La transition vers une énergie bas carbone implique une demande exponentielle en batteries lithium-ion, tant pour les véhicules électriques que pour les systèmes de stockage sur réseau. Cette montée en puissance pourrait multiplier par trois à cinq la demande mondiale en lithium d’ici à 2030. Les méthodes traditionnelles d’extraction, fondées sur l’évaporation en bassins, sont longues (plusieurs mois à deux ans), gourmandes en eau — jusqu’à plusieurs milliers de tonnes par tonne de carbonate de lithium — et limitées à certains gisements de saumures continentales.
Face à ces contraintes, l’extraction directe du lithium (DLE) se profile comme une alternative potentiellement plus rapide et moins consommatrice en ressources hydriques et spatiales. Cependant, plusieurs incertitudes restent à lever : la durabilité des matériaux utilisés, la fiabilité des installations à grande échelle et l’impact environnemental réel sur les aquifères et la biodiversité locale. Certains experts considèrent que le DLE pourrait réduire significativement l’empreinte hydrique du lithium, tandis que d’autres soulignent que le traitement des saumures résiduelles pourrait engendrer de nouveaux défis écotoxicologiques.
Principales technologies DLE
Différentes approches techniques sont explorées pour isoler le lithium directement des saumures :
- Adsorption sur résines et zéolithes
Cette méthode repose sur des matériaux synthétiques capables de capter sélectivement les ions lithium. Elle peut offrir des rendements élevés (jusqu’à 90–99 %) en quelques heures. Néanmoins, la régénération des adsorbants et leur dégradation au fil des cycles soulèvent des interrogations quant à la longévité et aux coûts de remplacement. Il est possible qu’un recyclage chimique des résines améliore leur durabilité, mais cela nécessite des investigations supplémentaires.
- Échange d’ions (IX)
Les systèmes IX utilisent des billes échangeuses d’ions pour concentrer le lithium avec une consommation d’eau réduite. Des pilotes rapportent des récupérations supérieures à 90 % et une empreinte hydrique jusqu’à dix fois moindre que les bassins traditionnels. Toutefois, la stabilité des échanges à long terme et la gestion des concentrats de sels extraits demeurent des points de vigilance.
- Électrodialyse et membranes
En appliquant un champ électrique, cette approche sépare les ions lithium via des membranes sélectives. Les rendements peuvent atteindre près de 98 %, avec un très bon rejet des impuretés. Les principales limites portent sur le coût des membranes hautement sélectives et sur la sensibilité du système aux variations de la composition de la saumure, ce qui pourrait nécessiter un prétraitement complexe.
- Carbonatation directe
Cette méthode combine l’ajout d’un réactif carbonaté pour précipiter directement un carbonate de lithium. Simple et facile à industrialiser, elle affiche toutefois des rendements plus modestes (75–85 %) et génère des résidus de carbonates secondaires à valoriser ou à stocker.
Chacune de ces technologies présente des avantages et des limites. Il est probable que des combinaisons hybrides ou des innovations en matériaux (membranes céramiques, adsorbants bio-sourcés) puissent améliorer les performances globales et réduire les coûts opérationnels.
Acteurs et projets pilotes
Plusieurs entreprises et consortiums mènent des projets pilotes ou pré-commerciaux pour valider la faisabilité du DLE :
Société / Projet | Technologie | Rendement estimé | Stade de développement | Capacité visée |
Lilac Solutions | Échange d’ions | > 90 % | Pilote Salton Sea (États-Unis) | ~ 10 000 t/an (objectif) |
Summit Nanotech | Adsorption | 90–99 % | Démonstrateur industriel | Non communiqué |
KOCH DLE (A1 Lithium) | Électrodialyse | ~ 98 % | Premier pilote à Rincon (Arizona, États-Unis) | Non communiqué |
Rio Tinto – Rincon | Hybride (adsorption/IX) | Non communiqué | Usine commerciale de démarrage (3 000 t/an) | Jusqu’à 60 000 t/an |
EnergyX | Adsorption / IX | Non communiqué | R&D avancée | Non communiqué |
ElectraLith (JV Rio Tinto) | Membrane | Non communiqué | Financement pilote (~ 18 M$ levés) | < 5 000 t/an |
Occidental Petroleum / BHE | Géothermie + DLE | En cours d’évaluation | JV pour démonstrateur Imperial Valley (Californie) | Non communiqué |
Ces initiatives reflètent une volonté croissante de diversifier géographiquement la production, notamment hors de l’« axe traditionnel » Argentine–Chili–Chine. Il reste toutefois à observer si ces pilotes atteignent la maturité technique et économique requise pour une montée en puissance rapide, à l’image d’un « meilleur casino sans wager » qui combine à la fois transparence et conditions favorables pour attirer les investisseurs sans risques cachés.
