Les herbiers marins ont le potentiel d’être l’une des éponges les plus efficaces au monde pour absorber et stocker le carbone, mais nous ne savons pas encore comment la pollution par les nutriments affecte leur capacité à séquestrer le carbone.
Dans le cadre de deux études, des chercheurs de l’Université du Michigan ont évalué l’impact de l’azote et du phosphore sur les herbiers marins, des herbes courtes ressemblant à du gazon qui poussent dans les zones côtières peu profondes. En examinant les données recueillies sur une parcelle d’herbiers marins enrichis en nutriments pendant une période de neuf ans, les scientifiques ont découvert que les nutriments peuvent augmenter la capacité des herbiers marins à stocker le carbone. Cependant, dans une deuxième étude, ils ont également découvert qu’une surcharge en azote pouvait entraîner une croissance accrue du phytoplancton, qui peut ombrager et tuer les herbiers marins.
Ces deux études, publiées respectivement dans Global Change Biology et Conservation Letters, ont été soutenues par la National Science Foundation et la David and Lucille Packard Foundation.
Cependant, dans d’autres baies qui ont subi un ruissellement de nutriments mais qui ne comportaient pas de phytoplancton ombrageant, il a constaté que les herbiers marins poussaient bien. Les zones côtières tropicales sont souvent pauvres en nutriments. Lorsque les herbiers marins qui y poussent sont baignés de nutriments, leur croissance s’accélère tant qu’il n’y a pas trop de phytoplancton bloquant la lumière.
Les chercheurs, dirigés par Bridget Shayka, récemment diplômée d’un doctorat à l’Université du Michigan, ont découvert que dans les herbiers relativement pauvres en nutriments, le phosphore et l’azote favorisaient la croissance des herbiers marins. Au fur et à mesure de leur croissance, les herbiers marins ont d’abord investi dans leur croissance souterraine, ou système racinaire, stockant du carbone dans leurs racines. Ensuite, ils ont investi dans leurs structures aériennes, c’est-à-dire leurs brins. Au final, les racines ont poussé rapidement, mais sont également mortes rapidement, ce qui a transféré le carbone supplémentaire dans les sédiments entourant les racines et l’a séquestré à un rythme plus élevé.
« Les gens pensaient que l’excès de nutriments tuait les herbiers marins. Mais nous avons démontré que tant qu’il n’y a pas trop de nutriments, ce qui augmenterait également le phytoplancton, les herbiers marins ne font qu’accélérer leur croissance grâce à l’excès de nutriments. » a déclaré M. Allgeier.
Pour étudier l’impact des nutriments, M. Shayka et M. Allgeier ont prélevé des échantillons d’herbiers marins sur des parcelles expérimentales aux Bahamas qui avaient été traitées avec des nutriments pendant neuf ans. Shayka et un groupe de 17 étudiants de premier cycle ont minutieusement démêlé les herbiers marins, en séparant les herbes en plusieurs parties : les brins qui poussent au-dessus du sol mais sous l’eau, la gaine d’où émergent les brins, les racines des herbiers marins et les rhizomes des herbiers marins, qui sont essentiellement des tiges souterraines à partir desquelles d’autres herbiers marins peuvent pousser.
Ils ont ensuite lyophilisé chaque partie, les ont pulvérisées et ont testé leur teneur en azote, en phosphore et en carbone. Outre le fait que l’augmentation des nutriments dans le système augmentait le renouvellement du carbone dans les plantes, les chercheurs ont également découvert que les nutriments fournis par des sources humaines avaient un impact plus important sur les herbiers marins que ceux fournis par les poissons.
« Les systèmes que nous étudions sont des systèmes assez pauvres en nutriments, donc l’ajout de nutriments peut augmenter la production d’herbes marines », a ajouté Shayka, aujourd’hui responsable de programme pour l’organisation à but non lucratif Ocean Visions. « Mais nous savons également que lorsque l’on va trop loin et que l’on ajoute trop de nutriments, cela détruit réellement ces systèmes. C’est l’une des principales causes de leur destruction dans le monde et dans les systèmes côtiers. »

Dans la deuxième étude, les chercheurs ont testé quel nutriment, l’azote ou le phosphore, avait le plus grand impact sur les herbiers marins, et si c’était le rapport azote/phosphore ou la quantité totale de chaque nutriment qui avait le plus grand effet sur le système. Ils ont également examiné les impacts des nutriments sur le phytoplancton.
Pour ce faire, ils ont créé 21 rapports différents entre l’azote et le phosphore et ont ajouté des nutriments à des parcelles d’essai d’herbiers marins poussant dans une autre partie de la même baie, ainsi qu’au phytoplancton dans des bouteilles. Ils ont constaté que le phosphore avait un effet positif plus important sur la croissance des herbiers marins que l’azote dans des conditions pauvres en nutriments.
Une théorie écologique établie de longue date suggère que le rapport entre les nutriments a le plus grand impact sur un système, mais les chercheurs ont découvert que dans ce cas particulier, le phosphore avait un effet plus important sur les herbiers marins, tandis que l’azote avait un effet plus important sur la croissance du phytoplancton. Les chercheurs ont notamment constaté que l’ajout d’azote entraînait une explosion du taux de phytoplancton dans les bouteilles, ce qui montre qu’une augmentation de l’azote dans le milieu naturel pourrait conduire à des niveaux de phytoplancton qui feraient de l’ombre aux herbiers marins.
« Lorsque vous cultivez des tomates, vous n’ajoutez pas seulement de l’azote. Vous ajoutez un rapport parfait entre l’azote et le phosphore. Cette idée est très répandue dans notre société. Mais comme nous avons testé la colonne d’eau et les herbiers marins, nous pouvons affirmer que ce modèle ne fonctionne pas dans notre système. » a précisé M. Allgeier.

Cette découverte pourrait aider les communautés locales à contrôler l’impact des nutriments sur les herbiers marins.
« Nous n’allons pas mettre fin à l’enrichissement en nutriments. C’est tout simplement impossible. Mais nous pouvons le gérer. Et comment le gérer au mieux ? En le purifiant pour éliminer l’azote. » a t-il conclu.
Article : « Nutrient Enrichment Increases Blue Carbon Potential of Subtropical Seagrass Beds » – DOI : 10.1111/gcb.70401
Article : « A New Conceptual Model of Tropical Seagrass Eutrophication: Evidence for Single Nutrient Management » – DOI : 10.1111/conl.13133














