Des ingénieurs de l’Université de Floride, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Californie à Los Angeles et de l’Université George Washington, ont conçu un prototype de puce informatique exploitant la lumière plutôt que l’électricité pour exécuter l’une des opérations les plus énergivores de l’intelligence artificielle : la reconnaissance d’images et d’autres tâches fondées sur la détection de motifs. Leurs résultats démontrent une réduction drastique de la consommation énergétique pour des calculs jusqu’ici gourmands en ressources.
L’opération centrale, la convolution, structure le traitement des images, des vidéos, voire du langage par les systèmes d’intelligence artificielle. Actuellement, ces calculs mobilisent d’importantes ressources informatiques.
Le prototype, développé sous la direction de Volker J. Sorger, professeur titulaire de la chaire Rhines en photonique des semi-conducteurs à l’Université de Floride, parvient à les accomplir avec une efficacité multipliée par dix, voire cent, comparé aux architectures électroniques classiques. Là où les puces traditionnelles consomment des kilowatts, leur dispositif opère avec une consommation quasi négligeable.
« Effectuer un calcul fondamental en apprentissage automatique avec une consommation d’énergie quasi nulle est un saut en avant pour les systèmes d’intelligence artificielle futurs », a déclaré Volker J. Sorger. « Cela est essentiel pour continuer à étendre les capacités de l’intelligence artificielle dans les années à venir. »
Hangbo Yang, professeur-chercheur associé au sein du laboratoire de Volker J. Sorger et coauteur de l’étude, précise : « C’est la première fois que quelqu’un place ce type de calcul optique sur une puce et l’applique à un réseau neuronal d’intelligence artificielle. »
Leur équipe a conçu un dispositif intégrant deux ensembles de lentilles de Fresnel miniaturisées, fabriquées selon des procédés standards de l’industrie des semi-conducteurs. Ces structures, analogues en deux dimensions à celles utilisées dans les phares maritimes, mesurent à peine une fraction de la largeur d’un cheveu humain. Les données d’apprentissage issues d’une image ou d’une autre tâche de reconnaissance sont converties en faisceaux laser, traversent ces lentilles, puis sont reconverties en signaux numériques pour achever la tâche.
Les tests montrent que leur puce classe des chiffres manuscrits avec une précision d’environ 98 %, équivalente à celle des puces traditionnelles. Mais là où les architectures classiques mobilisent des milliers de transistors, leur système exploite les propriétés physiques de la lumière — diffraction, interférence — pour accomplir les opérations presque instantanément, sans chaleur résiduelle ni consommation électrique significative.
Un autre avantage réside dans la capacité à traiter simultanément plusieurs flux de données. « Nous pouvons faire passer à travers la lentille plusieurs longueurs d’onde, ou couleurs, de lumière en même temps », explique Hangbo Yang. « C’est un avantage clé de la photonique. »
Leur architecture s’inscrit dans un écosystème technologique déjà partiellement photonique. Des fabricants comme NVIDIA intègrent déjà des composants optiques dans certaines parties de leurs systèmes dédiés à l’intelligence artificielle, notamment pour la communication interne entre processeurs. L’ajout de lentilles de convolution photoniques pourrait donc s’intégrer sans rupture majeure dans les chaînes de production existantes.
Volker J. Sorger, également directeur adjoint des initiatives stratégiques à l’Institut des semi-conducteurs de Floride, anticipe : « Dans un futur proche, l’optique intégrée aux puces deviendra un élément central de chaque circuit que nous utiliserons quotidiennement. » Et d’ajouter : « Le calcul optique appliqué à l’intelligence artificielle est la prochaine étape. »
Soutenue par l’Office of Naval Research, leur recherche propose une alternative concrète à la croissance exponentielle de la consommation énergétique liée aux modèles d’intelligence artificielle. GPT-4, Gemini, Llama et leurs successeurs mobilisent des quantités d’énergie comparables à celles de petites villes. Leur approche pourrait permettre de maintenir la progression des performances sans aggraver la pression sur les infrastructures électriques.
Le prototype reste expérimental. Son industrialisation exigera des ajustements techniques, des validations de fiabilité et une intégration dans des systèmes plus complexes. Mais le principe est désormais établi : la lumière peut pénétrer le cœur même du calcul. Et dans ce nouveau paradigme, chaque photon compte — pour la vitesse, et surtout pour la sobriété.
Article : « Near-energy-free photonic Fourier transformation for convolution operation acceleration » – DOI : 10.1117/1.AP.7.5.056007
Article adapté du contenu de Éric Hamilton – Université de Floride