Défis de montée en échelle
La généralisation du DLE à l’échelle industrielle implique plusieurs défis :
- Durabilité des matériaux
Les cycles répétés d’adsorption et de régénération peuvent favoriser la dégradation des résines, membranes ou zéolithes, nécessitant des remplacements fréquents et générant des coûts opérationnels supplémentaires. - Intégration des process
Assurer une exploitation continue (puits, pompage, prétraitement, séparation, purification) avec un minimum d’arrêts pour maintenance est complexe. Certains pilotes pourraient montrer une sensibilité aux conditions d’exploitation (variations de salinité, températures, présence d’éléments corrosifs). - Bilan énergétique
Les méthodes électrochimiques ou thermiques peuvent exiger un apport énergétique significatif. Si cette énergie n’est pas fournie par des sources renouvelables, l’intérêt climatique du DLE pourrait être réduit. - Gestion des eaux et des rejets
Même si la consommation d’eau est généralement inférieure à celle des bassins d’évaporation, le traitement des saumures résiduelles enrichies en minéraux et contaminants doit être maîtrisé pour éviter des impacts écotoxicologiques et respecter les normes environnementales locales. - Coûts d’investissement et d’exploitation
Le coût initial d’une installation DLE peut être supérieur à celui d’une exploitation par bassins, même si l’OPEX pourrait diminuer à terme grâce à l’automatisation et à l’optimisation des flux de matières. Les fluctuations du prix du lithium sur les marchés mondiaux constituent un risque économique non négligeable.
Perspectives et incertitudes
L’adoption du DLE dépendra de plusieurs facteurs interdépendants :
- Environnement réglementaire et exigences ESG
Les standards ESG de plus en plus stricts pourraient favoriser les technologies à faible empreinte hydrique et carbone. Toutefois, il faudra démontrer la conformité à long terme via des études indépendantes et des certifications fiables.
- Volatilité des marchés
Le prix du lithium connaît des fluctuations importantes. En cas de baisse prolongée, la rentabilité des investissements DLE, encore élevés, pourrait être compromise. Certains analystes suggèrent que seuls les procédés les plus économes et modulaires pourront résister à de tels cycles.
- Progrès technologiques
Des avancées en nanomatériaux, membranes organiques-inorganiques hybrides ou procédés électrochimiques pourraient améliorer les rendements et réduire les coûts. Des collaborations industrielles et universitaires renforcées paraissent nécessaires pour accélérer ces innovations.
- Diversification géographique
Étendre les projets DLE à de nouveaux bassins de saumure, notamment en Amérique du Nord, en Europe du Sud ou en Afrique du Nord, contribuerait à sécuriser les approvisionnements et à réduire la dépendance vis-à-vis des zones traditionnelles. Cependant, il faudra adapter chaque technologie aux spécificités locales (composition chimique, climat, réglementation).
- Acceptabilité sociale et impacts locaux
La mise en œuvre de sites DLE implique souvent des zones sensibles en termes de ressources en eau et de droits des populations autochtones. La concertation et la transparence sur les impacts potentiels sont susceptibles de déterminer le succès ou l’échec des projets.
Conclusion
Les technologies d’extraction directe du lithium présentent un fort potentiel pour répondre à l’essor des véhicules électriques et aux besoins croissants en stockage sur réseau. Elles promettent des rendements élevés, une consommation d’eau réduite et une meilleure rapidité de traitement. Toutefois, plusieurs incertitudes subsistent concernant la fiabilité des matériaux, l’intégration à grande échelle, la gestion énergétique et environnementale, ainsi que la viabilité économique dans des marchés volatils. Un suivi rigoureux des pilotes, associé à des études indépendantes de type techno-économique et environnemental, sera crucial pour évaluer si le DLE peut véritablement transformer la chaîne d’approvisionnement du lithium de demain.