Une sonde spatiale capable de se reproduire elle-même aurait pu visiter notre système solaire et y laisser des traces, suggère une étude publiée en octobre 2024 par Alex Ellery, professeur au département d’ingénierie mécanique et aérospatiale de l’université Carleton à Ottawa. Loin des habituelles recherches de signaux radio en provenance d’exoplanètes lointaines, le scientifique canadien propose de concentrer les efforts sur la Lune et les astéroïdes, où des signatures technologiques extraterrestres pourraient subsister depuis des millions d’années. Une proposition qui déplace radicalement le terrain de chasse du programme SETI vers notre propre arrière-cour cosmique.
Le paradoxe de Fermi revisité
La question reste entière : si des civilisations extraterrestres avancées existent, pourquoi n’avons-nous jamais détecté leur présence ? Alex Ellery revisite le célèbre paradoxe de Fermi en examinant la viabilité des sondes autoréplicantes, inspirées du concept de machines de von Neumann développé par le mathématicien John von Neumann. Selon le chercheur, une civilisation suffisamment avancée aurait tout intérêt à envoyer de tels engins pour explorer méthodiquement la galaxie. Que ce soit pour des raisons défensives – dans l’hypothèse dite de la « forêt sombre » où chaque civilisation se cache par peur d’être exterminée – ou purement exploratoires, les sondes autoréplicantes représenteraient la stratégie la plus efficace pour cartographier l’espace interstellaire.
Contrairement aux vaisseaux transportant des populations biologiques, les machines autonomes suivraient une stratégie d’exploration agressive, se concentrant sur les systèmes stellaires riches en métaux nécessaires à leur reproduction. Le chercheur souligne que l’intelligence artificielle embarquée dans les sondes constituerait probablement la forme de contact la plus probable avec une intelligence extraterrestre, plutôt qu’avec des organismes biologiques. « L’IA est la forme la plus probable d’intelligence extraterrestre que nous sommes susceptibles de rencontrer », écrit le professeur dans son article.
La Lune, base idéale pour une fabrication extraterrestre
Après avoir écarté les astéroïdes comme sites probables – les traces d’exploitation minière y seraient difficiles à distinguer des processus naturels – il identifie la Lune comme candidate privilégiée pour héberger des vestiges d’activité extraterrestre. Notre satellite naturel offrirait des conditions optimales pour établir une base de fabrication. Des ressources minérales accessibles, l’absence d’atmosphère facilitant les opérations spatiales, et la stabilité géologique permet la préservation de structures sur des échelles de temps géologiques.
L’étude propose une piste de détection particulièrement originale. Il faudrait rechercher des anomalies dans les ratios isotopiques, notamment les rapports thorium-232/néodyme-144 et thorium-232/baryum-137. Selon Alex Ellery, la construction de réacteurs nucléaires à partir de ressources lunaires – comme le modèle britannique Magnox – aurait laissé de telles signatures isotopiques distinctes. « Les réacteurs nucléaires peuvent être construits de manière réalisable à partir de ressources lunaires, ce qui aura laissé des signatures de ratios isotopiques », précise-t-il dans son article.
Le thorium-232, isotope relativement stable avec une demi-vie de 14,05 milliards d’années, constitue la quasi-totalité du thorium présent dans la nature. Son utilisation dans un processus industriel extraterrestre aurait modifié les proportions isotopiques naturelles de manière détectable.
Un cadeau enfoui pour l’humanité ?
L’hypothèse la plus intrigante avancée par le professeur Ellery concerne un possible échange économique préventif. Une sonde autoréplicante ayant exploité les ressources lunaires aurait pu laisser intentionnellement des artefacts enfouis, accessibles uniquement une fois qu’une civilisation atteindrait un certain niveau technologique. Le cadeau ultime ? Un « constructeur universel » – une machine capable de fabriquer n’importe quel objet, y compris elle-même.
Le scénario repose sur une logique de troc interstellaire. En échange des matériaux prélevés, la sonde extraterrestre aurait laissé une technologie révolutionnaire, détectable seulement par une espèce suffisamment avancée pour l’apprécier et l’utiliser. Une forme de commerce galactique différé dans le temps, où le paiement précède la découverte du bien échangé. « Une sonde autoréplicante ayant extrait des ressources lunaires pourrait laisser un cadeau technologique comme paiement pour les ressources extraites », ajoute t-il.
Des implications pour l’exploration lunaire
Alors que l’industrialisation commerciale du système solaire s’amorce, le chercheur insiste sur l’urgence de définir quoi chercher et où. Les futures missions lunaires, qu’elles soient scientifiques ou commerciales, pourraient intégrer dans leurs protocoles la recherche systématique d’anomalies isotopiques ou de structures artificielles enterrées. Alex Ellery applique d’ailleurs des principes de science forensique à sa démarche : probabilité bayésienne des événements extraterrestres, dégradation progressive des preuves dans le temps, échanges de matériaux entre objets terrestres et extraterrestres.
La technologie d’autoréplication, que l’humanité commence elle-même à développer, pourrait émerger dans les prochaines décennies, bien avant la propulsion interstellaire. Si nous pouvons concevoir de telles machines, d’autres civilisations plus anciennes ont probablement franchi le cap depuis longtemps.
Lire l’article scientifique d’Alex Ellery : « TECHNOSIGNATURES OF SELF-REPLICATING PROBES IN THE SOLAR SYSTEM » – .PDF











