Dans un hangar de Shenzhen, sous la lumière crue des néons, un robot de 1,60 mètre s’approche d’une borne de recharge avec la grâce mécanique d’un danseur de ballet. Sans hésitation, il retire la batterie épuisée logée dans son dos et insère une unité neuve en moins de trois minutes. Ce geste, à la fois banal et extraordinaire, marque une étape décisive dans l’évolution des humanoïdes industriels. Le Walker S2, conçu par le géant chinois UBTech, devient ainsi le premier robot au monde capable de remplacer sa propre source d’énergie sans intervention humaine, brisant un verrou technologique majeur pour les chaînes de production automatisées.
Dévoilé le 17 juillet dernier via une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, ce système de gestion autonome de l’énergie repose sur une architecture double batterie. « Chaque unité fournit environ 2,5 heures d’autonomie, mais c’est l’intelligence embarquée qui permet au robot de décider, en temps réel, s’il doit remplacer ou recharger la batterie en fonction de la priorité des tâches », explique un ingénieur d’UBTech, dont les propos sont relayés par Moneycontrol. Cette capacité à maintenir une alimentation ininterrompue pour les systèmes critiques – capteurs, actionneurs, processeurs – élimine un des principaux goulets d’étranglement de la robotique moderne : les temps morts liés à la recharge.
Avec ses 43 kilogrammes et sa morphologie proche de celle d’un adolescent, le Walker S2 se distingue par son adaptabilité. Contrairement aux robots roulants, son système de locomotion bipède lui permet de naviguer dans des environnements complexes – escaliers, sols inégaux, espaces encombrés – typiques des usines automobiles. Cette polyvalence a d’ores et déjà convaincu des géants comme BYD, Nio ou Zeekr, qui utilisent depuis plusieurs mois des versions antérieures du Walker sur leurs lignes de production.
UBTech ambitionne d’expédier 1 000 unités d’ici la fin 2025, avec un objectif de 10 000 exemplaires l’année suivante. Pour accélérer ce déploiement, le groupe a noué en mai dernier un partenariat stratégique avec Huawei Technologies. « Cette collaboration vise à intégrer notre système cloud BrainNet, permettant à plusieurs robots de coordonner leurs actions grâce à une planification IA en temps réel », précise Lin Feng, directeur des opérations chez UBTech. Grâce à des cartes de navigation partagées et une synchronisation des tâches en temps réel, les humanoïdes pourraient bientôt collaborer entre eux comme une équipe soudée d’ouvriers mécaniques.
Derrière cette avancée technologique se profile une mutation économique sans précédent. La Chine, qui importait encore massivement ses robots industriels il y a une décennie, domine désormais le marché mondial. Selon les données du ministère de l’Industrie, le pays représente aujourd’hui 51 % des installations mondiales de robots industriels. Le secteur, estimé à 47 milliards de dollars en 2024, devrait croître à un rythme annuel de 23 % pour atteindre 108 milliards en 2028.
Cette métamorphose s’appuie sur des politiques publiques ambitieuses. Le plan « Made in China 2025 » et l’initiative « Robot+ Application Action Plan » ont injecté des dizaines de milliards de yuans dans la recherche et le développement. Le résultat est sans ambiguïté : les fabricants locaux fournissent désormais 54 % des robots utilisés dans l’Empire du Milieu, contre 28 % en 2014. Avec 1,75 million d’unités en activité dans les usines chinoises – un chiffre en hausse de 17 % sur un an – le pays a transformé la robotique en levier stratégique pour moderniser son appareil productif.
Dans ce contexte, le Walker S2 n’est peut-être qu’une étape. Mais une étape décisive, qui marque le passage de la robotique de service à celle d’une autonomie totale. Une autonomie qui, bientôt, pourrait rendre obsolètes les concepts mêmes de pause et de maintenance.
Source : UBTech