Comment fournir l’électricité dont le monde a besoin ? (II)

L’accroissement considérable de la production d’énergie électrique dans le monde au cours des 25 prochaines années (70% dans le scénario nominal retenu par l’Agence Internationale de l’Energie) montre l’intérêt de faire les bons choix pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Le rapport de la Cour des Comptes publié en janvier 2012 sur "Le coût de la filière électronucléaire" vient d’apporter des précisions très attendues sur ce sujet.

C’est pourquoi il est intéressant de comparer toutes les filières technologiques de production d’électricité, en partant de celles qui sont le plus utilisées actuellement et en couvrant bien entendu toutes les nouvelles énergies renouvelables.

L’IFRAP (Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques Publiques) a réalisé une synthèse que nous nous proposons de relayer à nos lecteurs (en 2 partie).

 Le recyclage du combustible nucléaire et les centrales de quatrième génération

Le combustible MOX (Mixed OXyde fuel) est un mélange d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium u tilisé dans certaines centrales nucléaires pour limiter la consommation d’uranium naturel en recyclant les combustibles usés qui contiennent 97% de matière recyclable. Ceci présente trois avantages principaux :

la limitation des quantités de plutonium produit par les centrales. En effet un réacteur qui fonctionne avec 30% de combustible MOX consomme autant de plutonium qu’il en produit, ce qui contribue à l’effort de stabilisation des stocks de matière nucléaire, la réduction par 10 de la toxicité à long terme des déchets et par 5 de leur volume, des économies importantes d’uranium enrichi et donc d’uranium naturel. Ce combustible est utilisé depuis 35 ans dans les réacteurs à eau légère qui constituent l’essentiel du parc nucléaire mondial et notamment 36 réacteurs en Europe, dont 20 en France.

Les recherches internationales en cours visent à développer des réacteurs nucléaires de quatrième génération qui constituent une rupture en termes de rendement, de longévité et de sûreté. Ils seraient mis en service vers 2040. Ces réacteurs à neutrons rapides exploitent la fertilité de l’uranium 238 naturel qui, irradié par des neutrons rapides, est converti en plutonium 239 fissile. Avec la même quantité d’uranium, on peut produire 50 à 100 fois plus d’électricité que dans les centrales actuelles. La ressource d’uranium deviendrait alors millénaire.

Ces systèmes à neutrons rapides permettent en effet le bouclage complet de l’aval du cycle du combustible par un multi-recyclage du plutonium, ce qui préserve les ressources en uranium. Dans les réacteurs actuels à eau pressurisée, le recyclage du plutonium est limité à un cycle sous forme du combustible MOX. L’un des grands enjeux des réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides est de faciliter la gestion des déchets radioactifs en réduisant le volume et la radio-toxicité intrinsèque à long terme des déchets ultimes, qui retrouveraient le niveau de radioactivité de l’uranium naturel au bout de 300 ans.

La France, forte de l’expérience acquise dans la conception de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium au travers des programmes Rapsodie, Phénix et Super Phénix a lancé le démonstrateur Astrid, placé sous la responsabilité du CEA, dont la mise en service est prévue en 2020.

Les coûts de production de l’énergie électrique

La Direction de l’Énergie au Ministère de l’Industrie entreprend tous les 3 à 5 ans l’étude des coûts de référence de la production électrique, qui est une évaluation du coût complet du mégawatt-heure (MWh) électrique issu des différents moyens de production. S’agissant d’informations commercialement sensibles pour les moyens de production centralisés (centrales à charbon, à gaz et nucléaires), les résultats sont publiés en valeur relative, la base 100 étant retenue pour une centrale nucléaire de type EPR mise en service en 2020. Les principales hypothèses sont un taux de rentabilité de 8% pour le capital investi, un prix de charbon à 60 Euros/tonne, de gaz à 6,5 $/MBtu et d’uranium à 52 $/lb. Les résultats sont présentés sans appliquer de pénalités sur les émissions de CO2.

Les moyens de production comparés sont une centrale EPR de 1650 MW, une centrale à charbon pulvérisé et traitement des fumées de 900 MW et une centrale à gaz de 450 MW fonctionnant en base, c’est-à-dire 8760 heures par an. Les résultats relatifs sont 100 pour le nucléaire, 110 pour le charbon et 125 pour le gaz, mais alors que pour le nucléaire la répartition entre l’amortissement de l’investissement et le combustible est de 75/25, elle est de 25/75 pour le charbon et le gaz.

