Un fractionnement des charges observé par spectroscopie

Un fractionnement des charges observé par spectroscopie

La compréhension des phénomènes quantiques sous-jacents à la matière et à ses interactions ouvre des horizons fascinants pour la science et la technologie. Une équipe de recherche internationale, menée par l’Institut Paul Scherrer, a récemment mis en lumière un comportement électronique qui pourrait influencer l’avenir des dispositifs électroniques.

Les lois de la mécanique quantique établissent que la charge de l’électron est indivisible et quantifiée. Cependant, des exceptions à cette règle ont été observées, où les électrons semblent se comporter collectivement comme s’ils étaient divisés en entités indépendantes, chacune portant une fraction de la charge.

La fractionnalisation de la charge a été observée expérimentalement depuis la fin des années 1980 avec l’Effet Hall Quantique Fractionnaire en 1982, mais c’est la première fois qu’une telle dynamique est révélée par spectroscopie dans un ferromagnétique métallique à base de fer, accessible à des températures relativement élevées.

Comprendre le comportement étrange des électrons

Dans les métaux conventionnels, les électrons se déplacent en ignorant généralement les autres, sauf lors de collisions occasionnelles. Toutefois, dans certains matériaux et sous certaines conditions extrêmes, les électrons peuvent commencer à interagir et à se comporter collectivement. Les bandes plates sont des régions de la structure électronique d’un matériau où les électrons se trouvent dans le même état énergétique, ce qui peut conduire à des phénomènes tels que des formes exotiques de magnétisme ou des phases topologiques.

Les chercheurs ont pu observer ce phénomène sans l’application de champs magnétiques forts, en créant une structure de réseau qui réduit les énergies cinétiques des électrons et favorise leur interaction. Cette structure est inspirée du tapis de bambou tissé japonais «kagome», qui caractérise les couches atomiques dans un nombre surprenant de composés chimiques. Leur découverte a été faite dans Fe3Sn2, un composé constitué uniquement de fer (Fe) et d’étain (Sn), assemblés selon le motif kagome.

La spectroscopie ARPES au laser offre une vue détaillée

L’utilisation de la spectroscopie photoémissive résolue en angle au laser (laser ARPES) a permis aux chercheurs de sonder la structure électronique locale du matériau avec une résolution sans précédent. Sandy Ekahana, chercheur postdoctoral au groupe Quantum Technology de l’PSI et premier auteur de l’étude, a souligné l’intérêt de détecter des inhomogénéités dans la structure électronique liées aux domaines ferromagnétiques.

En se concentrant sur certains domaines cristallins, l’équipe a identifié une caractéristique connue sous le nom de poches d’électrons. Dans ces régions, les électrons se comportent comme des excitations collectives, ou quasi-particules. Les mesures ont révélé une bande dispersive interagissant avec une bande plate, une interaction qui pourrait permettre l’émergence de nouvelles phases de la matière.

Yona Soh, scientifique à l’PSI et auteur correspondant de l’étude, explique que cette interaction entre bandes plates et dispersives a fait l’objet de nombreuses discussions théoriques, mais que c’est la première fois qu’une nouvelle bande causée par cette interaction est découverte par spectroscopie.

Un comportement électronique encore plus étrange

Les conséquences de cette observation sont encore plus profondes. Là où les deux bandes se rencontrent, elles s’hybrident pour former une nouvelle bande. Lorsque cette nouvelle bande est créée, la charge est répartie entre la bande dispersive originale et la nouvelle bande, ce qui signifie que chaque bande ne contient qu’une fraction de la charge.

Ainsi, les mesures effectuées par Ekahana et ses collègues fournissent une observation spectroscopique directe de la fractionnalisation de la charge.

Gabriel Aeppli, chef de la division science photonique à l’PSI et professeur à l’EPFL et à l’ETH Zurich, qui a proposé l’étude, souligne que la possibilité d’atteindre et d’observer des états dans lesquels la charge est fractionnalisée est passionnante non seulement du point de vue de la recherche fondamentale, mais aussi parce que cela se produit dans un alliage de métaux communs à des températures basses, mais encore accessibles. Cela rend envisageable l’utilisation de la fractionnalisation dans des dispositifs électroniques futurs.

Légende illustration : Les électrons qui traversent le métal Kagome Fe3Sn2 sont influencés par la proximité d’une bande plate (illustrée par la réflexion de la bille supérieure sur une surface plane). La charge électronique est alors fractionnée, ou divisée (comme le montre ici l’apparition de la boule inférieure). Les chercheurs ont maintenant observé cet effet par spectroscopie (Image : Institut Paul Scherrer / Sandy Ekahana).

Article : “Anomalous electrons in a metallic kagome ferromagnet” – DOI: 10.1038/s41586-024-07085-w

[ Rédaction ]

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