L’exploration des espaces interstellaires, longtemps cantonnée aux récits de science-fiction, suscite aujourd’hui un intérêt croissant au sein de la communauté scientifique. L’idée d’utiliser des voiles ultrafines propulsées par des lasers pour atteindre des vitesses extraordinaires soulève autant d’espoirs que d’interrogations. Comment concevoir une technologie capable de résister aux contraintes extrêmes du voyage spatial tout en restant fonctionnelle et précise ? Une équipe de chercheurs a entrepris de répondre à cette question en posant les bases expérimentales d’une telle innovation.
Lancée en 2016 sous l’impulsion de Stephen Hawking et Yuri Milner, l’initiative Breakthrough Starshot vise à explorer la faisabilité d’un voyage vers le système stellaire Alpha Centauri.
Ce programme repose sur l’utilisation de sondes miniatures attachées à des voiles photoniques, propulsées par des lasers terrestres. Harry Atwater, directeur de la Division d’ingénierie et de sciences appliquées à Caltech, a décrit leur ambition : «Le voile lumineux voyagera plus rapidement que tout vaisseau spatial précédent, rendant envisageable l’exploration directe de distances interstellaires jusqu’alors accessibles uniquement par observation à distance.»
Des efforts considérables ont été déployés pour transformer cette idée théorique en réalité tangible. Une plateforme expérimentale a ainsi été développée afin de caractériser les matériaux destinés à ces voiles. Leur comportement face à la pression exercée par les lasers constitue un aspect central de leurs recherches.
Une plateforme expérimentale inédite
Les chercheurs de Caltech ont conçu une méthode permettant de mesurer la force exercée par un laser sur une membrane ultramince. Cette étape cruciale marque le passage des propositions théoriques à des observations concrètes. «Il existe de nombreux défis dans le développement d’une membrane utilisable comme voile lumineux. Elle doit résister à la chaleur, maintenir sa forme sous pression et se stabiliser le long de l’axe d’un faisceau laser», explique Harry Atwater. «Mais avant de pouvoir construire une telle voile, il fallait comprendre comment les matériaux réagissent à la pression de radiation des lasers.»
Pour étudier ce phénomène, une voile miniature a été créée. Fixée aux coins à l’intérieur d’une membrane plus grande, elle ressemble à un trampoline microscopique. La structure, fabriquée à partir de nitrure de silicium, mesure seulement 50 nanomètres d’épaisseur.
Les mouvements de cette voile ont été analysés grâce à un dispositif appelé interféromètre à chemin commun.

Des résultats prometteurs mais complexes
Les vibrations induites par la lumière laser ont révélé une dynamique complexe. Selon Lior Michaeli, co-auteur principal de l’étude, «la voile agit comme un résonateur mécanique, vibrant sous l’effet de la lumière». Ces vibrations sont principalement causées par la chaleur générée par le faisceau laser, ce qui complique la mesure directe de la pression de radiation. Toutefois, l’équipe a su transformer cet obstacle en opportunité. «Nous avons non seulement évité les effets indésirables de la chaleur, mais également utilisé les connaissances acquises pour créer une nouvelle méthode de mesure de la force lumineuse», ajoute Lior Michaeli.
Cette approche innovante permet au dispositif de servir également de mesureur de puissance laser, combinant ainsi deux fonctions essentielles. Ramon Gao, autre co-auteur principal, souligne : «Notre travail a consisté à élaborer et réaliser un schéma permettant de mesurer avec précision les mouvements induits par des forces optiques à longue portée.»
Vers une stabilisation optimale des voiles
La stabilité des voiles représente un défi majeur. Pour simuler les conditions réelles d’un voyage spatial, les chercheurs ont incliné le faisceau laser afin de reproduire une situation où la voile ne serait pas parfaitement perpendiculaire à la source lumineuse. Les résultats ont montré que la force exercée était inférieure aux attentes. Une hypothèse avancée dans l’article publié dans Nature Photonics suggère que la lumière, lorsqu’elle est dirigée selon un angle, frappe les bords de la voile, provoquant une dispersion partielle.
Afin de résoudre ce problème, l’équipe envisage d’utiliser des métamatériaux nanostructurés pour contrôler les mouvements latéraux et les rotations des voiles. «L’objectif serait d’utiliser ces surfaces nanostructurées pour, par exemple, imprimer une force ou un couple restaurateur à une voile lumineuse», indique Ramon Gao. «Si une voile venait à s’écarter du faisceau laser, elle pourrait alors revenir automatiquement à sa position initiale.»
Les travaux réalisés à Caltech constituent une étape importante vers la compréhension des forces optiques et des couples nécessaires pour guider une voile lumineuse en accélération libre. «C’est une pierre angulaire dans l’observation des forces optiques conçues pour permettre à une voile de voyager le long d’un faisceau laser», conclut Ramon Gao.
Légende illustration : Des chercheurs du Caltech font les premiers pas expérimentaux vers des voiles lumineuses qui pourraient atteindre des systèmes stellaires lointains
Article : « Direct radiation pressure measurements for lightsail membranes » – DOI : s41566-024-01605-w
Source : Caltech