficile pour les fleurs de manipuler les gamètes mâles d’autres fleurs comme peuvent le faire les animaux.»
Implications pour la compréhension de l’évolution florale
Le professeur Vinícius Brito, botaniste à l’Université fédérale d’Uberlândia au Brésil et co-auteur de l’étude, a expliqué : «Auparavant, on pensait que l’explosion florale servait principalement à placer les grains de pollen sur les pollinisateurs ou même à les surprendre pour qu’ils s’envolent vers de nouvelles plantes, dispersant ainsi le pollen sur de plus grandes distances.»
Il a conclu : «Nos données suggèrent cependant que ce mécanisme pourrait en réalité déplacer le pollen des fleurs précédentes, améliorant le succès reproductif mâle en augmentant la compétition pour l’espace sur le corps des pollinisateurs.»
Cette étude ouvre de nouvelles perspectives sur l’évolution des stratégies de reproduction des plantes et souligne la complexité des interactions entre les végétaux et leurs pollinisateurs. Elle invite à repenser notre compréhension des mécanismes de pollinisation et de leur rôle dans la diversité florale. L’adaptation des plantes à leur environnement et à leurs pollinisateurs se révèle être un processus encore plus sophistiqué que ce qui était précédemment envisagé.
Légende illustration : Cette image, prise au ralenti, montre le moment où le mécanisme de catapulte d’une fleur d’Hypenea macrantha explose de pollen. Crédit : Bruce Anderson and Vinicius Brito
Article : ‘Pollen wars: Explosive pollination removes pollen deposited from previously visited flowers’ / ( 10.1086/732797 ) – Stellenbosch University – Publication dans la revue The American Naturalist