Un arbre peut sembler robuste à l’extérieur mais cacher des faiblesses internes dangereuses. À Singapour, où la « ville-jardin » abrite plus de 2 millions d’arbres, le Professeur Abdulkadir C. Yucel et son équipe ont développé une solution innovante pour détecter l’invisible et protéger patrimoine naturel urbain.
Tout comme un médecin utilise une radio pour examiner notre corps, l’équipe singapourienne a créé un système radar couplé à l’intelligence artificielle qui ausculte l’intérieur des troncs. Le dispositif analyse en 3-4 minutes l’état de santé d’un arbre, atteignant une précision de 96% en laboratoire. Les méthodes traditionnelles, comme la tomographie sonique, nécessitaient plusieurs heures d’intervention et un contact direct avec l’arbre.
Dans les coulisses de l’innovation
«Notre plus grand défi était de concevoir un système permettant d’obtenir des images nettes malgré l’écorce rugueuse des arbres. Les micro-ondes devaient traverser différentes densités de bois tout en conservant leur précision.» explique le Professeur Lee Yee Hui
L’équipe a développé une solution en trois volets :
– Un radar sur rail motorisé qui se déplace à 10 cm du tronc, effectuant des mesures tous les 2 centimètres
– Des micro-ondes spécialement calibrées pénétrant le bois pour repérer les anomalies internes
– Un algorithme d’IA entraîné sur plus de 20 000 images de troncs d’arbres
«L’idée est née après une tempête dévastatrice en 2019», raconte Jiwei Qian, chercheur associé. «Plusieurs arbres centenaires apparemment sains s’étaient effondrés, révélant des cavités internes importantes. Nous avons alors compris l’urgence de développer un outil de diagnostic préventif.»
Du laboratoire au terrain
L’équipe a effectué quatre balayages différents de l’arbre, en orientant à chaque fois le radar d’un côté différent de l’arbre. Cette fois-ci, le système a atteint une précision de 75 % : le modèle d’apprentissage profond a identifié la présence d’une cavité trois fois sur quatre.
Les scientifiques ont expliqué que cette baisse de précision était prévisible car leur modèle d’apprentissage profond a été principalement formé sur des données provenant de troncs d’arbres coupés plutôt que d’arbres vivants, en raison de la difficulté à trouver des arbres dont les défauts internes sont connus. L’ensemble des données peut également ne pas représenter pleinement la grande variété de formes d’arbres et de défauts internes. Par conséquent, la précision évaluée peut ne pas refléter le véritable potentiel du modèle d’apprentissage profond.
Un autre facteur est la variation du taux d’humidité entre les échantillons de troncs d’arbres et les arbres vivants, qui pourrait également avoir affecté la pénétration du signal transmis par le radar, diminuant ainsi la précision.
L’équipe de la NTU mène actuellement d’autres travaux sur le terrain et en laboratoire pour affiner les capacités du radar en entraînant son modèle d’apprentissage profond sur un plus grand nombre de données et d’échantillons de troncs d’arbres vivants.
L’équipe travaille également sur la portabilité du système et sur l’extension de son application à des arbres aux troncs plus grands et plus irréguliers, permettant de scanner simultanément des troncs de différentes hauteurs, afin que leur innovation puisse un jour être déployée sur le terrain pour la détection des défauts internes des arbres.
«Les conditions réelles représentent un défi passionnant», note Kaixuan Cheng, doctorant. «L’humidité variable des arbres, leurs formes uniques, la densité du bois qui change selon les espèces – tous facteurs que notre IA apprend progressivement à maîtriser.»
À Singapour, le programme de gestion des arbres a déjà réduit les chutes de 65%. Le Dr. Shawn Lum, écologue tropical, précise : «Un arbre urbain subit des stress constants : pollution, chaleur, vibrations du trafic. Notre technologie permet maintenant d’identifier les faiblesses avant qu’elles ne deviennent critiques.»
Applications concrètes
Les gestionnaires d’espaces verts anticipent de nombreux bénéfices :
– Cartographie numérique de la santé des arbres par quartier
– Planification préventive des interventions d’entretien
– Réduction des coûts d’inspection et de maintenance
– Protection optimisée du patrimoine arboré historique
Les défis techniques en cours
L’équipe travaille actuellement sur plusieurs axes d’amélioration :
– La miniaturisation du système pour créer une version portable
– L’adaptation aux arbres de plus de 2 mètres de diamètre
– Le développement d’une interface utilisateur intuitive pour les arboristes
– L’intégration de capteurs environnementaux supplémentaires
Impact environnemental et social
La préservation des arbres urbains dépasse le simple aspect sécuritaire :
– Un arbre mature absorbe jusqu’à 150 kg de CO2 par an
– La canopée urbaine réduit la température locale de 2 à 8 degrés
– Les arbres anciens abritent une biodiversité unique
– Le patrimoine arboré contribue au bien-être des citadins
Les arbres urbains représentent un patrimoine vivant dont la préservation façonne la ville de demain. La fusion du radar et de l’IA offre désormais aux gestionnaires urbains un outil non invasif pour garantir la pérennité de la canopée urbaine.
«Notre technologie n’est qu’un début», conclut le Professeur Yucel. «L’avenir appartient à une gestion intelligente et préventive de nos forêts urbaines.»
Source : NTU