Pour une durée annuelle d’appel inférieure à 5000 heures par an les centrales à gaz sont plus compétitives que les centrales à charbon et les centrales nucléaires. Leur coût de référence est alors de 150, ce qui est l’hypothèse à retenir lorsque la centrale à gaz est utilisée conjointement à des moyens de production électrique utilisant de l’énergie renouvelable comme les éoliennes. Mais les surcapacités de production de gaz que l’on constate actuellement ont fait baisser le prix du gaz par un facteur deux aux Etats-Unis par rapport aux hypothèses retenues dans l’étude de la Direction de l’Energie, ce qui rend la filière gaz particulièrement compétitive aujourd’hui. Dans l’hypothèse d’une taxe de 20 Euros/tonne de CO2, les coûts du MWh seraient grevés de 15 Euros pour le charbon et 7 Euros pour le gaz, tandis que le nucléaire ne supporterait aucun surcoût.

La production hydroélectrique sort du cadre de l’étude de la Direction de l’Energie car chaque barrage est spécifique. Néanmoins pour la petite hydroélectricité, sur la base d’un fonctionnement de 3500 à 4000 heures par an, l’étude donne une fourchette de 60 à 120 Euros par MWh pour des petites puissances comprises entre 50 KW et 7,5 MW.

Concernant la production éolienne, pour une mise en service en 2012 d’une éolienne terrestre de 3 MW fonctionnant 2400 heures par an à pleine puissance, on a un coût de 74 Euros par MWh. Pour une éolienne en mer de 4 MW fonctionnant 3000 heures on obtient 118 Euros par MWh.

Enfin la production solaire photovoltaïque, pour une mise en service en 2012 d’une installation de 3 KW pour une maison individuelle dans un environnement où l’énergie solaire incidente correspond au nord de la France, a un prix de revient de 680 Euros par MWh. Pour une centrale solaire à concentration de 10 MW située dans un environnement du sud de la méditerranée on est à 230 Euros le MWh.

Quelle politique d’investissement en centrales électriques pour la France ?

Le parc nucléaire français est homogène et bien que les centrales aient été conçues pour une durée de vie de 30 ans EDF envisage de les faire fonctionner pendant 40 à 60 ans en faisant évoluer la sûreté des anciens réacteurs pour les rapprocher de celle d’un EPR. Compte tenu de la structure des coûts de production de l’électricité nucléaire où l’amortissement de l’investissement initial est prépondérant, la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires devrait permettre de produire de l’électricité de manière très compétitive.

Ceci permettrait d’attendre d’avoir les premiers retours d’exploitation de la centrale EPR de Flamanville avant de décider d’un lancement de tranches industrielles significatives d’un nouveau programme nucléaire. D’autant que par conception, du fait de son très haut niveau de sécurité, l’EPR devrait rester coûteux par rapport à ses concurrents directs qui sont l’AP 1000 américano-japonais (estimation de 55 dollars le MWh) et l’APR 1400 Sud Coréen (estimation de 42 dollars le MWh), ces comparaisons restant à vérifier lorsque plusieurs centrales seront en fonctionnement.

En parallèle les études des réacteurs surgénérateurs de quatrième génération doivent impérativement être poursuivies et il serait important de partager ces travaux de recherche avec des partenaires étrangers américains et japonais, comme il a été prévu dans les déclarations d’intention signées en 2010.

En dehors du nucléaire, il est souhaitable de modérer l’essor des équipements individuels photovoltaïques qui se fait au mépris de toute rentabilité grâce à des subventions payées par la collectivité à travers une péréquation des prix de l’électricité qui a ses limites. L’éolien terrestre et offshore est une solution pour développer les énergies renouvelables, mais elle est coûteuse et ceci d’autant plus que son caractère intermittent oblige à mettre en réserve une capacité équivalente en centrales à gaz ou en centrales nucléaires. D’un strict point de vue économique, les centrales à gaz offrent pour la période à venir un très grand intérêt à cause de leur coût de production très compétitif tant que le gaz est bon marché. C’est la voie retenue par l’Allemagne, qui n’a pas investi dans les centrales nucléaires de troisième génération. Mais l’association gaz/éolien fournira à l’Allemagne une électricité plus chère que celle du parc nucléaire français actuel, dont on aura prolongé la durée de vie.

Concernant le coût du MWh nucléaire qui vient de faire l’objet du rapport de la cour des comptes, on a selon différents modes de calcul les résultats suivants (extraits du rapport) :

  • 33€ du MWh de cout comptable sans reconstitution du capital nécessaire à la préparation de l’avenir,
  • 38€ du MWh avec investissement de 3,7 G€ par an nécessaire au prolongement à 40 ans de la durée de vie des centrales actuelles et quelques EPR en remplacement des plus vieilles centrales en fin de vie.

