Suivre à la trace les micropolluants du Léman

Les antibiotiques, pesticides urbains et autres produits contaminants s’accumulent là où les eaux usées sont déversées dans le lac Léman ; grâce à des simulations informatiques, des chercheurs ont démontré que les risques encourus augmentent en été et que la dégradation de ces substances est plus efficace durant l’hiver.

Une fois ingérés, les antibiotiques ne disparaissent pas comme par enchantement. Expulsés du corps via l’urine, certains d’entre eux parviennent même à sortir indemnes des stations d’épuration.

Ces derniers ainsi qu’une multitude de molécules contaminantes (pesticides ou autres produits pharmaceutiques) sont régulièrement détectés dans la baie de Vidy, au droit du lieu de rejet des eaux usées traitées de la ville de Lausanne dans le lac Léman. L’impact réel de ces micropolluants devient un sujet de préoccupation pour de nombreux scientifiques. On ignore notamment encore combien de temps ils peuvent persister dans l’environnement ainsi que dans quelle mesure ils représentent une menace pour les organismes vivants.

Dans un article récent, des chercheurs de l’EPFL dévoilent leurs découvertes sur la dilution de ces micropolluants par les courants lacustres. Leurs résultats montrent que ces produits stagnent plus longtemps en l’été, et ce à plusieurs mètres de profondeur. En hiver, il apparaît que ces substances remontent en surface où elles sont alors dégradées par le soleil.

Des poisons qui collent au tuyau

La station d’épuration lausannoise expulse chaque seconde entre une et trois tonnes d’eau dans le lac Léman au moyen d’un conduit terminant sa course à 700m de la côte à une profondeur de 30m. Les courants lacustres dispersent et diluent ensuite ces rejets, tout comme le vent éparpille la fumée qui s’échappe d’une cheminée. En résulte à la sortie du tuyau de déchargement, une « plume » de pollution sous-marine persistante.

Florence Bonvin, du Laboratoire de chimie environnementale de l’EPFL, étudie la dynamique de ce processus ainsi que les substances contenues dans la plume. « Nous détectons en permanence une foule de micropolluants, allant des antibiotiques aux pesticides urbains en passant par les antiépileptiques ou encore les anti-inflammatoires, et ce surtout à proximité du conduit d’évacuation de la station d’épuration », explique-t-elle. « Même si les concentrations sont faibles, elles sont fréquemment au-dessus du seuil considéré comme inoffensif pour les organismes. »

Pollution soumise aux courants lacustres

Récolter des micropolluants en bateau se révèle un exercice à la fois chronophage, coûteux et lacunaire, car il ne peut donner qu’un aperçu d’une situation à un temps donné. Par contre, un modèle informatique est en mesure de fournir une image plus complète. « Il nous faudrait prélever des échantillons en parallèle sur des centaines de sites pour atteindre la précision d’une simulation par ordinateur, ce qui est tout simplement impossible », déclare Florence Bonvin. Les scientifiques peuvent ainsi étudier en détail deux procédés simultanés: la dilution de micropolluants dans les eaux environnantes et leur dégradation par les rayons du soleil.

La dynamique d’une plume de pollution dépend principalement des courants lacustres, qui varient en fonction du temps et de la saison. En été, la surface se réchauffe tandis que le fond reste froid. La zone de transition entre les eaux superficielles et profondes – la thermocline – fonctionne comme un couvercle qui emprisonne les courants et la plume de pollution plusieurs mètres sous la surface. Lorsque les eaux du lac se refroidissent au cours de l’hiver, la thermocline disparaît et la plume remonte. Plus exposés aux vents et aux rayons du soleil, les polluants sont alors dilués et dégradés avec une efficacité accrue.

24 substances étudiées

Le modèle informatique de la chercheuse lui permet de quantifier la menace écotoxicologique que représentent 24 micropolluants lorsqu’ils sont rejetés dans le lac, en suivant leur dispersion dans les eaux environnantes et finalement leur dégradation. Afin d’étudier avec et sans thermocline estivale deux schémas de circulation lacustre tributaires des vents les plus courants, comme la bise par exemple, Florence Bonvin s’est basée sur les résultats obtenus grâce à un modèle 3D développé par Amir Razmi, du Laboratoire de technologie écologique de l’EPFL. Celui-ci reproduit les courants du lac détectés lors d’une campagne expérimentale effectuée dans la baie de Vidy. La dégradation solaire des polluants provient quant à elle de mesures effectuées dans son propre laboratoire.

« Les données de simulation nous permettent de cartographier l’emplacement des polluants selon les saisons, les vents et la couverture nuageuse, » explique Florence Bonvin. Il devient alors possible d’évaluer les risques encourus. « Les concentrations de chaque polluant sont très faibles, mais nous ne pouvons simplement pas les ignorer sachant que nous n’avons aucune idée quant à leurs effets à long terme sur les organismes vivants. »

Elle a en outre précédemment démontré que les antibiotiques, même digérés et neutralisés par le corps humain puis déversés dans le lac, peuvent être ranimés et donc retrouver leur forme originale active lorsqu’ils sont exposés au soleil. De quoi ajouter une source additionnelle de micropolluant… Cette découverte, qui complique encore la donne, a été publiée un peu plus tôt dans l’année dans Environmental Science & Technology.

Cette étude a été menée dans le contexte de la campagne de recherche Elemo, avec le soutien de Ferring Pharmaceuticals et du Consulat honoraire de Russie à Lausanne.

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Guydegif(91)

…cumulatifs et potentiellement interactifs ! ”L’impact réel de ces micropolluants devient un sujet de préoccupation pour de nombreux scientifiques.” Le Lac Léman, en lumière ici, n’est qu’un des endroits où de tels rejets sont identifiés, suivis et étudiés ! Bravo de cette prise de conscience et plan d’actions par EPFL et Florence Bonvin ! A terme, il faudrait insérer 1 étape supplémentaire avant ce rejet à 700m du bord et à 30m de fond…. ! Qu’en est-il des nombreux autres sites de rejets en fin de STEP, pressentis mais ignorés dans les faits pour actions correctives: la Seine, et tous les cours d’eau, boucs émissaires de rejets, qui par le passé étaient encore nettement plus nocifs, industriels, pollués !…solutions de ”facilité” court terme! C’est vrai en France, en Europe et encore pire dans les pays à ”vue basse” et aux législations qq peu laxistes !…voir Inde (Gange), où pollutions et ablutions cohabitent !…et dans bien d’autres lieux! Sans parler des bords de mer, voire un peu plus loin….là où Vortex-Trash !!!! une analyse chimique là ne doit pas être triste non plus !!!! C’est les poissons qui sont en 1ère ligne en tant que CAPTEURS de toutes ces substances chimiques, qui les ingèrent,….entrée de la chaine alimentaire, que nous continuons à consommer, crédules et naifs ! Il serait grand temps qu’on s’occupe sérieusement et concrètement de TOUS CES REJETS, à l’image de ce que fait Florence de l’EPFL ! La politique de l’autruche n’est plus permise, d’autant qu’au fil des temps, ce qui ne s’élimine pas, s’accumule, avec tout ce qui peut en découler…..! qd les seuils de nuisance sont dépassés! A+ Salutations Guydegif(91)