Les coûts ci-dessus incluent les dépenses futures de démantèlement sur la base de 21G€ pour la totalité du parc et de gestion et stockage des déchets pour 30 G€.

La comparaison brutale des coûts de l’énergie nucléaire à celle d’un mix gaz/éolien est éloquente. Le nucléaire en outre n’émet pas de CO2.

Le choc pétrolier de 1973 avait poussé le gouvernement français à lancer un vaste programme de construction de centrales nucléaires pour garantir notre indépendance énergétique. Cette décision politique devrait continuer à nous rapporter des dividendes jusqu’en 2040, pour peu que l’on sache expliquer aux Français leur intérêt bien compris, dans un contexte où les risques ont toujours été correctement maîtrisés.

[ Auteur : Gérard Bouy ]

[ Src : iFRAP ]

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irisyak

Une fois encore l’éolien produit tout le temps mais en intesité variable. Au total la production suit souvent la consommation en particulier entre l’été, plus faible et l’hiver plus fort … Pour les coûts ils n’ont rien à voir avec la réaité: le démantèlement ne sera pris en compte que le jour où une centrale aura été démantelée complètement. Le coût des assurances (Fukushima ETC ..) n’est pas du tout pris en compte. Dans l’état actuel l’EPR founit une électricité à 80€ le MW.H non comprise l’assurance et le démantèlement. Les énergies nouvelles voient leur prix baisser sans cesse.

Kostard

un article avec une prise de position anti solaire et pro nucléaire… Monsieur Gérard Bouy, combien avez-vous été payé par le lobby nucléaire pour écrire un tel ramassis de conneries?

Reivilo

Le 3G a encore frappé avec ce magnifique plaidoyer pour le nucléaire et contre les EnR. Le tout truffé d’erreurs grossières – par exemple dire que la puissance de référence des éoliennes “modernes” est de 2 MW quant on installe déjà des machines terrestres de 7,5 MW (une vingtaine en Allemagne, en Belgique et en Autriche ) ou faire croire qu’elles ne produisent que le quart du temps. Indiquer un coût de production du MWh nucléaire à 38€ quand la cour des comptes annonce le MWh EPR à 70-90 etc. La conclusion est sans ambiguité “Cette décision politique devrait continuer à nous rapporter des dividendes jusqu’en 2040, pour peu que l’on sache expliquer aux Français leur intérêt bien compris, dans un contexte où les risques ont toujours été correctement maîtrisés.” Français allez vous finir par bien comprendre votre (notre ?) intérêt ou faut-il encore un peu plus de bourrage de crâne ?

Tassin

Le think tank libéral IFRAP (avec en tête la caricaturale Agnès Verdier Molinié)a encore frappé! Rapport biaisé en faveur des énergies du passé, erreurs techniques grossières (besoin de moyens de régulation pour l’éolien et le PV mais pas pour le nucléaire, comme si la consommation était stable), le fameux coup de l’indépendance énergétique MDR. Cet institut est vraiment une belle démonstration des valeurs profondément réactionnaires du libéralisme.

dede29

avec les réactions précédentes . L’importance de la surgénération est bien mise en évidence pour les centaines d’années futures .On voit bien bien la difficulté qu’on aura de se passer ,à terme du charbon et du gaz ,avec de l’éolien qui sera toujours intéressant mais marginal . Pour le solaire ,il faut espérer un saut technologique , comme pour la fusion ,toujours possible .

Stefan

le plutonium est un des poisons les plus puissants qu’on connaisse, mais on n’en parle jamais, vous avez dit bizarre? le nucléaire est censé être sûr mais déja 5 réacteurs sur 430 ont explosé, ce qui rend le nucléaire moins sûr que l’aéronautique. EDF USA abandonne le nucléaire car c’est trop cher (cf article du 18 sur ce site) et il y en a qui continue à prêcher! le nucléaire est sur la pente descendante, ça ne changera plus, réveillez-vous! l’an dernier, les capacités mondiales en ENR sont désormais supérieures à celles du nucléaire, et on installe autant d’ENR que de gaz – charbon. Le nucléaire est minuscule à côté, ça ne créera plus d’emploi.

Pastilleverte

on n’y échapera pas ! Après, on peut bavasser à longueur de touches de clavier pour savoir si le nuke c’est x, y ou z % du mix et que les ENR c’est g h ou j %, sans parler du charbon a, b ou c% … et on oublierait le “pré requis”, comme on dit maintenant pour faire sérieux : économie et sobriété (et bon sens…)